L'Encyclopédie sur la mort


Lagerlöf Selma

Marguerite Yourcenar* a écrit une admirable préface à Selma Lagerlöf, Oeuvres, I (Paris, Stock, 1976), qui révèle au public francophone la riche personnalité de la romancière suédoise et dont nous nous permettons de publier quelques extraits:

«Il y a peu de romanciers de génie; les romancières de génie sont, certes, encore plus rares. Les grandes poétesses, peu nombreuses, le sont néanmoins assez pour qu'on puisse former d'elles tout un bouquet, mais un grand roman présuppose un libre regard porté sur la vie que la coutume sociale, jusqu'ici, n'a guère permis aux femmes; il suppose aussi, dans les meilleurs cas, un luxe de puissance créatrice que les femmes* semblent avoir rarement eue, ou du moins pu manifester, et qui ne s'est donné jusqu'à présent libre cours que dans la maternité physiologique. Une seule et admirable exception à cet état de choses: Mourasaki Shikibu, qui est sûrement l'un des plus grands romanciers du monde, a fleuri dans le Japon du XI° siècle. En dépit de deux ou trois noms intermédiaires qu'on pourrait citer, mais qui à la réflexion tombent d'eux-mêmes (1), les autres grandes romancières se situent toutes au XIX° et au XX° siècle. La liste, que chacun de nous refera à son gré, comporte une dizaine de noms tout au plus, et encore certains d'entre eux, comme celui de George Sand, sont mis plutôt pour la personnalité de la femme que pour le génie de l'écrivain. Il est assez frappant de constater que les Anglo-Saxonnes, et après elles les Scandinaves, forment la majorité. Parmi ces femmes de grand talent ou de génie, aucune, à mon sens, ne se situe plus haut que Selma Lagerlöf. Elle est en tout cas la seule qui s'élève au niveau de l'épopée et du mythe.

Une vie en apparence quelconque: une enfance heureuse dans le vieux domaine de Märbacka, où elle naît, le 20 novembre 1858. d'une famille de propriétaires terriens, de fonctionnaires et de pasteurs. La «bonne» maladie, une coxalgie génitale, qui se déclare vers la troisième année, et fait de la petite fille une enfant sédentaire, plongée dans les livres, attentive aux récits que les vieilles gens font autour d'elle. Une adolescence et une jeunesse mélancoliques*: un premier bal, où personne n'invite à danser la boiteuse; un père plus chimérique que pratique se médicamentant vers la fin à l'aide de doses d'eau-de-vie; la certitude de perdre bientôt le domaine chéri; Selma emportant de haute lutte la permission de passer ses examens d'école normale en vue d'une carrière d'institutrice d'État qui assurerait, bien maigrement, sa subsistance - projet qui fait hocher la tête aux parents à une époque où les professions libérales étaient encore une nouveauté pour les femmes. Quelques années grises passées à Landskrona, près de Malmö, à exercer son métier d'enseignante; Märbacka vendu aux enchères, comme allait l'être dans ses romans la ferme des Ingmarson et celle du père de Marianne Sinclair; après de longs efforts pour trouver un ton et un style à soi, la publication, à trente-trois ans, de La Saga de Gösta Berling. La célébrité presque aussitôt, et bientôt la gloire, apportant avec la possibilité de s'adonner au seul travail littéraire; en 1909, le prix Nobel, qui permet à Selma de racheter Märbacka.

Pour le reste, quelques grands voyages, courageusement entrepris par cette demie-infirme; une longue et ardente amitié avec une jeune veuve appartenant à la société juive de Göteborg, personne très belle, maladive, blessée par la vie, qui elle aussi, et non sans talent, écrit des livres. [...] D'autre part, la tendre fidélité à la famille, à la mère surtout et à la tante Lovisa évoquée si sympathiquement dans Märbacka. Une participation, d'ailleurs mesurée, au mouvement féministe à l'époque où celui-ci était encore nouveau en Suède [...] ; la part prise au mouvement pacifiste dès avant 1914; de grands dons à sa communauté paysanne et aux écrivains pauvres; une générosité dépensée sans compter pendant les deux guerres, tant dans l'ordre financier qu'en payant de sa personne par des articles, des conférences, des lectures publiques en faveur des personnes déplacées ou affamées, ensuite des populations allemandes et russes souffrant des effets du blocus ou de l'inflation, et finalement de la Finlande au cours de la «guerre d'hiver». Il semble bien que l'impossibilité d'aider personnellement ce pays qu'elle aimait ait porté le dernier coup à Selma vieille et fatiguée. Elle mourut d'une attaque de paralysie à Märbacka, le 16 mars 1940.» (op. cit., p. 7-9) (2)

Note
1. Marie de France est une conteuse exquise, et Mme de La Fayette transpose dans l'ordre de la nouvelle quelque chose de la discrétion et de l'intensité de Racine. Mais ni l'une ni l'autre ne sont des romancières à proprement parler.
2. Elin Wagner, Selma Lagerlöf, Paris, Stock, 1950.

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-18

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