Dans le récit qui suit, la mort est personnifiée par la figure de la «pâle amie» qui rôde autour des maisons cherchant vainement l'hospitalité des bonnes gens. Elle semble avoir trouvé enfin une demeure accueillante. Dans ce récit, le deuil*est vécu différemment par la fiancée et la mère du défunt. Le deuil maternel (ou l'absence de deuil) se manifeste par des larmes de joie, la mort étant reçue comme libératrice pour son fils (absence d'amour de la part de la fiancée). Le deuil de la fiancée, par contre, exprime l'épreuve douloureuse de la perte de son bien-aimé. Il faudra un geste pathétique de la fiancée comme preuve de son amour pour que, à son tour, la mère puisse verser des larmes de douleur et vivre son deuil. L'auteur suggère que la mort n'est pas la bienvenue chez les humains dont le deuil s'accompagne d'une attitude de refus à l'égard de la mort et d'un sentiment de douleur liée à la perte.
LA MORT
«Ma pâle amie la Mort vint au mois d'août, quand les nuits sont blanches de clair de lune, à la maison du capitaine Uggla. Mais elle ne se risqua pas à entrer tout droit dans cette demeure hospitalière, car peu nombreux sont ceux qui se réjouissent à sa vue.
[...]
Ma pâle amie hésita encore pendant un mois à sortir du parc, mais une nuit elle se décida. La faim et la pauvreté n'avaient-elles pas été accueillies par des visages souriants, dans cette maison si hospitalière, pourquoi alors ne le serait-elle pas aussi?
[...]
La capitaine qui ne dormait pas, entendit frapper sur le rebord de la fenêtre. Elle se redressa dans son lit et demanda:
- Qui est là?
Les vieilles gens racontent que la Mort lui répondit:
- C'est la Mort qui frappe à ta porte.
La capitaine se leva, ouvrit la fenêtre et vit les chauves-souris et les chouettes voleter sous la lune, mais elle ne vit point celle qui avait frappé.
- Viens, appela-t-elle doucement, viens, amie et libératrice! Viens délivrer mon enfant!
Alors la Mort se glissa dans la maison, heureuse comme une pauvre majesté détrônée à qui on rend sa couronne.
Le lendemain, la capitaine s'assit au chevet de son fils et l'entretint doucement de la béatitude qui attend les esprits délivrés.
[...]
Ainsi Ferdinand mourut, charmé par des visions célestes, souriant à la splendeur qui l'attendait.
Jamais ma pâle amie n'avait assisté à rien de si doux. Certes, on pleurait autour du lit du jeune homme, mais lui-même souriait à la Mort, et les larmes qui jaillirent des yeux de sa mère, lorsque tout fut fini, et qui tombèrent sur son visage froid, n'étaient pas des larmes de douleur.
[...]
Quelles étranges funérailles! Le jeu du soleil et des nuages blancs égayait ce jour d'été. Les champs s'ornaient de longues rangées de gerbes dressées. Les pommes de glace dans le jardin du presbytère luisaient jaunes et transparentes, et dans celui du sacristain, les dahlias et les oeillets de poète flambaient dans une orgie de couleurs.
[...]
Immédiatement derrière le cercueil marchait Anna Stjärnhök, la belle fiancée du défunt, la couronne de myrte sur la tête et vêtue sous l'ample voile de mariée, d'une robe de soie traînante blanche et moirée.
[...]
Lorsque les prières furent dites et la fosse comblée, le cortège se dispersa et les invités cherchèrent leurs voitures. La capitaine et Anna Stjärnhök s'attardèrent encore sur la tombe.
- Écoute, Anna, dit la capitaine, j'ai fait cette prière à Dieu: «Seigneur, fais venir la mort pour qu'elle délivre mon fils! Qu'elle prenne celui que j'aime le plus au monde et l'emmène vers les demeures de la paix éternelle, et mes yeux ne verseront que des larmes de joie. Comme à des noces, je l'accompagnerai jusqu'à sa tombe, et je planterai dans la terre qui le recouvrira le rosier rouge qui fleurit si abondamment dans le jardin sous ma fenêtre.» Et Dieu m' a exaucée: mon fils est mort. Et j'ai salué la mort comme une libératrice, une amie. Sais-tu, toi, qui es là à côté de moi, pourquoi j'ai fait cette prière à Dieu?
Elle regarda la jeune fille qui restait muette et pâle. Peut-être Anna Stjärnhöf s'efforçait-elle d'étouffer les voix intérieures qui lui chuchotèrent déjà, devant cette tombe ouverte, qu'elle était libre.
- C'est ta faute, dit la capitaine.
[...]
- Que faudrait-il pour que tu pleures ton fils? demanda-t-elle.
- Il faudrait que je doute du témoignage de mes propres yeux. Il faudrait que je croie que tu aimais mon fils!
Alors la jeune fille se redressa, les yeux brillants d'exaltation. Elle arracha son voile de mariée et en couvrit la terre, elle arracha sa couronne et la posa au chevet du tombeau.
- Vois comment je l'aimais! s'écria-t-elle. Je lui offre ma couronne et mon voile. Je me fiance à lui pour toujours. Je n'appartiendrai à personne d'autre.
La capitaine demeura un moment muette; tout son corps tremblait, les traits de son visage se contractaient péniblement. Puis, enfin, ses larmes jaillirent, des larmes de douleur.
Mais ma pâle amie, La Mort, frissonna en voyant ces larmes. Ici, pas plus qu'ailleurs, on ne l'avait pas accueillie avec joie. Elle tira son capuchon sur son visage, se laissa glisser au bas du mur et disparut entre les javelles dressées dans les champs.»
«Ma pâle amie la Mort vint au mois d'août, quand les nuits sont blanches de clair de lune, à la maison du capitaine Uggla. Mais elle ne se risqua pas à entrer tout droit dans cette demeure hospitalière, car peu nombreux sont ceux qui se réjouissent à sa vue.
[...]
Ma pâle amie hésita encore pendant un mois à sortir du parc, mais une nuit elle se décida. La faim et la pauvreté n'avaient-elles pas été accueillies par des visages souriants, dans cette maison si hospitalière, pourquoi alors ne le serait-elle pas aussi?
[...]
La capitaine qui ne dormait pas, entendit frapper sur le rebord de la fenêtre. Elle se redressa dans son lit et demanda:
- Qui est là?
Les vieilles gens racontent que la Mort lui répondit:
- C'est la Mort qui frappe à ta porte.
La capitaine se leva, ouvrit la fenêtre et vit les chauves-souris et les chouettes voleter sous la lune, mais elle ne vit point celle qui avait frappé.
- Viens, appela-t-elle doucement, viens, amie et libératrice! Viens délivrer mon enfant!
Alors la Mort se glissa dans la maison, heureuse comme une pauvre majesté détrônée à qui on rend sa couronne.
Le lendemain, la capitaine s'assit au chevet de son fils et l'entretint doucement de la béatitude qui attend les esprits délivrés.
[...]
Ainsi Ferdinand mourut, charmé par des visions célestes, souriant à la splendeur qui l'attendait.
Jamais ma pâle amie n'avait assisté à rien de si doux. Certes, on pleurait autour du lit du jeune homme, mais lui-même souriait à la Mort, et les larmes qui jaillirent des yeux de sa mère, lorsque tout fut fini, et qui tombèrent sur son visage froid, n'étaient pas des larmes de douleur.
[...]
Quelles étranges funérailles! Le jeu du soleil et des nuages blancs égayait ce jour d'été. Les champs s'ornaient de longues rangées de gerbes dressées. Les pommes de glace dans le jardin du presbytère luisaient jaunes et transparentes, et dans celui du sacristain, les dahlias et les oeillets de poète flambaient dans une orgie de couleurs.
[...]
Immédiatement derrière le cercueil marchait Anna Stjärnhök, la belle fiancée du défunt, la couronne de myrte sur la tête et vêtue sous l'ample voile de mariée, d'une robe de soie traînante blanche et moirée.
[...]
Lorsque les prières furent dites et la fosse comblée, le cortège se dispersa et les invités cherchèrent leurs voitures. La capitaine et Anna Stjärnhök s'attardèrent encore sur la tombe.
- Écoute, Anna, dit la capitaine, j'ai fait cette prière à Dieu: «Seigneur, fais venir la mort pour qu'elle délivre mon fils! Qu'elle prenne celui que j'aime le plus au monde et l'emmène vers les demeures de la paix éternelle, et mes yeux ne verseront que des larmes de joie. Comme à des noces, je l'accompagnerai jusqu'à sa tombe, et je planterai dans la terre qui le recouvrira le rosier rouge qui fleurit si abondamment dans le jardin sous ma fenêtre.» Et Dieu m' a exaucée: mon fils est mort. Et j'ai salué la mort comme une libératrice, une amie. Sais-tu, toi, qui es là à côté de moi, pourquoi j'ai fait cette prière à Dieu?
Elle regarda la jeune fille qui restait muette et pâle. Peut-être Anna Stjärnhöf s'efforçait-elle d'étouffer les voix intérieures qui lui chuchotèrent déjà, devant cette tombe ouverte, qu'elle était libre.
- C'est ta faute, dit la capitaine.
[...]
- Que faudrait-il pour que tu pleures ton fils? demanda-t-elle.
- Il faudrait que je doute du témoignage de mes propres yeux. Il faudrait que je croie que tu aimais mon fils!
Alors la jeune fille se redressa, les yeux brillants d'exaltation. Elle arracha son voile de mariée et en couvrit la terre, elle arracha sa couronne et la posa au chevet du tombeau.
- Vois comment je l'aimais! s'écria-t-elle. Je lui offre ma couronne et mon voile. Je me fiance à lui pour toujours. Je n'appartiendrai à personne d'autre.
La capitaine demeura un moment muette; tout son corps tremblait, les traits de son visage se contractaient péniblement. Puis, enfin, ses larmes jaillirent, des larmes de douleur.
Mais ma pâle amie, La Mort, frissonna en voyant ces larmes. Ici, pas plus qu'ailleurs, on ne l'avait pas accueillie avec joie. Elle tira son capuchon sur son visage, se laissa glisser au bas du mur et disparut entre les javelles dressées dans les champs.»