Le langage et la culture est un recueil d'essais tirés de différents ouvrages s'échelonnant sur toute la vie de l'auteur. L'extrait ci-dessous appartient à l'essai intitulé : «Pour une critique de la violence» où il décrit la relation de la violence au droit et à la justice. L'auteur y traite, avec un grand souci de la nuance, du langage juridique, religieux, militant et populaire utilisé dans les conflits humains : grève, litiges commerciaux, guerre, révolution, meurtre. Dans le cas précis du meurtre, il examine ce qu'il appelle le «dogme» du caractère sacré de la vie. La critique de Benjamin faite ici en lien avec la violence révolutionnaire pourrait s'étendre à toute pratique de la mort, à toute problématique où la vie humaine est en cause : l'euthanasie, le suicide, le meurtre, la guerre, etc.
... à la question: «M'est-il permis de tuer?, l'imprescriptible réponse est le précepte: «Tu ne dois pas tuer.» Ce précepte se tient devant l'action comme si Dieu «empêchait» qu'elle s'effectuât. [...] Le précepte n'est pas là comme étalon du jugement, mais, pour la personne ou la communauté qui agit, comme fil conducteur de son action; c'est à elle, dans sa solitude, de se mesurer avec lui et, en des cas exceptionnels, d'assumer la responsabilité de n'en pas tenir compte. Ainsi l'entendait le judaïsme lui-même, qui refusait expressément la condamnation du meurtre en cas de légitime défense. - Mais les penseurs dont on discute ici l'opinion se réfèrent à un théorème plus lointain, à partir duquel ils pensent sans doute fonder également, pour sa part, le précepte. Cette proposition selon laquelle toute vie humaine serait sacrée, soit qu'ils rapportent cette proposition à toute vie animale, voire végétale, soit qu'ils la restreignent à la vie humaine. Leur argumentation, dans un cas extrême qui a pour exemple la mise à mort révolutionnaire des oppresseurs, se présente ainsi : «Si je ne tue pas, je n'instituerai jamais sur terre le règne de la justice», [...] voilà ce que pense le terroriste qui se réfère à des valeurs spirituelles. [...] Mais nous professons que, plus haut encore que le bonheur et que la justice d'une existence, se situe l'existence en elle-même»(Kurt Hiller).
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Fausse et basse est la proposition selon laquelle l'existence se situerait pus haut que l'existence juste, si par existence on entend seulement le simple fait de vivre. [...] Si la proposition veut dire que le non-être de l'homme serait quelque chose de plus terrible [...] que le non-être de l'homme juste. [...) Autant l'homme est sacré, [...] aussi peu le sont ses états, aussi peu l'est sa vie physique, lésée par d'autres hommes. Qu'est-ce, en effet, qui la distingue des bêtes et des plantes? Et même si bêtes et plantes étaient sacrées, elles ne pourraient l'être pour leur simple vie, ni en elle. Sur l'origine du dogme qui affirme le caractère sacré de la vie, il vaudrait la peine d'instituer une enquête. Il se peut, il est même vraisemblable, que ce dogme soit récent, à titre d'ultime égarement de la tradition occidentale affaiblie qui cherche dans le cosmologiquement impénétrable le sacré qu'elle a perdu. (L'ancienneté de tous les préceptes religieux condamnant le meurtre ne prouve rien là-contre, car ils reposent sur d'autres conceptions que le théorème moderne). Finalement on peut penser que ce qui est ici affirmé comme sacré est ce que l'ancienne pensée mythique désignait comme porteur de culpabilité: le simple fait de vivre,
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Fausse et basse est la proposition selon laquelle l'existence se situerait pus haut que l'existence juste, si par existence on entend seulement le simple fait de vivre. [...] Si la proposition veut dire que le non-être de l'homme serait quelque chose de plus terrible [...] que le non-être de l'homme juste. [...) Autant l'homme est sacré, [...] aussi peu le sont ses états, aussi peu l'est sa vie physique, lésée par d'autres hommes. Qu'est-ce, en effet, qui la distingue des bêtes et des plantes? Et même si bêtes et plantes étaient sacrées, elles ne pourraient l'être pour leur simple vie, ni en elle. Sur l'origine du dogme qui affirme le caractère sacré de la vie, il vaudrait la peine d'instituer une enquête. Il se peut, il est même vraisemblable, que ce dogme soit récent, à titre d'ultime égarement de la tradition occidentale affaiblie qui cherche dans le cosmologiquement impénétrable le sacré qu'elle a perdu. (L'ancienneté de tous les préceptes religieux condamnant le meurtre ne prouve rien là-contre, car ils reposent sur d'autres conceptions que le théorème moderne). Finalement on peut penser que ce qui est ici affirmé comme sacré est ce que l'ancienne pensée mythique désignait comme porteur de culpabilité: le simple fait de vivre,