Michael J. Chandler, Christopher E. Lalonde, Bryan W. Sokol et Darcy Hallett, Le suicide chez les jeunes Autochtones et l'effondrement de la continuité personnelle et culturelle, traduit de l'anglais par Caroline Malhame et Léonard R. Martin, Québec, Presses de l'Université Laval, 2010. Cet ouvrage a été publié en anglais en 2003 par Blackwell Publishing sous le titre Personal Persistence, Identity, Development, and Suicide. Nous publions ci-dessous quelques extraits, notamment de la Préface (Daniel Dagenais) et de la Postface de l'édition française (Michael J. Chandler).
«... les jeunes Autochtones et les jeunes non-Autochtones se distinguent catégoriquement quant au mode de récit par lequel ils justifient leur propre continuité personnelle, les premiers faisant ressortir la cohérence d'une histoire à l'intérieur de laquelle ils se situent (mode «narrativiste»), les seconds arguant que, en dépit d'un développement qu'ils reconnaissent, ils sont restés essentiellement les mêmes (mode «essentialiste»). En d'autres termes, non seulement l'obligatoire réconciliation avec l'existence pour faire sens d'être (plutôt que de ne pas être] est-elle «impersonnelle», tout semble indiquer que les individus ont recours à des «stratégies par défaut» qui appartiennent en fait aux types sociétaux du milieu où ils sont nés [...]. En second lieu, quel que soit le mode de récit favorisé, il est possible d'observer que la capacité des individus à rendre compte de l'unité de leur vie connaît une progression ou un développement allant du plus simple au plus complexe. Les jeunes, en d'autres termes, se montrent de plus en plus aptes à résoudre (pour eux-mêmes, encore une fois), «le paradoxe de l'identité dans le changement». À cet égard, Chandler et son groupe ont clairement établi que la progression des individus sur leur «échelle identitaire de continuité personnelle» correspond parfaitement avec la progression des mêmes individus dans leur cheminement scolaire et dans leur développement cognitif tel qu'il peut être saisi en utilisant les catégories piagétiennes.
[...]
Prenant acte du fait que les taux de suicide sont remarquablement et dramatiquement plus élevés chez les Autochtones du Canada [dans certaines communautés, à tout le moins) que dans le reste de la population canadienne et que, au sein desdites communautés, les taux les plus élevés se trouvent chez les jeunes, ils tentent de comprendre ce qu'ont en commun les communautés à peu près exemptes de suicide, démystifiant au passage le caractère supposément monolithique «du» suicide autochtone en montrant que la moitié des communautés ne connaît tout simplement pas le suicide jeune.
Quels attributs possèdent ces communautés exemptes de suicide? Elles font société, tout simplement. Le sont-elles par héritage involontaire, selon une continuité qui se serait maintenue à leur insu? Non. Ou alors par maintien obstiné d'une tradition les mettant à l'abri du changement? Pas vraiment. Voyons. Chandler et son groupe ont composé et raffiné avec les années une série d'indicateurs conçus pour opérationnaliser, au niveau collectif, la notion de continuité en faisant l'hypothèse que les communautés prenant des actions implicites ou objectives pour assurer un avenir à leur passé, pour assurer leur propre continuité donc, seraient aussi celles où le suicide jeune est le moins élevé.
[...]
Chandler et ses collègues ont fait l'hypothèse que les différences marquées entre communautés frappées par le suicide ou exemptes de suicide se révéleraient selon qu'elles auraient ou non: une forme ou une autre d'autonomie* gouvernementale, obtenu des droits territoriaux (ou seraient en voie de les obtenir), le contrôle de leur système d'éducation, le contrôle de leur système de santé, leur propre service de police et d'incendie, pris des mesures explicites pour que la culture traditionnelle soit préservée, une majorité de locuteurs de leur langue maternelle, établi des services à l'enfance, une participation importante de femmes à la vie politique de la communauté.
[...]
Le fait que le «facteur» qui corrèle le plus fortement avec de faibles taux de suicide soit la présence d'une forme d'autonomie politique est très significatif. [...] Si ce ressaisissement concerne bien sûr le maintien de certaines traditions (rituels, langues autochtones), il ne s'y réduit pas. Et même quand il s'agit d'en préserver certains aspects, elles prennent un nouveau sens et traduisent désormais un soucies à l'égard du passé et de ce que l'on a été afin de se projeter dans l'avenir. Ni simple maintien de la tradition donc, ni non plus éloignement, ou rupture avec celle-ci. [...] Ce ressaisissement procède toujours de ce qu'on a été, car c'est à partir de ce qu'on a été que l'on sera, à moins de disparaître. S'il est possible à un individu de se sauver lui-même en se sauvant de sa communauté, ce choix ne s'offre pas aux communautés.»
Daniel Dagenais, «Préface à l'éditions française, o. c., p. 4-7)
[...]
Prenant acte du fait que les taux de suicide sont remarquablement et dramatiquement plus élevés chez les Autochtones du Canada [dans certaines communautés, à tout le moins) que dans le reste de la population canadienne et que, au sein desdites communautés, les taux les plus élevés se trouvent chez les jeunes, ils tentent de comprendre ce qu'ont en commun les communautés à peu près exemptes de suicide, démystifiant au passage le caractère supposément monolithique «du» suicide autochtone en montrant que la moitié des communautés ne connaît tout simplement pas le suicide jeune.
Quels attributs possèdent ces communautés exemptes de suicide? Elles font société, tout simplement. Le sont-elles par héritage involontaire, selon une continuité qui se serait maintenue à leur insu? Non. Ou alors par maintien obstiné d'une tradition les mettant à l'abri du changement? Pas vraiment. Voyons. Chandler et son groupe ont composé et raffiné avec les années une série d'indicateurs conçus pour opérationnaliser, au niveau collectif, la notion de continuité en faisant l'hypothèse que les communautés prenant des actions implicites ou objectives pour assurer un avenir à leur passé, pour assurer leur propre continuité donc, seraient aussi celles où le suicide jeune est le moins élevé.
[...]
Chandler et ses collègues ont fait l'hypothèse que les différences marquées entre communautés frappées par le suicide ou exemptes de suicide se révéleraient selon qu'elles auraient ou non: une forme ou une autre d'autonomie* gouvernementale, obtenu des droits territoriaux (ou seraient en voie de les obtenir), le contrôle de leur système d'éducation, le contrôle de leur système de santé, leur propre service de police et d'incendie, pris des mesures explicites pour que la culture traditionnelle soit préservée, une majorité de locuteurs de leur langue maternelle, établi des services à l'enfance, une participation importante de femmes à la vie politique de la communauté.
[...]
Le fait que le «facteur» qui corrèle le plus fortement avec de faibles taux de suicide soit la présence d'une forme d'autonomie politique est très significatif. [...] Si ce ressaisissement concerne bien sûr le maintien de certaines traditions (rituels, langues autochtones), il ne s'y réduit pas. Et même quand il s'agit d'en préserver certains aspects, elles prennent un nouveau sens et traduisent désormais un soucies à l'égard du passé et de ce que l'on a été afin de se projeter dans l'avenir. Ni simple maintien de la tradition donc, ni non plus éloignement, ou rupture avec celle-ci. [...] Ce ressaisissement procède toujours de ce qu'on a été, car c'est à partir de ce qu'on a été que l'on sera, à moins de disparaître. S'il est possible à un individu de se sauver lui-même en se sauvant de sa communauté, ce choix ne s'offre pas aux communautés.»
Daniel Dagenais, «Préface à l'éditions française, o. c., p. 4-7)
.........................
«Doit-on vraiment choisir entre Durkheim et Freud? Ou mettre au même diapason continuité personnelle et continuité culturelle?
Le problème circonscrit dans le programme de recherche présenté dans cet ouvrage se trouve fracturé, jusqu'à éclater, entre deux approches renvoyant à Durkheim* d'un côté et à Freud* de l'autre. Dussiez-vous envisager votre suicide dans un avenir prochain, des experts se pointeront pour vous orienter dans deux directions divergentes. Soit on vous dira de consulter un atlas du monde (ou, mieux encore, de vous situer dans le monde avec l'aide de Google Earth), soit, avec l'aide de votre analyste, vous pourrez apprendre à lire les feuilles de thé de votre pensée intime et inconsciente. Les recommandations venant d'un camp seraient du type «Si vous voulez rester en vie, quittez la Finlande au plus vite», tandis que, dans l'autre camp, on entendait dire «Trouvez-vous un programme à douze étapes d'auto-affirmation pour vous aider à éloigner la déprime». Bien qu'il y ait quelque sagesse dans ces deux recommandations, prises séparément ou ensemble, il se pourrait bien que le vieux refrain «Is that all there is, is that all there is, my friend? N'y a-t-il que cela, mon ami, n'y a-t-il que cela?), qui me hante toujours, s'insinue dans vos propres pensées. Face à ces suggestions contradictoires, vous vous dites et redites probablement qu'il devrait y avoir une solution alternative, une troisième voie meilleure - quelque ensemble d'outils aidant à capter, d'un seul regard, tant nos sois limités que nos sociétés dans leur intégralité. L'inconvénient est que ce genre d'outils fait cruellement défaut. Le programme de recherche présenté ici tend évidemment vers cette troisième voie; il court toutefois le risque constant de se faire entraîner par des habitudes intellectuelles mutuellement exclusives qui sont soit trop étroitement sociologiques, soit trop foncièrement psychologiques.
Une partie de ce problème tourne autour de ce que Rorty (1976, p. 57) a appelé notre tradition «judéo-chrétienne-renaissante-éclairée-romantique» - dans lesquels les corps, les sois et les sociétés sont compris comme formant des sortes de «hiérarchies de commandement (Griffiths, 1997), dont les éléments individuels sont vus comme étant liés les uns aux autres par diverses relations «d'autorité» (Zylstra, 1992), et formant des parties distinctes de ce que Putnam (1999, p. 138) a nommé la même «histoire causale-subsumante». Selon de telles optiques, les sois et les cultures sont perçus comme habitant un monde structuré de bas en haut ou de haut en bas - un monde où l'une de ces dimensions joue le rôle moteur alors que l'autre reste dans l'ombre.
Ce qui complique tout effort de faire le pont entre les questions individuelles et les questions collectives tient au fait que, si les outils d'évaluation les plus connus des psychologues tendent à être ancrés dans une version ou une autre d'individualisme méthodologique, les praticiens des sciences sociales et culturelles font usage de devises conceptuelles sophistiquées difficilement échangeables avec celles de leurs homologues psychologiques. Non seulement les scientifiques des deux côtés de la fracture séparant l'individualisme et le collectivisme possèdent-ils leur propre boîte à outils ainsi que leur propre vocabulaire conceptuel, mais ils ont chacun en plus leurs propres histoires pour mettre en garde contre les dangers auxquels font face ceux qui sont assez hardis pour transgresser les frontières analytiques traditionnelles. Ainsi, on dit des «scientifiques behavioristes» qui essaient d'expliquer les questions socioculturelles en faisant appel à des variables de niveau individuel qu'ils sont des victimes du «sophisme psychologique», tandis que ceux qui tiennent à expliquer socioculturellement des questions plutôt «personnologiques» sont systématiquement accusés de ne fournir aucune explication «réelle».
Dans l'espoir de trouver une issue à cette impasse stérile, mes collègues et moi avons travaillé à déceler les construits explicatifs-clés qui semblent occuper en même temps les mondes des sois individuels et des cultures collectives. Selon notre perspective, les concepts de soi et de continuité culturelle satisfont aux exigences de cette double citoyenneté. En d'autres mots, ni les concepts de soi ou de la personne, ni les notions ce cultures et peuples persistants ne sont intelligibles sans que l'on présume que les deux sont constitués de leurs liens avec un passé personnel ou collectif et un avenir continu ou partagé. Étant donné tout ceci, notre programme de recherche peut être interprété comme un effort de compréhension des individus et des sociétés, non comme deux réalités de niveaux ontologiques différents, mais comme des façons alternatives de décrire ce qui correspond à la même chose - des visions aux textures différentes d'une même réalité.
En récusant l'«individualisme autoréférentiel» (Cushman, 1990) qui normalement sépare le soi et les cultures par une fausse dichotomisation, et en insistant sur la possibilité de définir au moins un concept ayant un noyau assez important de signification commune tant sur le plan individuel que culturel et qui permette la libre circulation entre ce qui est perçu d'habitude comme des niveaux d'analyse distincts et irréconciliables, notre recherche, considérée avec recul, est justement censée constituer un test pour cette possibilité rationnelle. Bref, malgré toutes les préoccupations habituelles sur ce qui constitue ou non un niveau d'analyse approprié ou une explication adéquate, nous sommes allés de l'avant en essayant de repérer des relations conceptuelles et empiriques interprétables entre la continuité personnelle et la continuité culturelle - en essayant, peut-on dire, de commettre le sophisme du psychologue et de s'en sortir sans séquelles.
Malgré toutes ces belles paroles, de vrais problèmes subsistent. Il est, par exemple, déjà clair que les jeunes des Premières Nations vivant dans des communautés ayant réussi, contre toute attente, à établir des relations solides avec leur passé traditionnel, tout en obtenant un degré de contrôle sur leur avenir collectif, sont dramatiquement moins susceptibles d'interrompre leurs études, de s'automutiler ou de se suicider. Ce qui est loin d'être clair est la manière dont de tels efforts communautaires affectent les coeurs et les esprits de ces jeunes. Il semble probable, par exemple, que plusieurs des jeunes qui vivent dans les communautés autochtones où ces facteurs de continuité culturelle tant prisés sont déjà en place ignorent totalement que leur communauté se bat activement pour les titres de propriété de leurs terres ancestrales ou qu'elles ont investi leurs maigres ressources communautaires dans la construction d'espaces dédiés à la protection de la culture. Bref, il nous faut absolument mieux comprendre comment les événements de la vie publique en viennent à habiter les pensées et les sentiments intimes des individus.» (Michel J. Chandler, o. c., p. 143-146)
Le problème circonscrit dans le programme de recherche présenté dans cet ouvrage se trouve fracturé, jusqu'à éclater, entre deux approches renvoyant à Durkheim* d'un côté et à Freud* de l'autre. Dussiez-vous envisager votre suicide dans un avenir prochain, des experts se pointeront pour vous orienter dans deux directions divergentes. Soit on vous dira de consulter un atlas du monde (ou, mieux encore, de vous situer dans le monde avec l'aide de Google Earth), soit, avec l'aide de votre analyste, vous pourrez apprendre à lire les feuilles de thé de votre pensée intime et inconsciente. Les recommandations venant d'un camp seraient du type «Si vous voulez rester en vie, quittez la Finlande au plus vite», tandis que, dans l'autre camp, on entendait dire «Trouvez-vous un programme à douze étapes d'auto-affirmation pour vous aider à éloigner la déprime». Bien qu'il y ait quelque sagesse dans ces deux recommandations, prises séparément ou ensemble, il se pourrait bien que le vieux refrain «Is that all there is, is that all there is, my friend? N'y a-t-il que cela, mon ami, n'y a-t-il que cela?), qui me hante toujours, s'insinue dans vos propres pensées. Face à ces suggestions contradictoires, vous vous dites et redites probablement qu'il devrait y avoir une solution alternative, une troisième voie meilleure - quelque ensemble d'outils aidant à capter, d'un seul regard, tant nos sois limités que nos sociétés dans leur intégralité. L'inconvénient est que ce genre d'outils fait cruellement défaut. Le programme de recherche présenté ici tend évidemment vers cette troisième voie; il court toutefois le risque constant de se faire entraîner par des habitudes intellectuelles mutuellement exclusives qui sont soit trop étroitement sociologiques, soit trop foncièrement psychologiques.
Une partie de ce problème tourne autour de ce que Rorty (1976, p. 57) a appelé notre tradition «judéo-chrétienne-renaissante-éclairée-romantique» - dans lesquels les corps, les sois et les sociétés sont compris comme formant des sortes de «hiérarchies de commandement (Griffiths, 1997), dont les éléments individuels sont vus comme étant liés les uns aux autres par diverses relations «d'autorité» (Zylstra, 1992), et formant des parties distinctes de ce que Putnam (1999, p. 138) a nommé la même «histoire causale-subsumante». Selon de telles optiques, les sois et les cultures sont perçus comme habitant un monde structuré de bas en haut ou de haut en bas - un monde où l'une de ces dimensions joue le rôle moteur alors que l'autre reste dans l'ombre.
Ce qui complique tout effort de faire le pont entre les questions individuelles et les questions collectives tient au fait que, si les outils d'évaluation les plus connus des psychologues tendent à être ancrés dans une version ou une autre d'individualisme méthodologique, les praticiens des sciences sociales et culturelles font usage de devises conceptuelles sophistiquées difficilement échangeables avec celles de leurs homologues psychologiques. Non seulement les scientifiques des deux côtés de la fracture séparant l'individualisme et le collectivisme possèdent-ils leur propre boîte à outils ainsi que leur propre vocabulaire conceptuel, mais ils ont chacun en plus leurs propres histoires pour mettre en garde contre les dangers auxquels font face ceux qui sont assez hardis pour transgresser les frontières analytiques traditionnelles. Ainsi, on dit des «scientifiques behavioristes» qui essaient d'expliquer les questions socioculturelles en faisant appel à des variables de niveau individuel qu'ils sont des victimes du «sophisme psychologique», tandis que ceux qui tiennent à expliquer socioculturellement des questions plutôt «personnologiques» sont systématiquement accusés de ne fournir aucune explication «réelle».
Dans l'espoir de trouver une issue à cette impasse stérile, mes collègues et moi avons travaillé à déceler les construits explicatifs-clés qui semblent occuper en même temps les mondes des sois individuels et des cultures collectives. Selon notre perspective, les concepts de soi et de continuité culturelle satisfont aux exigences de cette double citoyenneté. En d'autres mots, ni les concepts de soi ou de la personne, ni les notions ce cultures et peuples persistants ne sont intelligibles sans que l'on présume que les deux sont constitués de leurs liens avec un passé personnel ou collectif et un avenir continu ou partagé. Étant donné tout ceci, notre programme de recherche peut être interprété comme un effort de compréhension des individus et des sociétés, non comme deux réalités de niveaux ontologiques différents, mais comme des façons alternatives de décrire ce qui correspond à la même chose - des visions aux textures différentes d'une même réalité.
En récusant l'«individualisme autoréférentiel» (Cushman, 1990) qui normalement sépare le soi et les cultures par une fausse dichotomisation, et en insistant sur la possibilité de définir au moins un concept ayant un noyau assez important de signification commune tant sur le plan individuel que culturel et qui permette la libre circulation entre ce qui est perçu d'habitude comme des niveaux d'analyse distincts et irréconciliables, notre recherche, considérée avec recul, est justement censée constituer un test pour cette possibilité rationnelle. Bref, malgré toutes les préoccupations habituelles sur ce qui constitue ou non un niveau d'analyse approprié ou une explication adéquate, nous sommes allés de l'avant en essayant de repérer des relations conceptuelles et empiriques interprétables entre la continuité personnelle et la continuité culturelle - en essayant, peut-on dire, de commettre le sophisme du psychologue et de s'en sortir sans séquelles.
Malgré toutes ces belles paroles, de vrais problèmes subsistent. Il est, par exemple, déjà clair que les jeunes des Premières Nations vivant dans des communautés ayant réussi, contre toute attente, à établir des relations solides avec leur passé traditionnel, tout en obtenant un degré de contrôle sur leur avenir collectif, sont dramatiquement moins susceptibles d'interrompre leurs études, de s'automutiler ou de se suicider. Ce qui est loin d'être clair est la manière dont de tels efforts communautaires affectent les coeurs et les esprits de ces jeunes. Il semble probable, par exemple, que plusieurs des jeunes qui vivent dans les communautés autochtones où ces facteurs de continuité culturelle tant prisés sont déjà en place ignorent totalement que leur communauté se bat activement pour les titres de propriété de leurs terres ancestrales ou qu'elles ont investi leurs maigres ressources communautaires dans la construction d'espaces dédiés à la protection de la culture. Bref, il nous faut absolument mieux comprendre comment les événements de la vie publique en viennent à habiter les pensées et les sentiments intimes des individus.» (Michel J. Chandler, o. c., p. 143-146)