Selon la croyances des primitifs, la vie continue après la mort et est semblable à leur vie antérieure. Témoins de la décomposition des corps, ils n'invoquent ni l'immortalité de l'âme, ni la résurrection. Cependant, ils sont certains de la survie des morts qui ne perdent ni leur qualités ni leurs facultés. La convivialité des morts avec les vivants se poursuit au-delà de la mort.
Presque partout les primitifs croient que les morts sont allés mener ailleurs une vie assez semblable à celle d'ici-bas. Les détails diffèrent selon les sociétés: la représentation fondamentale de cette vie reste la même. Je n'en donnerai que quelques preuves. En Nouvelle-Guinée (tribu Kaï), «comme les hommes continuent à vivre sous la forme de morts (Geister), comme ils emportent dans l'au-delà toutes leurs qualités et leurs facultés, ce sont les plus guerriers, les plus violents, les plus brutaux ... que l'on redoute le plus après leur mort.» - Chez les Kayans de Bornéo, « le mot urip, dans l'usage ordinaire, veut dire «vivant», mais on l'emploie aussi comme préfixe devant les noms des nouveau-morts. Cela semble indiquer chez celui qui parle le sentiment que la personne continue à vivre, malgré la mort du corps». - En Afrique, chez certains Bantou, mêmes représentations. «Ils ne pensent pas qu'à la mort la personne disparaisse absolument. C'est la résurrection du corps qui est niée. La personne même continue à vivre.» Dans l'Ouganda, jadis, le roi mort était encore vivant. «Ces femmes dans le temple n'étaient pas appelées ses veuves, ni considérées comme telles: c'étaient les épouses du roi défunt, dont on parlait comme s'il était encore vivant... Dans un temple royal, le roi mort accordait chaque jour des audiences; sa cour était disposée comme s'il était vivant, et la foule assemblée se tenait en face du dais royal, où l'on disait que le roi était invisible et présent » - Chez les Kikuyu, «le fait d'enjamber un cadavre est probablement considéré comme une insulte au mort (spirit). C'est une offense grave pour le vivant. - Les femmes «lavent le corps entier du cadavre», écrit le P. Van Wing, qui ajoute : «Cette expression mvumbi est à remarquer. Mvumbi n'est pas ce qu'un corps mort est pour nous. Au sens des Bakongo, l'âme (moyo) est encore présente. Mvumbi, par la forme du mot, indique un être animé, personnel. Il est à remarquer qu'on ne peut parler de Mvumbi pour désigner le mort, tant qu'il est à la mortuaire. On parle toujours du mort comme s'il était vivant. Mvumbi signifie également «feu» un tel. Mvumbi Nzeza, feu Nzeza. Ce dernier trait achève de montrer que, dans l'esprit des Bakongo, les morts sont vivants. Ce sont même les vivants par excellence. «Ils sont doués d'une vie qui dure, et d'une puissance surhumaine, qui leur permet de sortir de leurs villages souterrains pour influencer en bien ou en mal toute la nature, hommes, bêtes, plantes et minéraux. Les chefs les plus puissants sous le ciel sont aussi les puissants sous terre.»
Lors d'un enterrement, «à peine le cortège s'est-il mis en marche que les porteurs chancellent: le défunt s'agite, il faut qu'un parent intervienne pour le calmer, et le supplier de se laisser conduire au cimetière ... Il est descendu avec précaution dans la fosse, au moyen de cordes et de lianes. Il s'agit de le poser bien à plat, et une fois qu'il est placé, de ne plus le déranger, sous peine de s'attirer la vengeance du défunt. ... Un proche parent, homme ou femme, lui dit: «Porte de nos nouvelles aux ancêtres ... ». Une femme lui fait des recommandations, en disant: «Tu m'entends, quoique tu ne respires plus» .
Pour les Herero*, «le mort n'est pas mort. II entend, sent, voit, pense aux vivants, et les châtie. Si un Herero dit à un autre: «Dieu, c'est-à-dire l'ancêtre, est témoin, «je me plaindrai à lui», l'autre est certain que cela arrivera. Pour cette même raison, ils tirent vengeance même des ennemis qui sont déjà morts et gisent dans leurs tombes: ils les déterrent exprès pour cela (2)» Chez les Ba-ila : «Je promis d'envoyer un bœuf, écrit le capitaine Dale, eL Kakobela, avant de mourir, dit qu'il l'attendrait là-bas, et défendit que personne ne tuât avant que le bœuf fût arrivé, sous peine d'encourir son déplaisir ... Le cadavre fut placé sur trois peaux séchées, et enveloppé dans une couverture ... On l'enduisit de graisse, et on lui mit sa pipe dans la bouche. Pour finir, les gens lui dirent: « Si vous avez à vous plaindre de quelque « chose, faites-Ie maintenant. N'emportez pas vos griefs « sous terre, pour détruire votre communauté.» Aucune réponse ne venant, on admit qu'il était satisfait, et les funérailles suivirent leur cours - PareiIIement, chez les Kiziba, «on n'enterre pas les prêtres; on porte leur cadavre dans la forêt, enveloppé dans une étoffe d'écorce ... Là, on découvre le corps, et on l'assied sur un siège. On met une pipe dans la bouche du mort, et on place auprès de lui une calebasse et un tuyau pour boire, comme s'il était encore en vie. Pour vêtement, le cadavre reçoit une étoffe en écorce et une peau de léopard ... On dit que les bêtes féroces n'attaquent pas le cadavre, parce qu'elles le prennent pour un vivant ». Enfin, chez les Mossi, «quand le corps (du moro-naba, du roi) est dans la fosse, on place une demi-barre de sel sur sa tête, un chien vivant à droite, un chat vivant à sa gauche. On ajoute un coq et un canari de mil. Le coq est là pour chanter tous les matins, avertissant le défunt naba du lever du jour. Le chat fait la chasse aux souris et aux rats. Le chien aboie et fait peur aux hommes. Le mil et le sel servent à la nourriture du défunt. Cela fait, on comble le trou avec de la terre, ensevelissant ensemble mort et vivants».
Cette énumération de témoignages pourrait s'allonger indéfiniment. Nous la terminerons par cette réflexion de M. Grubb: «Le Lengua ne croit pas possible que la personnalité de l'homme cesse d'exister. L'autre vie est pour lui simplement la continuation de celle-ci; il est seulement privé de son corps.»
Comme le vivant, le mort peut être présent, au même moment, en différents endroits. La dualité, la bi-présence d'un même individu ne choque pas plus le primitif s'il s'agit d'un mort que dans le cas d'un vivant. Il s'en accommode même encore mieux. Il semble n'éprouver aucune difficulté à considérer comme un seul et même être le cadavre d'une part, et le mort survivant de l'autre. A nos yeux, la mort rompt l'union de l'âme et du corps. L'âme quitte le corps, avec qui elle n'avait rien d'essentiellement commun. Elle seule vit désormais; le corps se décompose. Mais le primitif n'a aucune idée de ces deux substances hétérogènes l'une à l'autre. Il ignore le spiritualisme propre à nos métaphysiques et à nos religions. Il voit bien que le corps se détruit (du moins dans ses parties molles), et il est réfractaire à l'idée de la résurrection des corps. Néanmoins, comme le passage de la vie terrestre à l'autre est un simple changement de condition et de milieu, l'individu mort reste pour lui semblable à ce qu'il était, vivant.