Outre le concept d'isolement social, Anthony Giddens développe le concept d'isolement moral. Une personne souffre d'isolement moral lorsqu'elle-même ou son entourage perçoivent sa personne ou son comportement comme ne répondant pas à la moralité courante.
L'alcoolisme* ou la toxicomanie*, la délinquance ou le crime, l'anorexie* et la boulimie* mettent les personnes qui en sont atteintes dans un état d' isolement moral. Celles-ci sont classifiées ou étiquetées comme hors-norme (out of order) ou comme impures, ce qui peut entraîner chez elles un sentiment de honte*. Leur conduite flétrit l'image collective de l'homme ou de la femme qu'elles sont censées d'être. Conscientes d'être regardées comme ne partageant pas la soi-disant «vie bonne» de leurs concitoyens, elles se sentent comme des êtres inachevés, se voilent la face et veulent s'effacer ou disparaître.
Sentiment de honte et suicide
Nombre de suicidés souffrent de cet isolement moral et en éprouvent de la honte*. Un handicapé de 43 ans résume fort bien ce double isolement moral et social: «Plutôt que de vivre sur le Bien-être social [sic], j'aime autant mourir. Je suis seul, brûlez mon corps ( ... ). J'aurais voulu avoir une vie normale, mais, handicapé comme je suis, c'est impossible». Un homme de 71 ans, après un bref récit de ses maladies et de ses démêlés avec un voisin, termine sa lettre d'adieu* en s'écriant: «Voilà, gens âgés, où nous en sommes, nous.» Où nous en sommes: la honte d'être vieux aux yeux d'autrui, de ne plus jouir d'une vie bonne. Une jeune fille de 18 ans écrit: «Je ne suis plus digne de vivre.» Une autre, de 27 ans, affirme: «Mon être est une prison ( ... ). Emprisonnée à vie ou à mort, quelle différence! ( ... ) c'est peine perdue de vivre à moitié ( ... ), je n'ai jamais pu grandir.» Quelques lettres sont de longues plaintes à cause d'une intégrité ou d'une identité perdues: «Je n'ai jamais réussi à me donner une véritable identité ( ... ), cette "destructuration" m'était impossible à vivre ( ... ), je n'arrivais pas à bâtir la moindre confiance en moi sans la démolir à la première peur.» (homme, 25 ans.) Une manifestation très claire de l'isolement moral a été laissée par un homme de 35 ans: «Je portais le mal en moi et tout ce que je faisais était mal.» Porter le mal en soi, voilà une véritable souffrance éthique.
Toute atteinte à l'image positive de soi peut conduire à des efforts désespérés de l'individu pour reconstituer cette image à ses yeux et aux d'autrui. Dans ce contexte, la mort peut être volontairement choisie comme une forme de reconstruction du moi faisant obstacle à une auto-destruction déjà à l'œuvre, ou comme une forme de reconquête d'un pouvoir perdu. La honte, à la suite d'une défiguration physique ou d'une défaillance morale peut engendrer le suicide non comme une forme d'auto-destruction, mais comme une forme de reconstitution d'une intégrité perdue. L'intégrité est alors une valeur considérée comme plus importante que la vie elle-même: «Il n'y a plus rien à faire dans la vie depuis mon accident.»; «J'ai décidé que ma vie ne valait pas la peine d'être vécue ( ... ); entre être alcoolique et détruire la vie, j'aime mieux mourir»
Enfin, la mort volontaire peut s'inscrire à l'intérieur d'une démarche de valorisation par autrui. On veut remonter dans l'estime des autres, on veut sauver son honneur: «En faisant cela, je sauve mon honneur et je gagne de votre part un peu d'estime (celui de m'être rendu au bout de quelque chose).» La mort volontaire devient ainsi un achèvement, un accomplissement ou une affirmation de soi. Pour un couple, l'honneur et l'amour menacés sont des valeurs précieuses qui doivent, coûte que coûte, être préservées. L'alliance, poursuivie jusque dans la mort, sert de garantie à la préservation de ces valeurs: «Nous n'avons aucun espoir dans le futur et préférons tout laisser en sauvant notre amour et notre honneur.»
Le désir de mourir peut trouver sa source dans la dévalorisation de la vie. Parfois, on accorde la préférence à d'autres valeurs estimées plus importantes, comme l'autonomie, l'amour, l'honneur. Parfois, on ressent sa vie et sa personne comme démunies de toute valeur à cause de l'absence ou de la perte d'un objet (être ou chose) dont la valeur est capable de mobiliser les forces vives d'une personne. Parfois, aussi, l'indétermination des valeurs (l'anomie), dans la société, fait en sorte que le sujet ne sait pas où aller, ni s'orienter, ni gérer sa conduite. Cependant, le désir de s'effacer ou de disparaître peut être lié à un sentiment de honte, de sous-estime de soi ou de la dépréciation de l'être de la personne, de sa bonté et de sa dignité. Certains sujets se situent ou croient se situer dans un état de non-conformité aux normes sociales soit par leurs conduites marginales ou délinquantes, soit par un handicap mental ou physique. D'autres sujets se perçoivent comme non conformes à l'image idéale qu'ils se sont façonnée d'eux-mêmes, au moi qu'ils se construit et auquel ils veulent ressembler, aux promesses ou aux attentes qu'ils ont inspirées chez autrui.
L'inadéquation entre aspirations personnelles et performances concrètes, le besoin constant de se valoriser ou d'être apprécié et estimé par autrui, le désir constant de se prouver à soi-même qu'on est capable de faire des choses ou d'être quelqu'un de bien peuvent avoir l'effet pervers: une image négative de soi et un sentiment de honte qui, menés au paroxysme de l'exacerbation, deviennent une souffrance intolérable dont on pense ne pouvoir se libérer que par la mort.
Le sentiment de honte, parce que devenu insupportable. peut mener à des conduites suicidaires, La fécondité éthique de l'analyse de Bernard Williams, permet de mieux comprendre la mort volontaire comme une tentative d'affirmation ou de reconstruction de soi, mais surtout de saisir l'épreuve de la honte comme un possible tremplin vers un rebondissement de la personne suicidaire et de tout son être vers ce que certains appellent la «résilience*».
Sentiment de honte et suicide
Nombre de suicidés souffrent de cet isolement moral et en éprouvent de la honte*. Un handicapé de 43 ans résume fort bien ce double isolement moral et social: «Plutôt que de vivre sur le Bien-être social [sic], j'aime autant mourir. Je suis seul, brûlez mon corps ( ... ). J'aurais voulu avoir une vie normale, mais, handicapé comme je suis, c'est impossible». Un homme de 71 ans, après un bref récit de ses maladies et de ses démêlés avec un voisin, termine sa lettre d'adieu* en s'écriant: «Voilà, gens âgés, où nous en sommes, nous.» Où nous en sommes: la honte d'être vieux aux yeux d'autrui, de ne plus jouir d'une vie bonne. Une jeune fille de 18 ans écrit: «Je ne suis plus digne de vivre.» Une autre, de 27 ans, affirme: «Mon être est une prison ( ... ). Emprisonnée à vie ou à mort, quelle différence! ( ... ) c'est peine perdue de vivre à moitié ( ... ), je n'ai jamais pu grandir.» Quelques lettres sont de longues plaintes à cause d'une intégrité ou d'une identité perdues: «Je n'ai jamais réussi à me donner une véritable identité ( ... ), cette "destructuration" m'était impossible à vivre ( ... ), je n'arrivais pas à bâtir la moindre confiance en moi sans la démolir à la première peur.» (homme, 25 ans.) Une manifestation très claire de l'isolement moral a été laissée par un homme de 35 ans: «Je portais le mal en moi et tout ce que je faisais était mal.» Porter le mal en soi, voilà une véritable souffrance éthique.
Toute atteinte à l'image positive de soi peut conduire à des efforts désespérés de l'individu pour reconstituer cette image à ses yeux et aux d'autrui. Dans ce contexte, la mort peut être volontairement choisie comme une forme de reconstruction du moi faisant obstacle à une auto-destruction déjà à l'œuvre, ou comme une forme de reconquête d'un pouvoir perdu. La honte, à la suite d'une défiguration physique ou d'une défaillance morale peut engendrer le suicide non comme une forme d'auto-destruction, mais comme une forme de reconstitution d'une intégrité perdue. L'intégrité est alors une valeur considérée comme plus importante que la vie elle-même: «Il n'y a plus rien à faire dans la vie depuis mon accident.»; «J'ai décidé que ma vie ne valait pas la peine d'être vécue ( ... ); entre être alcoolique et détruire la vie, j'aime mieux mourir»
Enfin, la mort volontaire peut s'inscrire à l'intérieur d'une démarche de valorisation par autrui. On veut remonter dans l'estime des autres, on veut sauver son honneur: «En faisant cela, je sauve mon honneur et je gagne de votre part un peu d'estime (celui de m'être rendu au bout de quelque chose).» La mort volontaire devient ainsi un achèvement, un accomplissement ou une affirmation de soi. Pour un couple, l'honneur et l'amour menacés sont des valeurs précieuses qui doivent, coûte que coûte, être préservées. L'alliance, poursuivie jusque dans la mort, sert de garantie à la préservation de ces valeurs: «Nous n'avons aucun espoir dans le futur et préférons tout laisser en sauvant notre amour et notre honneur.»
Le désir de mourir peut trouver sa source dans la dévalorisation de la vie. Parfois, on accorde la préférence à d'autres valeurs estimées plus importantes, comme l'autonomie, l'amour, l'honneur. Parfois, on ressent sa vie et sa personne comme démunies de toute valeur à cause de l'absence ou de la perte d'un objet (être ou chose) dont la valeur est capable de mobiliser les forces vives d'une personne. Parfois, aussi, l'indétermination des valeurs (l'anomie), dans la société, fait en sorte que le sujet ne sait pas où aller, ni s'orienter, ni gérer sa conduite. Cependant, le désir de s'effacer ou de disparaître peut être lié à un sentiment de honte, de sous-estime de soi ou de la dépréciation de l'être de la personne, de sa bonté et de sa dignité. Certains sujets se situent ou croient se situer dans un état de non-conformité aux normes sociales soit par leurs conduites marginales ou délinquantes, soit par un handicap mental ou physique. D'autres sujets se perçoivent comme non conformes à l'image idéale qu'ils se sont façonnée d'eux-mêmes, au moi qu'ils se construit et auquel ils veulent ressembler, aux promesses ou aux attentes qu'ils ont inspirées chez autrui.
L'inadéquation entre aspirations personnelles et performances concrètes, le besoin constant de se valoriser ou d'être apprécié et estimé par autrui, le désir constant de se prouver à soi-même qu'on est capable de faire des choses ou d'être quelqu'un de bien peuvent avoir l'effet pervers: une image négative de soi et un sentiment de honte qui, menés au paroxysme de l'exacerbation, deviennent une souffrance intolérable dont on pense ne pouvoir se libérer que par la mort.
Le sentiment de honte, parce que devenu insupportable. peut mener à des conduites suicidaires, La fécondité éthique de l'analyse de Bernard Williams, permet de mieux comprendre la mort volontaire comme une tentative d'affirmation ou de reconstruction de soi, mais surtout de saisir l'épreuve de la honte comme un possible tremplin vers un rebondissement de la personne suicidaire et de tout son être vers ce que certains appellent la «résilience*».