L'Encyclopédie sur la mort


Ferhad et Sîrîn

Nâzim Hikmet

Ferhad et Sîrîn a été d'abord un conte soufi. Un poète a salué Ferhad comme «le plus grand architecte amoureux, comme celui qui est capable de construire l'amour. L'acte II, scène 2 de cette pièce se déroule le soir dans la salle du trône du palais de la reine Mehmene Banu. Ferhad, amoureux de Sîrîn, soeur de la reine, se trouve aux pieds de la reine dans toute la noblesse de son être.
Le vizir sort. Mehmene Banu se dirige lentement vers son trône et s'assied. Quatre gardes entrent et s'arrêtent à la porte. Ferhad et le vizir entrent. Tous les hommes ont les yeux baissés, excepté le vizir. Ferhad avance, empreint d'un respect mesuré, et salue. La scène commence dans la pénombre et se terminera dans l'obscurité totale.

MEHMENE BANU - Tu as enlevé ma sœur comme on vole un mouton dans la bergerie, maître Ferhad. Nous avons alors envoyé nos soldats et tu ne t'es pas livré ...

FERHAD - Se livrer ne fait pas partie de nos coutumes, ma sultane.

MEHMENE BANU - Tu t'es battu. Tu saurais donc non seulement peindre des frises, mais aussi te battre.

FERHAD - Oui, sultane, je sais me battre.

MEHMENE BANU - Je t'ai nommé chef décorateur du palais et pourtant nous n'avons vu aucune de tes œuvres.

FERHAD - Vous n'avez pas vu mes peintures? N'avez-vous donc pas remarqué mes frises dans le palais de Sirin ?

MEHMENE BANU - Non ...

FERHAD - Alors pourquoi ... ?

MEHMENE BANU, lui coupant la parole - Relève la tête, Ferhad, regarde-moi. Contemple-moi de la tête aux pieds.

Ferhad relève la tête et regarde Mehmene Banu.

Il faut te maudire ... que je te maudisse. Que nous te fassions choisir une mort parmi les morts ... Mais aucune mort ... comparée à la souffrance que tu me fais endurer, à moi... à nous, Mehmene Banu, fille de l'impératrice Sanem ... aucune mort. .. comparée à la honte dont tu as couvert notre palais ... Pourquoi me regardes-tu bizarrement?

FERHAD - Je voudrais me prosterner, vous honorer. Je me sens fier d'être un homme qui peut vous voir, penser à vous. Ce que vous avez fait, aucun ange, aucun colosse, aucun arbre, aucun oiseau ne pourrait le faire; seul l'homme en est capable... Mon cœur se remplit d'un respect immense, mes yeux ...

MEHMENE BANU, lui coupant la parole - Assez ... cela suffit, baisse les yeux ... Si je les vois une fois de plus observer mon visage, je te ferai trancher la gorge.

Un instant de silence.

- Ta blessure est-elle grave?

FERHAD - Non.

MEHMENE BANU - T'ont-ils soigné?

FERHAD - Votre médecin s'en est chargé ...

Depuis les fenêtres ouvertes, des gémissements lointains se font entendre à ce moment-là.

MEHMENE BANU, au vizir - Qu'est-ce que c'est?

LE VIZIR - Le peuple pleure ses morts. Je vous en avais fait part, majesté, la maladie se propage ...

MEHMENE BANU - Fermez les fenêtres ...

Le vizir et deux des gardes ferment les fenêtres. On n'entend plus les gémissements.

Vois-tu, maître Ferhad, nous ne sommes pas des êtres devant lesquels on se prosterne. Mais tu n'es guère différent de nous. Tu n'en as rien à faire des hommes qui pleurent leurs morts. Tu ne penses à rien si ce n'est à Sirin.

Un instant de silence.

Je te la donnerai, maître Ferhad. Es-tu prêt à la prendre? Et toi, que donneras-tu? Peux-tu creuser la montagne de Demirdag ? C'est cela ma condition. L'acceptes-tu?

FERHAD - Je l'accepte.

MEHMENE BANU - Ce travail peut durer quinze ans, voire vingt. Vingt années ...

FERHAD - Je l'accepte.

MEHMENE BANU - Peut-être que Sirin ne t'attendra pas si longtemps.

FERHAD - Je l'accepte.

MEHMENE BANU - Peut-être mourras-tu avant d'achever le travail.

FERHAD - Je l'accepte ...

Un long moment de silence. Mehmene Banu se met debout sur son trône.

MEHMENE BANU - Bien ... Alors, pars ...

Tout le monde sort, y compris les gardes. Mehmene Banu, s'assied, effondrée, sur son trône. Elle appuie sa tête sur son bras et pleure à gros sanglots.

Sirin, ma sœur, mon unique ... Ferhad ... Ferhad ... Ferhad ...

RIDEAU
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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