L'Encyclopédie sur la mort


Élégie (extraits)

Yasunari Kawabata

«Élégie», nouvelle de Kawabata, se présente comme un chant métapsychique, inspiré par les textes sacrés du bouddhisme enseignant la métempsycose. La narratrice manifeste sa nette préférence pour les récits de la métempsycose du Japon*et de l'Égypte* ancienne ainsi que de la mythologie grecque par rapport aux récits de la survie ou de l'immortalité* que l'on retrouve chez Dante* et dans l'ésotérisme de Swedenborg ou dans le spiritisme de Raymond Lodge. La métempsycose désigne la doctrine selon laquelle l'âme se réincarne dans un autre corps, humain, animal ou végétal. Le terme peut être considéré comme synonyme de «réincarnation» qui signifie nouvelle incarnation d'une âme dans un autre corps. Le spiritisme est la doctrine qui affirme comme possible la communication avec l'esprit des morts à l'aide de diverses pratiques. Fort de son expérience personnelle avec son défunt fils Raymond, Oliver J. Lodge affirme qu'il y a une vraie continuité de relation des vivants avec les morts (Raymond or Life and Death: With Examples of the Evidence for Survival of Memory and Affection after Death (London, Methuen & Co, 1916, traduit en français: Raymond ou la vie et la mort, Paris, Payot, 1920).
Quelle est navrante cette coutume des vivants d'invoquer les morts! mais comme elle est navrante surtout, cette croyance que l'être survit en conservant, dans un monde à venir, la forme qui fut déjà sienne dans un monde antérieur!

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Il m'est apparu depuis peu que les textes sacrés du bouddisme* sont des chants élégiaques, et j'y puise un réconfort indicible. Aussi, lorsque je vous invoque, vous qui êtes mort, j'aime infiniment mieux m'adresser à ce prunier vermeil, déjà chargé de boutons et placé devant moi dans le tokonoma, que de vous prêter, dans l'autre monde, l'aspect que vous empruntiez dans celui-ci. Pourquoi, d'ailleurs, cet arbuste tout proche, au nom familier, plutôt qu'une fleur ignorée d'un pays inconnu? Elle serait pour moi votre réincarnation; je vous lui parlerais tout aussi bien, tant je vous aime encore.

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Elle est bien terre à terre et plate, la vision de l'autre monde que les Occidentaux décrivent, fût -ce par la plume d'un Swedenborg ou d'un Dante, au regard de celui que les textes sacrés bouddhiques peuplent de bouddhas.

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Je crois qu'il n'existe aucun mythe tissé de rêves aussi riches que le dogme de la métempsycose. N'est-ce pas le plus beau poème élégiaque que l'homme ait jamais inventé? Cette croyance remonterait à l'époque des Védas, aux Indes. Ce doit donc être, à l'origine, le coeur même de l'Orient. N'empêche qu'il existe d'aimables légendes de fleurs dans la mythologie grecque, et le chant de Marguerite en prison, de Goethe*. En Occident aussi, les personnages réincarnés sous la forme d'animaux ou de végétaux sont plus nombreux que les étoiles.

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Le Chant de la Réincarnation, du Livre des Morts de l'Égypte ancienne*, est plus naïf; le vêtement d'Iris, de la mythologie grecque rayonne d'une lumière plus claire; la réincarnation d'Anémone révèle des joies plus fraîches. Dans la mythologie grecque, la lune et les étoiles, les animaux* et le plantes, tous ont rang de dieux- des dieux qui pleurent et qui rient, sous l'empire des mêmes sentiments que les hommes. Cela n'est-il pas frais comme de danser nu sur la gazon bien vert, sous un ciel pur.

Puis, ces dieux jouent à cache-cache, se transforment en herbes et en fleurs.
La jolie nymphe de la forêt devient une pensée, pour fuir les regards amoureux d'un jeune homme qui n'est pas son mari.
Daphné se transforme en laurier pour échapper au lubrique Apollon et préserver sa virginité.
Adonis, le beau garçon, renaît sous la forme d'une anémone pour consoler Vénus, sa maîtresse désespérée de sa mort, tandis qu'Apollon, pleurent le jeune et séduisant Hyacinthe, métamorphose en fleur son giton.

[...]

À l'annonce de votre mort, j'ai frémi de crainte, et j'ai ressenti, plus fortement encore, l'envie de devenir une fleur sauvage. L'ardente légion des soldats de l'esprit, où s'engagent les âmes d'ici-bas et celles de l'au-delà, combat les modes de pensées de ceux que la mort ou la vie ont séparés; lance un pont qui les relie; anéantit enfin la tristesse que la mort dispense en ce monde. Voilà ce qu'affirment les spirites.

Moi, pourtant, plutôt que de recevoir les témoignages d'amour venant du pays de l'esprit; plutôt que de me survivre, toujours amante, dans l'hadès ou dans la vie future, je préfère devenir avec vous fleur de prunier vermeil, fleur de laurier-rose. Alors les papillons qui butinent le pollen nous uniront.

Alors, je n'aurais plus besoin d'invoquer les morts, selon la navrante coutume des vivants.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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