Bourgeoisie
« L'affranchissement des communes du XIe siècle a été le fruit d'une véritable insurrection, d'une véritable guerre, guerre déclarée par la population des villes à ses seigneurs. Le premier fait qu'on rencontre toujours dans de telles histoires, c'est la levée des bourgeois qui s'arment de tout ce qui se trouve sous leur main; c'est l'expulsion des gens du seigneur qui venaient exercer quelque extorsion; c'est une entreprise contre le château ; toujours les caractères de la guerre. (...)
(...) Quoique tout demeurât local, il se créa pourtant, par l'affranchissement, une classe générale et nouvelle. Nulle coalition n'avait existé entre les bourgeois: ils n'avaient, comme classe, aucune existence publique et commune. Mais le pays était couvert d'hommes engagés dans la même situation, ayant les mêmes intérêts, les mêmes mœurs, entre lesquels ne pouvait manquer de naître peu à peu un certain lien, une certaine unité qui devait enfanter la bourgeoisie. La formation d'une grande classe sociale, de la bourgeoisie, était le résultat nécessaire de l'affranchissement local des bourgeois.
Il ne faut pas croire que cette classe fût alors ce qu'elle est devenue depuis. Non seulement sa situation a beaucoup changé, mais les éléments en étaient tout autres : au XIIe siècle elle ne se composait guère que de marchands, de négociants faisant un petit commerce, et de petits propriétaires, soit de maisons, soit de terre, qui avaient pris dans la ville leur habitation. Trois siècles après, la bourgeoisie comprenait, en outre, des avocats, des médecins, des lettrés de tous genres, tous les magistrats locaux. La bourgeoisie s'est formée successivement, et d'éléments très divers : on n'a tenu compte, en général, dans son histoire, ni de la succession, ni de la diversité. Toutes les fois qu'on a parlé de la bourgeoisie, on a paru la supposer, à toutes les époques, composée des mêmes éléments. Supposition absurde. C'est peut-être dans la diversité de sa composition aux diverses époques de l'histoire qu'il faut chercher le secret de sa destinée. Tant qu'elle n'a compté ni magistrats, ni lettrés, tant qu'elle
n'a pas été ce qu'elle est devenue au XVIè siècle, elle n'a eu dans l'Etat ni le même caractère, ni la même importance. Il faut voir naître successivement dans son sein de nouvelles professions, de nouvelles situations morales, un nouvel état intellectuel, pour comprendre les vicissitudes de sa fortune et de son pouvoir.»
Extrait tiré du site de David Colon, professeur, Sciences Po
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L'avènement de la bourgeoisie industrielle selon Marx et Engels
«L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes de classes.
Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs, maîtres de jurande et compagnons, en un mot, oppresseurs et opprimes, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée ; une guerre qui finissait toujours ou par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou par la destruction des deux classes en lutte.
Dans les premieres époques historiques, nous constatons presque partout une division hiérarchique de la société, une échelle graduée de positions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens et des esclaves ; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres, des compagnons, des serfs ; et, dans chacune de ces classes, des gradations spéciales.
La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer aux anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte.
Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'ère de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps opposés, en deux classes ennemies : la bourgeoisie et le prolétariat.
Des serfs du moyen âge naquirent les éléments des premières communes ; de cette population municipale sortirent les éléments constitutifs de la bourgeoisie.
La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action. Les marchés de l'Inde et de la Chine, la colonisation de l'Amérique, le commerce colonial, l'accroissement des moyens d'échange et des marchandises imprimèrent une impulsion inconnue jusqu'alors au commerce, à la navigation, à l'industrie et assurèrent, en conséquence, un rapide développement à l'élément révolutionnaire de la société féodale en dissolution.
L'ancien mode de production ne pouvait plus satisfaire aux besoins qui croissaient avec l'ouverture de nouveaux marchés. Le métier, entouré de privilèges féodaux, fut remplacé par la manufacture. La petite bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande ; la division du travail entre les différentes corporations disparut devant la division du travail dans l'atelier même.
Mais les marchés s'agrandissaient sans cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, elle aussi, devint insuffisante ; alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture; la petite bourgeoisie manufacturière céda la place aux industriels millionnaires — chefs d'armées de travailleurs —, aux bourgeois modernes.
La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l'Amérique. Le marché mondial accéléra prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, de tous les moyens de communication. Ce développement réagit à son tour sur la marche de l'industrie ; et, au fur et à mesure que l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan les classes transmises par le moyen âge.
La bourgeoisie, nous le voyons, est elle-même le produit d'un long développement, d'une série de révolutions dans les modes de production et de communication.»
MARX et ENGELS, Manifeste du Parti communiste, 1847.