Dieu et soi
L'occidental qui veut se connaître lui-même a intérêt à se rappeler que le Dieu d'Augustin n'était pas seulement la raison ultime du monde qui nous entoure, qu'il était la source même de la subjectivité. « L'homme occidental actuel, si éloigné qu'il se prétende de ses origines, ne peut pas porter allègrement la mort de ce Dieu. »
La chose se passait au début du Ve siècle. Mais avant Augustin, depuis les premiers témoins du récit biblique, tout au long de la tradition judaïque et judéo-chrétienne, et après Augustin, jusqu'au croyant contemporain, la même conviction et la même démarche se retrouvent, celles qui conduisent de l'immanence de la vie subjective la plus intime à l'exigence d'une absolue transcendance. Le fait est remarquable et hautement significatif pour notre propos. Le Dieu dont la modernité occidentale a entrepris de faire le deuil n'était pas que le principe explicatif, la raison ultime du monde qui nous entoure. Il était la source même de la subjectivité. L'Occident chrétien verra en lui une Personne et le fondement de notre être personnel, si la personne, selon la vision profonde de la théologie médiévale, que retrouve à sa manière certaine psychologie contemporaine, consiste essentiellement en une relation à l'autre. L'homme occidental actuel, si éloigné qu'il se prétende de ses origines, ne peut pas porter allègrement la mort de ce Dieu.
L'un des esprits les plus pénétrants et les plus vastes de notre histoire, qu'il a marquée de manière décisive, Augustin d'Hippone avait trouvé au fond de lui-même un Dieu dont la modernité dit qu'il est introuvable, ou qu'il n'existe pas. Le constater, c'est sans doute prendre une première mesure de la difficulté pour l'homme occidental actuel d'assurer sa cohérence et de se réconcilier avec son passé et avec lui-même. »