Saint Augustin, un homme exceptionnel

Gérald Allard
L'auteur a enseigné la philosophie pendant plus de trente ans au CÉGEP de Sainte-Foy et à l’Université Laval. Auteur de monographies notamment sur Machiavel, Montaigne, La Boétie et Rousseau, il est également un conférencier expérimenté. Il affectionne les penseurs de l’Antiquité, notamment Xénophon, Platon et Augustin. 

Texte d'une conférence prononcée le 25 juin 2023, l'occasion du cours de latin intensif au monastère de Saint-Benoît-du-Lac. Cette conférence porte sur le dixième livre des Confessions dans lequel saint Augustin nous livre quelques-uns des secrets de son christianisme et de son exceptionnalité.

Je suis ici cet après-midi pour parler d’Augustin, cet homme exceptionnel. Il a été Augustin de Thagaste en Afrique, où il est né d’un fonctionnaire romain, Patricius, et d’une femme berbère, Monique. Il a été Augustin de Milan, quand il a poursuivi une carrière de professeur de rhétorique que voulait pour lui son père ambitieux. Il a été Augustin d’Hippone, en tant qu’évêque chrétien d’une ville importante de l’Afrique romanisée, comme l’avait espéré sa mère, une chrétienne pieuse. Elle a reçu le nom de sainte Monique, entre autres, parce que ses prières ont été à la source de la conversion de son fils exceptionnel. Augustin a vécu à l’époque, si importante, de la double transformation de l’Empire romain d’Occident, L’Empire romain païen est devenu chrétien sous Constantinus, un peu avant la naissance d’Augustin, et il a été envahi par ce qu’on appelait les Barbares ou les Vandales sous l’empereur Valentinianus, alors qu’Augustin mourait à Hippone.

Voilà pour le contexte politico-religieux exceptionnel dans lequel a vécu Augustin. Mais il n’est pas exceptionnel seulement parce qu’il a vécu à Thagaste, à Milan et à Hippone durant une époque exceptionnelle de l’histoire de l’Occident. Augustin est exceptionnel parce qu’il est saint Augustin. Un saint – et sans aucun doute, saint Augustin ne prétendait pas en être un – c’est un pécheur – et saint Augustin reconnaissait tout à fait en être un – mais un pécheur qui a suivi le Christ, comme tant de gens le faisaient à cette époque, un pêcheur qui a cherché et réussi à porter le nom de son sauveur d’une façon exceptionnelle en vivant d’une façon exceptionnelle.

De plus, saint Augustin, pécheur exceptionnel et donc chrétien ordinaire, est un saint exceptionnel parce qu’il a beaucoup écrit et parce que, pourrait-on dire, sa façon de penser la vie chrétienne a été presque sans mesure. On doit reconnaître sans aucun doute, d’abord, qu’il est le docteur commun de l’Église du quatrième siècle jusqu’au douzième siècle, alors que Thomas d’Aquin, saint Thomas, lui aussi un chrétien exceptionnel, prend la relève. Mais saint Augustin est le docteur universel d’une Église qui n’est pas encore divisée par le schisme catholique/orthodoxe ; il fait partie des pères de l’Église une.

Saint Augustin est le docteur universel d’une Église qui n’est pas encore divisée par le schisme catholique/orthodoxe ; il fait partie des pères de l’Église une.

Or, à la fin du Moyen Âge, alors que saint Thomas prend pour ainsi dire toute la place dans l’Église dite catholique, saint Augustin ne disparaît pas pour autant, et même il devient exceptionnel d’une nouvelle façon : le christianisme nouveau, le protestantisme et, dans l’Église catholique, le jansénisme, sont augustiniens de bord en bord. Drôle de sort : saint Augustin est le rempart du christianisme uni et du catholicisme romain pendant huit siècles, pour devenir, malgré lui sans aucun doute, le théologien des rivaux du christianisme romain ; Luther, Calvin et Jansénius sont des disciples de saint Augustin [1].

Mais saint Augustin est un saint théologien exceptionnel en un autre sens encore. Son œuvre est immense. Il a écrit des centaines de sermons, de nombreux et brillants commentaires de l’Écriture sainte, des dizaines de traités contre les hérésies (le manichéisme, l’arianisme, le donatisme, le pélagianisme, le priscillianisme, et j’arrête là, parce qu’il y en a trop, et saint Augustin a lutté toute sa vie contre ce qui pullulait à l’époque et causait des problèmes politiques graves), des traités sur toutes les questions théologiques essentielles : sur la Trinité (son De Trinitate est un livre qui me fascine), sur la liberté humaine face à la toute-puissance divine, sur le jeu entre la politique et la foi, sur le péché originel, sur le jeu entre la philosophie et la théologie, et sur plusieurs questions morales, comme le célibat et la mort et le mensonge (mon sujet préféré). Il est aussi l’auteur d’une règle dite de saint Augustin, dont s’inspirent des dizaines de communautés religieuses. Saint Augustin est un docteur commun tous azimuts, si vous me permettez l’expression.

Je ne signale qu’un exemple de la réflexion puissante et essentielle de saint Augustin. Et je le fais en résumant en une seule phrase un livre de centaines de pages, soit son De la cité de Dieu. « Deux amours ont donc bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité de la Terre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste. » Et même je la dirai en latin ; « Fecerunt itaque civitates duas amores duo, terrenam scilicet amor sui usque ad comtemptum dei, cælestem uero amor dei usque ad comptemtum sui. »

Mais comme je cite saint Augustin, je ne peux pas m’en tenir à ce petit bout que bien des gens connaissent, et qu’ils répètent sans avoir lu son De civitate Dei. Je continue donc en français : « L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur. L’une demande sa gloire aux hommes, l’autre met sa gloire la plus chère en Dieu, témoin de sa conscience. L’un, dans l'orgueil de sa gloire, marche la tête haute ; l’autre dit à son Dieu : “ Tu es ma gloire et c'est toi qui élèves ma tête. ” Celle-là, dans ses chefs, dans ses victoires sur les autres nations qu’elle dompte, se laisse dominer par sa passion de dominer. Celle-ci, nous représente ses citoyens unis dans la charité, serviteurs mutuels les uns des autres, gouvernants tutélaires, sujets obéissants. Celle-là, dans ses princes, aime sa propre force. Celle-ci dit à son Dieu : « Seigneur, mon unique force, je t'aimerai (Cité de Dieu, XIV.28.1). ” » Je ne sais pas si vous avez les mêmes goûts que moi, mais je trouve que saint Augustin écrit avec profondeur, puissance et proportion. Et il est encore là un homme exceptionnel. Et je ne suis pas du tout étonné par le fait que son premier livre, écrit alors qu’il n’était pas encore un chrétien, a été un traité de musique ; l’écrivain, le prêcheur, le penseur Augustin est un passionné de rythme, de sonorité et de beauté.

Je ne suis pas du tout étonné par le fait que son premier livre, écrit alors qu’il n’était pas encore un chrétien, a été un traité de musique ; l’écrivain, le prêcheur, le penseur Augustin est un passionné de rythme, de sonorité et de beauté.

En revanche, tout en reconnaissant l’importance de la Cité de Dieu, qui offre, comme vous l’avez entendu, une des critiques les plus dures et les plus claires de la civilisation gréco-romaine, j’aime saint Augustin – et je tiens à ce mot aime – parce qu’il est aussi un homme qui connaît la civilisation qu’il critique et qu’il n’a pas craint d’entrer en dialogue avec elle.

Aussi, pour moi, plus grands encore que la gigantesque Cité de Dieu, sont les textes qu’on appelle les Trois dialogues de Cassiacium, soit le Contre les Académiciens, le De l’ordre et le De la vie bienheureuse. Ces textes m’ont intéressé au plus haut point quand j’ai commencé en philosophie, et j’y retourne encore aujourd’hui quand je veux me souvenir comme il faut de ce qu’est le christianisme. Je m’en sers non seulement parce que saint Augustin écrit bien, comme je l’ai dit, non seulement parce que sa voix authentique fait entendre à la fois les dogmes chrétiens, mais aussi la joie des chrétiens des premiers siècles. J’y retourne souvent aussi – et j’y suis retourné pour préparer ces remarques – parce que je rencontre là un chrétien nouvellement converti qui écrit des dialogues qui ressemblent à ceux de Platon, par lesquels il incite des gens nourris, élevés et éduqués par Platon à se libérer des limites de la philosophie gréco-romaine et à passer sous le joug intellectuel du Christ libérateur. Mais il fait tout cela en donnant une voix à ce qu’il veut dépasser et faire dépasser.

Dernièrement, Pierre Manent a publié un livre qui porte le titre Pascal et la proposition chrétienne ; le professeur Manent s’adresse aux Européens postchrétiens pour leur rappeler le christianisme et la proposition intellectuelle et morale dont il est l’expression. J’ai bien aimé le livre, difficile, mais je me disais à chaque page qu’on aurait mieux fait de tourner le regard des gens vers saint Augustin et sa proposition chrétienne.

Dans l’espoir de faire entendre tout cela, je citerai donc le maître de Pascal. En tout cas, un de mes passages préférés de ces trois dialogues est un brin de conversation entre saint Augustin et sa mère, sainte Monique. Ça se trouve dans le traité qui porte le titre : De l’ordre. Saint Augustin, emporté par une remarque de sa mère qui écoutait la discussion, fit son éloge comme suit : « “ Je ne veux pas, ma mère, que tu ignores le sens du mot grec qui désigne la philosophie ; il signifie en latin ‘ amour de la sagesse ’. De là vient que les saintes Écritures, que tu médites avec tant d'ardeur, n’ordonnent pas d'éviter et de mépriser absolument tous les philosophes, mais les philosophes de ce monde. Qu’il y ait un autre monde élevé bien au-dessus de nos yeux, et que peut contempler la seule intelligence des hommes sensés, le Christ lui-même nous l'enseigne suffisamment. Il ne dit point : ‘ Ma royauté n’est pas du monde ’, mais, ‘ Ma royauté n'est pas de ce monde. ’ Vouloir nous éloigner de toute philosophie serait nous condamner à n’aimer point la sagesse, et mes écrits contiendraient donc un blâme contre toi, si tu n’aimais pas la sagesse ; nul blâme si tu l’aimais médiocrement ; bien moins encore si ton amour pour la sagesse égalait le mien. Mais comme tu aimes la sagesse beaucoup plus que tu n’aimes ton fils lui-même, et je sais pourtant combien tu l’aimes; comme tu y fais tant de progrès que, ni le malheur, quelque subit qu'il soit, ni la mort même ne te causeraient aucun effroi, ce qui, aux yeux des plus doctes est la difficulté suprême, et de l'aveu de tous, le point culminant de la philosophie, ne serai-je pas heureux de me faire même ton disciple ? ” / Elle me dit d’un air agréable et religieux que je n’avais jamais autant menti… (De l’ordre I.11.32-33) » Et le premier livre du traité finit ainsi. Saint Augustin joue avec les mots amour et sagesse en les répétant et en les attribuant à sa mère. Mais il ajoute en souriant que sa maman, qui aimait tant la sagesse chrétienne, a disputé son fils en devinant qu’il mentait quand il l’identifiait sans plus à la philosophie ancienne qu’elle ne pratiquait pas du tout. En latin, cela donne : « Hic illa cum blande ac religiose nunquam me tantum mentitum esse dixisset … Et je suis charmé par cet humour de saint Augustin. Si on en croit Thomas More – cet autre saint que j’aime tant et qui a beaucoup reçu de saint Augustin –, un chrétien n’est pas porté à rire. Et je trouve que saint Augustin fait la preuve que saint Thomas More se trompe : comme le Christ, saint Augustin sait rire et faire rire. Et il aime sa mère comme le devrait tout fils respectable, et surtout un fils de sainte Monique, comme le faisait le Christ avec sa propre mère.

« Les treize livres de mes Confessions célèbrent dans mes bonnes et dans mes mauvaises actions la justice et la bonté de Dieu, et excitent l’âme humaine à le connaître et à l’aimer. »

Je voudrais pouvoir parler aujourd’hui de ces dialogues brillants de saint Augustin, mais je crois qu’il est plus utile et plus prudent de tourner nos regards vers l’œuvre la plus puissante ou du moins la plus populaire de saint Augustin. Ce n’est pas moi qui en juge ainsi. Dans ses Retractations que saint Augustin a écrites à la fin de sa vie pour revenir sur l’ensemble de ses œuvres, en faire la critique et les corriger là où il le fallait, il témoigne comme suit : « Les treize livres de mes Confessions célèbrent dans mes bonnes et dans mes mauvaises actions la justice et la bonté de Dieu, et excitent l’âme humaine à le connaître et à l’aimer. C’est du moins l’effet qu’elles ont produit sur moi quand je les ai écrites, et qu’elles produisent encore quand je les lis. Ce que les autres en pensent, c’est leur affaire ; je sais toutefois que cet ouvrage a beaucoup plu et plaît encore à beaucoup de mes frères. » Et je suis ici pour vous dire que c’est certainement mon cas. Et je m’arrête ici pour faire comme on fait dernièrement à la télé quand on présente des émissions problématiques : « La conférence présentée peut contenir des éléments nuisibles ou choquants pour certaines catégories de personnes. La discrétion de l’auditeur est recommandée. »

J’ajoute qu’il me semble que saint Augustin est, sans doute sans le vouloir, l’initiateur d’un genre littéraire puissant : l’autobiographie. Avant lui, personne n’a écrit à la première personne pour parler de soi : Xénophon ne l’a pas fait, Platon non plus, même César ne l’a pas fait – et qui a eu un ego plus grand que César – et Socrate, comme tout le monde le sait, n’a jamais écrit. Mais après les Confessions, à la suite de l’expérience de la lecture des Confessions de saint Augustin, les Occidentaux ont découvert le pouvoir étrange de ce genre d’écrit. En tout cas, quand je lis les Essais de Montaigne, je reconnais que comme saint Augustin dans ses Confessions, l’auteur est « lui-même la matière de son livre ». Et Jean-Jacques Rousseau a poussé la chose encore plus loin. Non seulement raconte-t-il comme saint Augustin des détails insignifiants de sa vie, mais, comme lui, il s’en sert pour proposer des idées cruciales sur les mêmes thèmes que saint Augustin ; mais souvent, il le fait pour en renverser les thèses [2]. Depuis, les autobiographies ont plu et continue de pleuvoir, comme nous le savons tous, et sans aucun doute, la qualité de ces écrits a baissé considérablement : on a droit jusqu’à plus soif, à des confessions de vedettes à deux sous, qui se justifient bêtement ou pis encore qui se montrent des vertuistes irritants ; ils comptent sur notre curiosité malsaine pour monter sur scène et faire leur spectacle d’une nouvelle façon et recevoir nos applaudissements ou notre indignation, les uns et l’autre étant autant désirés.

D’ailleurs, saint Augustin est conscient du problème ou du danger que comportent ses Confessions. En tout cas, il imagine qu’on puisse lire son livre pour les mauvaises raisons, et il rappelle ce qu’il espère, voire ce qu’il exige, de son lecteur. Par exemple, au tout début du dixième livre des Confessions, après avoir mis en mots son désir le plus profond, « Que je te connaisse, mon connaisseur, que je te connaisse comme je suis connu (Confessions X.1.1) », après cela, saint Augustin décrit un lecteur malhonnête. « Gens curieux de la vie d’autrui, oisive à corriger la leur ! Pourquoi cherchent-ils à entendre de moi qui je suis, eux qui ne veulent pas entendre de toi ce qu’ils sont ? Et d’où savent-ils, lorsqu’ils entendent parler de moi par moi, si je dis vrai, puisque personne ne sait ce qui se passe dans l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui-même (Confessions X.3.3) ? » Mais saint Augustin ajoute tout de suite : « Désirent-ils se réjouir avec moi, lorsqu’ils entendront combien j’ai eu accès à toi par ton don, et prier pour moi, lorsqu’ils entendront combien je suis retenu par mon poids ? À de tels lecteurs, je me révélerai (Confessions X.4.5). »

Ce passage est magnifique pour bien des raisons. Mais je m’arrête sur un détail peu important, du moins à première vue : saint Augustin joue avec le verbe connaître. « Que je te connaisse, mon connaisseur, que je te connaisse comme je suis connu », ou en latin : « cognoscam te, cognitor meus, cognoscam sicut et cognitus sum. » Un jeu sans doute, mais un jeu qui atteint le cœur de son livre et le cœur de son auteur et qui vise le cœur de son lecteur. Saint Augustin veut voir Dieu, et il veut être vu de lui, et s’il se montre à nous dans son livre, c’est parce qu’il espère qu’il en sera autant pour nous et que nous commencerons ainsi, à partir des Confessions, l’exercice de notre conversion.

Et voilà que je me suis donné la permission d’examiner quelques-uns des jeux de mots de saint Augustin. Et je commence par le premier mot du livre, le titre. Que sont les Confessions ? Ce sont des pages magnifiques où saint Augustin se confesse et confesse la vérité chrétienne. Or se confesser et confesser, soit le même verbe, ne dit pas tout à fait la même chose. On se confesse quand on reconnaît ses fautes : j’ai volé des poires quand j’étais jeune ; j’ai triché pour être le vainqueur dans des jeux d’enfants ; j’ai vécu dans le péché avec une femme et j’ai eu un enfant avec elle, mon cher Adeodatus, mon cher donné par Dieu. Voilà quelques-unes des fautes que confesse saint Augustin. On pourrait dire que les neuf premiers livres des Confessions sont autant de confessions de ce genre. Et son autobiographie de pécheur prend fin avec le récit de sa conversion et puis avec celui de la mort de sa mère. Car la mort de Monique, sainte Monique, laissa son fils pour ainsi dire inconsolable. Ce dont il se confesse d’ailleurs. Je ne peux m’empêcher de répéter ce passage qui me bouleverse chaque fois. Il raconte la nuit qui a suivi la mort de sa mère.

« Je pris plaisir à pleurer devant toi, sur elle et pour elle, sur moi et pour moi. Je lâchai les larmes que je retenais, pour les laisser couler autant qu’elles voudraient et en faire un lit sous mon cœur. Il y trouva son repos, car tu étais là prêtant l’oreille, toi, et non pas quelque homme qui eût avec superbe interprété mes pleurs. Et maintenant, Seigneur, j’écris cette confession pour toi. Lise qui voudra ! qu’on interprète comme on voudra ! Et si quelqu’un trouve que j’ai péché en pleurant ma mère durant quelques minutes, cette mère qui était morte pour un temps à mes yeux, mais qui avait pleuré durant de nombreuses années pour me faire vivre à tes yeux, qu'il ne se moque point ; mais plutôt, s’il est homme de grande charité, qu’il pleure lui-même pour mes péchés, devant toi, le Père de tous les frères de ton Christ (Confessions IX.12.33) »

Voilà saint Augustin : un fait banal est raconté avec passion, mais en y ajoutant une profondeur, comment dire, toute chrétienne. Car quand saint Augustin se confesse, il est toujours en train de confesser les vérités du christianisme.

Voilà saint Augustin : un fait banal est raconté avec passion, mais en y ajoutant une profondeur, comment dire, toute chrétienne. Car quand saint Augustin se confesse, il est toujours en train de confesser les vérités du christianisme. Et ce jeu de mots au moyen du verbe confiteor est essentiel pour lire son livre et même pour en saisir la structure. Car cette autobiographie finit avant de finir : comme je l’ai dit, saint Augustin cesse de raconter sa vie après le récit de sa conversion et celui de la mort de Monique. Mais ce livre qui finit mal, continue après sa fin, et saint Augustin ne cesse pas d’écrire : le livre neuf est suivi de quatre livres qui changent tout à fait le fond de ce qui est abordé. Le livre dixième offre une anthropologie, soit une analyse de la nature humaine, le livre onzième propose une théorie du temps, le livre douzième décortique le premier verset de la Bible, et le livre treizième, le plus étrange de tous, chante une sorte de théologie divine sertie de citations de l’Écriture sainte. Je suggère que c’est le premier rap/sampling de l’histoire humaine, inventée par cet homme exceptionnel qu’est saint Augustin. Je propose donc que saint Augustin se confesse pendant neuf livres et qu’ensuite il confesse les premières vérités chrétiennes pendant les quatre derniers livres.

Fort bien. Mais ce premier jeu de mots, qui est celui du titre même du livre, est suivi d’un grand nombre d’autres. J’en propose quelques-uns, qui m’intéressent tout particulièrement. Et donc au tout début du livre dixième, saint Augustin explique ce qu’il a fait jusque-là, soit raconter quelques événements de sa vie. « Quant aux autres biens de cette vie, il faut d’autant moins les pleurer qu’on ne les pleure plus, et il faut d’autant plus les pleurer qu’on pleure moins en elles (Confessions X…) ! » Soit en latin : « cetera vero vitae huius tanto minus flenda, quanto magis fletur, et tanto magis flenda, quanto minus fletur in eis. » Voici ce que j’y comprends. Il y a les choses de cette vie, soit les événements quotidiens en eux-mêmes ; un bon chrétien doit voir qu’ils ont été souvent occasion de mal faire ; en conséquence, plus on regrette ces occasions ratées (et plus on les pleure), plus on doit en être satisfait et ne pas pleurer sur soi ; mais aussi moins on reconnaît le mal qu’on a fait alors (et moins on les pleure), plus on devrait pleurer d’être encore pécheur. En somme, saint Augustin joue avec les mots, mais c’est pour confesser une vérité morale chrétienne, soit que la vie du chrétien est vécue selon des règles toutes nouvelles ; un chrétien est un nouvel homme, qui vit une nouvelle vie selon un nouveau testament.

Je propose un autre exemple. Vers la fin du même livre dixième, saint Augustin parle des efforts qu’il faut faire pour suivre la loi de Dieu et être droit et honnête et un bon chrétien. C’est difficile, et même c’est pour ainsi dire impossible. Mais il se tourne alors vers Dieu (à qui il parle depuis le début de son livre pour se confesser) et ajoute cette prière. « Donne-moi ce que tu ordonnes, et ordonne ce que tu veux (Confessions X.29.40). » Comme toujours, je le répète sous sa forme originelle, soit en latin :« da quod iubes et iube quod vis. »

Que dit cette phrase étrange qui ressemble à un slogan publicitaire accrocheur ? La loi de Dieu, mettons les dix commandements, qui exigent qu’on ne mente pas, qu’on ne vole pas le bien des autres, et même qu’on ne désire pas le faire, la loi de Dieu, qu’on appelle parfois le décalogue, est exigeante. Un vieux monsieur comme moi dirait même qu’elle est impossible. Passe encore pour le mensonge et le vol : la police et les punitions humaines suffisent en gros pour m’empêcher de le faire, ou du moins de le faire souvent. Mais peut-on ne pas rêver d’avoir les choses des autres, ni d’éviter une situation difficile en racontant ce qu’on appelle un mensonge pieux ? Faut-il même ne pas convoiter, désirer, rêver qu’on vole et qu’on mente ? Voyons donc.

À cela saint Augustin répond par une prière qui est en même temps la confession d’une vérité chrétienne essentielle : Dieu est la source des commandements, mais il est aussi la source de la grâce ; et la grâce peut tout. Elle peut même faire des miracles, elle peut rendre possible l’impossible ; elle peut même faire d’un homme comme moi un chrétien, un vrai chrétien. Et donc : « Donne-moi ce que tu ordonnes, et ordonne ce que tu veux. » Et si vous pensez que saint Augustin dit cela comme en passant dans cette partie de son livre, j’affirme au contraire que quand on lit les Confessions de saint Augustin, on entend sans cesse ce jeu de mots devenu une prière et en même temps une affirmation théologique.

J’en arrive à un dernier jeu de mots qui est peut-être le plus important de tous, mais qui est si ordinaire qu’il est pour ainsi dire invisible. Mon Dieu, que je vais tenter quelque chose de difficile. Soit dit en passant, « mon Dieu » se dit en latin au moyen d’une sorte de rime : Deus meus, et donc au moyen d’une sorte de jeu de mots. Les deux mots se déclinent, et cela reproduit chaque fois une rime : soit Dee mee, Dei mei, Deo meo, Deo meo et enfin Deum meum. Les érudits parmi vous reconnaissent là les cas de la première déclinaison. Et voilà que saint Augustin fait entendre en quoi un chrétien est un chrétien, et ce qui fait que son Dieu, mon Dieu, n’est pas le Dieu de la civilisation gréco-romaine.

Car le Dieu chrétien me connaît, et me connaît au point que je suis sous son regard bon et aimant et puissant à tout moment ; Dieu me voit moi et ce que je fais sans doute, mais aussi moi et ce que je ressens et moi et ce que je pense. Les dieux poétiques des Grecs et des Romains n’étaient pas ainsi, d’abord parce qu’ils étaient auprès des héros et non des gens ordinaires, et ensuite parce qu’ils étaient puissants, mais pas tout-puissants, et enfin parce qu’ils connaissaient bien des choses, sans être omniscients. Et les dieux philosophiques, qui pouvaient les remplacer ou les compléter, étaient des forces de la nature qui ne pensaient pas aux individus, trop occupés qu’ils étaient de gérer le Tout dans son ensemble.

« Mon Dieu », donc et « Deus meus » donc, qu’est-ce à dire ? C’est d’abord dire que mon Dieu me parle et me parle à moi en m’appelant par mon prénom. Les Écritures saintes sont pleines d’exemples de cet appel, de cette vocation, qui vient du verbe latin vocare, qui signifie appeler. Je prends d’abord Abraham, celui qu’on appelle le père de la foi. Le passage crucial, qui introduit à la scène du sacrifice d’Isaac, commence comme suit. « Après ces choses, Dieu mit Abraham à l'épreuve, et lui dit: “ Abraham ! ” Et il répondit: “ Me voici ! ” » Et voilà, tout est dit : le Créateur de tout ce qui existe parle à Abraham en le nommant, en utilisant le nouveau prénom qu’il lui a donné, et Abraham répond à son Dieu, en disant moi, ou plus exactement : « Me voici. » et il sait qu’il est reconnu dans son individualité.

Cette scène, toute simple, mais tout à fait révolutionnaire, est répétée souvent dans la Bible. Et les chrétiens se montrent fils du même Dieu que les Juifs, entre autres parce qu’ils ont la même relation face à face, personne à personne, avec Dieu. Parmi tant d’exemples de vocations chrétiennes, je choisis celle, si dramatique, de Paul. « Comme il était en chemin, et qu'il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait: “ Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? ” Il répondit : “ Qui es-tu, Seigneur? ” Et le Seigneur dit: “ Je suis Jésus que tu persécutes. ” »

Je m’arrête pour signaler à ceux parmi vous qui aimer la peinture que ce genre de scène est répétée sans cesse dans l’iconographie chrétienne, et les plus grands artistes ont tenté de représenter pour nos yeux ces moments essentiels. Que ce soit la vocation d’Abraham, ou l’appel de Paul, ou encore le « Ne me touche pas » de Jésus à Marie de Magdala, c’est toujours la même vérité qui est dite : « Ne me touche pas », soit en latin « Noli me tangere », cela signifie que Jésus, ressuscité, Jésus ayant transcendé les apparences pourtant réelles de son humanité, Jésus apparaissant enfin comme le Fils, connaît l’individu à qui il s’adresse : il connaît Marie, il sait qu’elle l’aime et qu’elle l’aime de tout son corps peut-être, et il lui dit comment il faudra qu’elle aime dorénavant, soit sans le toucher. Le Dieu chrétien est un Dieu personnel, et le chrétien est connu de bord en bord, depuis toujours et pour toujours, dans son individualité la plus intime.

Parmi toutes ses scènes peintes, je signale ma préférée, soit la Vocation de Matthieu de Caravaggio. Je l’aime parce qu’on y voit bien des choses, mais surtout peut-être le bouleversement qu’implique cette façon de penser et de dire et de vivre avec Dieu, avec Emmanuel, soit Dieu parmi nous [3]. Je vous invite à chercher cette peinture sur Internet et à l’examiner lentement, et à penser en la regardant. Et à penser au jeu de mots de saint Augustin : « Deus meus ».

Depuis le presque début de cette conférence, je parle des Confessions, et je tire la plupart de mes remarques de son livre dixième. J’aimerais continuer un peu. Pour toutes sortes de raisons, mais surtout parce qu’on y trouve une analyse psychologique qui est une des merveilles de la civilisation occidentale. Comme certains le savent, le livre onzième propose une analyse géniale du temps et donc de la condition humaine. Ne pas avoir lu le livre onzième, c’est se priver d’un des textes les plus beaux et les plus profonds et les plus vrais qui existent. Mais je crois que le livre dixième offre quelque chose de plus grand encore.

Dans cette partie des Confessions, saint Augustin cherche Dieu, ou plutôt, il cherche à retrouver Dieu en analysant tout ce qui existe tel que cela apparaît à la personne ordinaire ; c’est une sorte de phénoménologie religieuse, qu’il offre à son lecteur pour qu’il en reprenne les pas. Saint Augustin passe par le monde physique, puis par le monde vivant et enfin par la conscience humaine, et il en arrive à la mémoire. Et pendant de longues pages, il examine ce que j’appelle les paradoxes de la mémoire. Je vous en fais grâce, ou plutôt je vous prive de cette analyse, pour en arriver au point où je veux m’arrêter.

S’il traite de la mémoire, saint Augustin doit aussi examiner la mémoire dans ses imperfections, soit pour autant qu’elle contient aussi l’oubli. Cela nous donne des passages merveilleux comme le suivant, qui vaut l’analyse infinitésimale du temps offerte dans le livre onzième. « Mais quoi ! Lorsque la mémoire elle-même perd quelque chose, comme il arrive quand nous oublions et nous cherchons pour nous souvenir, où cherchons-nous enfin si ce n’est dans la mémoire ? Et là, si une chose est offerte pour une autre, nous la rejetons jusqu’à ce qu’arrive ce que nous cherchons. Et lorsque cela arrive, nous disons : “ C’est ça ”. Ce que nous ne dirions pas, si nous ne la reconnaissions pas, et nous ne reconnaîtrions pas, si nous ne nous en souvenions pas. Certes donc nous avions oublié. » Et pourtant, ajoute-t-il, ce qui était oublié était encore dans la mémoire, mais sans y être.

De ce phénomène bizarre, mais que chacun peut reconnaître, parce qu’il est banal au point d’être oublié, saint Augustin tire une explication sidérante de l’insatisfaction humaine. Car nous savons tous que nous sommes des désirs sur deux pattes. Tout ce que nous faisons, nous le faisons parce que nous imaginons un bien et que nous cherchons à l’atteindre, à le capturer et à le garder. Mais nous savons tous que nos désirs à la pièce, désirer manger, comme avant cette conférence, désirer apprendre, comme durant cette conférence, désirer être applaudi, comme, je l’espère, il m’arrivera après cette conférence, tous nos désirs sont pour ainsi dire les branches d’un arbre qui porte le nom bonheur. Nous croyons tous, nous vivons tous à chaque moment, depuis notre naissance et jusqu’à notre mort, dans le flot du désir du bonheur, fait des millions de gouttes de désirs particuliers : quand nous aurons tout ce que nous désirons, nous aurons, nous le savons, ou du moins nous le croyons, et nous le croyons à la vie et à la mort, nous savons donc que nous aurons le bonheur. C’est si vrai que chacun des désirs particuliers satisfaits se fait sur un fond qui se dit comme ceci : « Mais ce n’est pas le bonheur, ce n’est pas tout à fait ce que je cherche. »

Et saint Augustin de se demander et de nous demander quel est le fondement de ce désir, de sa satisfaction décevante. Tous les autres désirs, nous le savons tout à fait, viennent d’une expérience de bien-être, mais aussi d’un besoin de retrouver ce bien-être accompagné d’un désir inassouvi : un désir est un manque, mais un manque de quelque chose dont on garde le souvenir. Voici un des passages où saint Augustin l’explique. « Mais je cherche si la vie heureuse est dans la mémoire. Car nous ne l’aimerions pas si nous ne la connaissions pas. Nous entendons ce nom, et tous nous avouons que nous avons l’appétit de la chose même : en effet, nous ne nous délectons pas du seul son. Car un Grec qui entend ce nom en latin ne s’en délecte pas, parce qu’il ignore ce qui est dit. Mais nous nous délectons de la vie heureuse comme lui s’il entend le nom grec, parce que la chose elle-même n’est ni grecque ni latine, cette chose que désirent vivement obtenir les Grecs et les Latins et les hommes de toutes les autres langues. Elle est connue de tous qui, si on pouvait les interroger pour savoir s’ils veulent être heureux, répondraient d’une seule voix qu’ils le veulent sans aucun doute. Ce qu’ils ne feraient pas s’ils ne tenaient pas dans leur mémoire la chose elle-même dont c’est le nom. »

Et saint Augustin de conclure qu’il faut que tous les êtres humains fassent l’expérience du bonheur. Mais ils en ont perdu le nom originel sans doute, ils ne peuvent pas le décrire, comme quelqu’un qui cherche un souvenir perdu.

Et saint Augustin de conclure qu’il faut que chaque être humain, quel que soit son âge, quel que soit son sexe, quelle que soit sa langue, quelles que soit ses expériences toutes personnelles, quelles que soit ses décisions existentielles, que tous les êtres humains fassent l’expérience du bonheur. Mais ils en ont perdu le nom originel sans doute, ils ne peuvent pas le décrire, comme quelqu’un qui cherche un souvenir perdu. Et saint Augustin offre à ces humains et donc à nous tous une suggestion : le bonheur que chacun cherche, celui que je cherche et que je ne trouve pas dans toutes ses satisfactions individuelles de la vie, ce bonheur est d’avoir été auprès de Dieu, lumière créatrice de tout ce qui existe et d’abord de moi qui cherche le bonheur.

Or cette vérité est le fond d’un grand secret de la vie : voici comment saint Augustin introduit ce thème à la fin de livre dixième. « Ô amour, qui brûles toujours et qui jamais ne s’éteins, charité, mon Dieu, embrase-moi ! Tu m’ordonnes la continence ; donne-moi ce que tu ordonnes, et ordonne ce que tu veux. Tu m’ordonnes certes que je me contienne par rapport à la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, et l’ambition du siècle (Confessions X.29.40-30.41). » Car il y a dans le cœur humain trois types de désirs nommés par saint Jean [4], trois désirs naturels qui sont trompeurs, pour autant qu’ils ne sont pas le désir fondamental. L’amour fondamental, la charité, l’amour de Dieu qui anime tout, est la version chrétienne de l’amour et donc de l’érôs des Grecs et l’amor des Romains.

Qu’est-ce à dire ? Nous sommes à la recherche d’un Bien qui est infini, et, par nos moyens, nous avons accès à des biens finis. Or paradoxalement, parce qu’il en est ainsi, nous nous trompons sans arrêt. Pour le dire de façon concrète et un peu comique, on a faim d’une nourriture saine, et on mange de la barbe à papa. (Dans mon cas, il faut remplacer la barbe à papa par la réglisse rouge, mais le principe est valide.) Or parce que nous nous trompons ainsi, nous nous trompons d’une autre façon : nous nous imaginons qu’en jouissant souvent et de plus en plus de ces biens devenus de plus en plus gros, nous retrouverons de l’infini dans le fini. Sans doute, le seul résultat concret sera que nous nous gâterons l’estomac et que nous nous ferons du mal plutôt que du bien, surtout avec un bien aussi évidemment imparfait et concret que la barbe à papa, ou que la réglisse rouge. Mais nous répéterons sans cesse l’erreur ; parfois, nous échangerons la concupiscence de la chair, et la barbe à papa, pour la concupiscence des yeux, et les potins de la presse à vedettes ; puis nous échangerons la concupiscence des yeux pour l’ambition du monde, et le vedettariat cheapette de La Voix. Et puis nous reviendrons vers la concupiscence de la chair, et nous ferons des rondes ridicules pendant toute une vie.

Au fond, propose saint Augustin, le christianisme, ou plutôt la foi chrétienne, celle qui a bouleversé sa vie comme elle a bouleversé celle d’Abraham et de Paul et de Marie de Madgala, une vie avec le Dieu qui s’est révélé dans les Écritures saintes, est la seule façon d’éviter cette ronde ridicule, basse et méchante. Voilà le message des Confessions, voilà ce que confesse saint Augustin en confessant qu’il a lui aussi été pris dans cette ronde.

J’ai commencé en disant de bien des façons que saint Augustin a été un humain exceptionnel. Je finirai en avouant que saint Augustin ne serait pas d’accord avec moi. Ou plutôt je reconnais qu’il serait d’accord à la condition qu’il puisse corriger ce que j’ai dit. Il me corrigerait d’abord, parce qu’il est un homme d’une grande humilité et que l’humilité est pour ainsi le terroir de la vie chrétienne ; puis, il me corrigerait parce qu’il prétendrait être n’importe qui et donc tout le contraire d’un humain exceptionnel [5]. Mais il corrigerait sa propre correction en reconnaissant qu’il est exceptionnel parce qu’il est aimé par Dieu, par son Dieu, par Deus meus. Et c’est avec ce jeu de mots tout à fait ordinaire de saint Augustin que je mets un terme à cette conférence sans doute trop longue.

 


[1]. Le plus important des jansénistes est sans aucun doute, Pascal. Comme on peut le deviner en lisant les Pensées, ou l’Apologie du christianisme, dont il reste les fragments, l’apologie du christianisme de Pascal est plus sombre que celle de saint Augustin. Pour aller vite, saint Augustin reconnaît toujours que le monde est bon, et que cette bonté est une sorte de piège, parce que le seul bien qui peut satisfaire le cœur humain est Dieu. En revanche, Pascal semble regarder les maux du monde (ses infiniment grands et petits écrasants, la mort et la méchanceté humaine) comme des données premières, dont la grâce de Dieu peut guérir. (Voir Pensées, Lafuma 154, 185 et 196 )

[2]. Si, comme on l’affirme, saint Augustin est l’inventeur, ou le découvreur, du péché originel, Rousseau en est le critique radical.

[3]. On en trouve un exemple dans la page Wikipédia consacrée à ce tableau. https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vocation_de_saint_Matthieu

[4]. Voir 1 Jean 2.16.

[5]. L’influence de saint Augustin est grande. Même après la mort de Dieu en Occident, ce qu’il a proposé résonne encore dans la tête et le cœur des humains. En tout cas, on pourrait prétendre que dans son autobiographie, Les Mots, Sartre renvoie à saint Augustin. « Ce que j'aime en ma folie, c’est qu’elle m'a protégé, du premier jour, contre les séductions de “ l'élite ” : jamais je ne me suis cru l’heureux propriétaire d’un « talent » : ma seule affaire était de me sauver — rien dans les mains, rien dans les poches — par le travail et la foi. Du coup ma pure option ne m’élevait au-dessus de personne : sans équipement, sans outillage je me suis mis tout entier à l’œuvre pour me sauver tout entier. Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. »

Extrait

« Les treize livres de mes Confessions célèbrent dans mes bonnes et dans mes mauvaises actions la justice et la bonté de Dieu, et excitent l’âme humaine à le connaître et à l’aimer. » Saint Augustin

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