L'homme se fait en se faisant
En 1965, dans le cadre des Entretiens de Genève, eut lieu un colloque mémorable intitulé Le robot, la bête et l'homme. Entre autres, Jacques Monod, Ernest Ansermet, Vercors, Roger Caillois, le R.P. Henri Niel figuraient parmi les conférenciers. La variété, la qualité et la pertinence des positions adoptées nous autorisent à considérer ce colloque comme l'événement intellectuel fondateur de l'ère du numérique.
Voici un extrait de la conférence de Julian de AJURIAGUERRA assorti d'un lien vers le site Les classiques des sciences sociales, lequel a assuré la numérisation des actes du colloque.
«Les problèmes que nous venons d’évoquer se posent quotidiennement à nous dans l’exercice de notre profession de médecin et de psychiatre. Le psychiatre oscille également entre deux tendances, celle qui admet que le trouble mental est le dérèglement d’une mécanique et celle qui n’admet que les désordres, les vécus ou les existants désinsérés du plan charnel. Les uns semblent aborder l’homme sous l’angle de l’animal, les autres par le côté angélique qui serait en nous. On peut répondre aux premiers par la voix d’un personnage de Baudelaire : « Nous avons, dit-il, tant abusé du microscope pour étudier les hideuses excroissances et les honteuses verrues dont notre cœur est couvert, et que nous grossissons à plaisir, qu’il est impossible que nous parlions le langage des autres hommes, ils vivent pour vivre et nous, hélas ! nous vivons pour savoir. »
Aux seconds, nous pouvons dire qu’en s’occupant beaucoup des richesses de notre esprit, ils n’ont pas assez tenu compte de notre pauvreté.
Dans notre métier de médecin et de psychiatre nous n’avons le droit ni de rester dans une contemplation idéalisée de l’homme désincarné, ni de laisser nos robots thérapeutiques agir sur les dérèglements d’êtres anonymes. Dans notre pratique, il importe peu en fait que d’un point de vue philosophique l’homme soit ou ne soit pas une machine, pourvu que dans l’homme nous rencontrions l’homme et dans notre activité mécanique le dialogue. »
Source: Les classiques des sciences sociales