Verlaine

Joris-Karl Huysmans
«Il eût fallu l'arracher de ces guêpiers, mais on l'y rencontrait rarement seul et il était difficile de lui montrer sa déchéance dans ce milieu de ribotes dont le contact suggérait aussitôt, si peu bégueule que l'on fût, une idée de fuite. Quelques amis plus sûrs tachèrent cependant de le sauver, mais ils furent assourdis par l'antienne sans cesse répétée des brindes; et, d'ailleurs, on doit l'avouer, sous la pression des vapeurs de l'absinthe, Verlaine était indocile et buté; non, ce qu'il eût fallu, c'eût été de trouver un prêtre, embrasé par l'amour des âmes, qui pût prendre de l'influence sur lui et l'accueillir, comme la brebis perdue, lorsque, ayant recouvré la raison et las de lui-même, il s'acheminait en boitant, vers l'Église. Dieu ne lui a pas dispensé ce prêtre...»
Et puis... et puis... le goût de la solitude qui l'aurait pu préserver de ces hontes, est rare même chez ceux dont l'existence est, et réglée et douce. C'est une chose bien frappante que de voir, chez les artistes surtout, combien peu peuvent rester seuls avec eux-mêmes dans une chambre. Le besoin de causer, de se divertir les obsède à un tel point qu'ils préfèrent la compagnie du premier venu au silence de l'isolement. Un peu de vanité aussi, sans doute, s'en mêle, le désir de briller entre confrères et d'étonner, le prétexte même, parfois plausible, de faire jaillir des idées et des expressions, en vue d'un travail à entreprendre, dans le ferraillement des controverses et l'escrime des mots

Mais, à quoi bon citer des fragments? ces pièces figurent au complet dans ce volume et jamais de plus touchantes louanges n'ont été tressées à la gloire de Celle qui prépare les voies et remet les âmes à la fois lénifiées et éplorées, entre les mains de son Fils.

Elle fut généreuse pour lui et il lui demeura fidèle. Toutes ses chutes ne l'empêchèrent pas de la prier; et, en vérité, ce sont de splendides gerbes de prières que ces poésies d'humilité, que ces chants d'amour, bondis d'une âme où, en dépit de tant de fautes, le Seigneur s'est plu.

Et cela se conçoit. Jésus n'avait-il pas fait, de cette âme débile, une âme prédestinée, une âme d'élection; ne lui avait-il pas départi le don superbe de la poésie, car Verlaine ne fut pas, comme tant de grimauds de nos jours, un versificateur plus ou moins adroit mais bien un vrai et un grand poète. Et, à ce propos, une réflexion étrange, désagréable même, si l'on veut, s'impose. Il semble que les seuls gens de talent qui existent parmi les catholiques, soient des convertis, à commencer par Chateaubriand et par Veuillot. Il est à remarquer aussi que tous ceux qui ont utilement défendu l'Église et sa politique, n'ont pas été élevés par elle. Lacordaire, de Montalembert, de Falloux, de Broglie, Hello, Coppée, Drumont, Brunetière, sont tous sortis de l'Université, pas un seul des écoles cléricales. Mais alors cette impuissance des disciples des congréganistes à quoi tient-elle?

Elle tient, je présume, à l'esprit étroit, au bégueulisme fou, à la crainte des idées, à la panique des mots; on leur cache tout de la vie et on les apeure avant de les lancer dans la mêlée. Ils ont, avec cela, le sentiment religieux amorti par l'accoutumance; ils perdent les forces Eucharistiques par l'abus qu'ils en font; ils ne croient plus que par routine et, pris de scrupules, à la pensée de se défendre, ils se terrent, n'osant bouger, de peur de pécher contre la charité ou de perdre leur reste de foi; ou bien alors, ils sautent d'un extrême à l'autre, se révoltent et n'ont plus qu'un but, se venger sur leurs maîtres de la compression qu'ils ont, pendant toute leur jeunesse, subie.

Si nous nous plaçons, au point de vue plus particulier de l'art, nous pouvons convenir qu'il est à peu près impossible à des hommes disciplinés de la sorte de dégager le talent dont ils pourraient être nantis, de sa bulbe. Le talent a besoin pour jaillir de stimulants; il a besoin aussi pour pousser de grand air. C'est en lisant et en regardant autour de soi, sans baisser continuellement les yeux, que l'on se façonne des idées et que l'on acquiert une forme. Il est donc indispensable d'étudier au moins le style des auteurs profanes, puisqu'ils sont les seuls qui en aient un; les autres ignorent la moitié des mots de la langue française et ils en sont encore à rabâcher l'idiome épuisé et corrompu par les redites, du XVIIe siècle.

L'Église n'a, par conséquent, en fait d'artistes, que ceux qui viennent à elle, équipés de toutes pièces et qui mettent les armes dont ils ont appris à se servir dans le camp opposé, à son service. Il faut avoir vécu pour pouvoir écrire. Mais alors, le talent serait le fruit du péché? je veux m'efforcer de ne point le croire; mais si nous admettions, pour une minute, la véracité de cette hypothèse, quelle miséricorde et quelle indulgence devraient avoir les catholiques pour ces pauvres convertis auxquels Dieu a réparti de si périlleux dons !

Pour être juste, il sied de convenir qu'à l'heure actuelle, un souffle de liberté et de franchise a quand même pénétré dans les écoles congréganistes et dans les séminaires. Nombre de jeunes gens refusent de se laisser crever littérairement les yeux et ils n'en sont plus, pour étancher leur soif de poésie religieuse, à tourner le robinet des eaux tièdes de Lamartine; j'en sais qui lisent avec délices les oeuvres mystiques de Verlaine...

C'était, il y a bien longtemps déjà, le souhait du P. Pacheu qui, dans un volume intitulé « de Dante à Verlaine », avait pris courageusement la défense de l'artiste, alors qu'il était honni par le clan impeccable, comme on sait, des catholiques.

Demandant un recueil des poésies religieuses de Verlaine, il disait: « Cette meilleure part de lui-même, cette chapelle offusquée par des masures mal famées, il faut la dégager de ses entours, pour la sauver de l'oubli. »

Ainsi fut fait.

Verlaine est maintenant mort, il a trépassé chrétiennement, avec l'aide d'un prêtre. Les croyants auxquels nous offrons cet unique eucologe de prières modernes, n'ont plus qu'à profiter de ses péchés, car s'il ne les avait pas commis, il n'aurait point écrit dans les larmes les plus beaux poèmes de repentir et les plus belles suppliques rimées qui existent.

Ils seraient ingrats s'ils ne priaient pour le pauvre poète, qui, après avoir souffert pour leur bien, en somme, leur apporte, en ces temps découragés, un si cordial réconfort.

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