Absinthe
L’absinthe est d’abord une plante qu'on utilisait autrefois à des fins médicinales; on en tire également un extrait qui sert à faire la boisson alcoolique bien connue qui fut en vogue dans la France du 19e siècle.
Notice tirée d'un dictionnaire français de la fin du 19e siècle
Botanique. Arthemisia absinthium, plante de la famille des composées, tribu des sénécionidées, genre armoise. L’absinthe, très commune dans les montagnes, ne dépasse guère 1 mètres : son odeur est très vive, sa saveur amère et aromatique. On l’emploie en pharmacie, comme fébrifuge, tonique et vermifuge. Infusion: feuilles et sommités sèches : 4 à 8 gr. pour 1000 gr. d’eau bouillante. On laisse infuser pendant une heure et l’on passe. Extrait : 2 à 4 grammes en pilule ou en potion. Poudre : 1 à 4 gr. Sirop : 15 à 30 gr. pour édulcorer les tisanes et potions toniques et excitantes. Vin : 50 à 100 grammes dans un litre de vin blanc.
Elle sert à faire une liqueur alcoolique (extrait d’absinthe ou absinthe suisse), aromatisée par différentes essences, et dont l’abus peut occasionner les plus graves accidents. Cette liqueur ne jouit guère des qualités apéritives qu’on lui attribue : c’est l’eau fraîche dont on l’étend qui la rend apéritive. La préparation pour l’extrait d’absinthe de première qualité se fait dans les proportions suivantes : grande absinthe 2,5 kg, anis 5 kg, fenouil 5 kg, alcool 85o (de Montpellier) 95 litres. Laissez macérer quelques jours dans l’alambic et distillez. Colorez ensuite dans un vase en cuivre étamé et hermétiquement fermé, appelé colorateur. Vous versez dans ce récipient le résultat de la distillation, sur de la mélisse, de l’hysope et de la petite absinthe. L’absinthe ainsi préparée n’est nuisible que par l’abus qu’on en fait. Mais beaucoup de fabricants, au lieu de distiller les diverses plantes ci-dessus, macérées dans l’alcool, préparent leur liqueur à froid, sans distillation, se contentant de mélanger plusieurs essences dans l’alcool et répandent ainsi dans le commerce une boisson malfaisante, qui produit rapidement des attaques épileptiformes, des vertiges, des délires prématurés, etc. Absinthe panachée, mélangée avec une autre liqueur.
Sens figuré : Peine, amertume. La vie est cruellement mêlée d’absinthe. – Critique amère. Leur style est mêlé de fiel et d’absinthe.
Mots créé à partir du substantif Absinthe:
Absinther : mêler de l’absinthe à un liquide. // S’absinther. Familier et trivial. Se gorger d’absinthe. // Absinthé, ée, participe passé. Mélangé d’absinthe. Potion absinthée – qui éprouve les tristes effets de l’absinthe. La bouche pâteuse, l’œil absinthé.
Absinthique. Adjectif des deux genres. Acide particulier trouvé dans l’absinthe.
Absinthisme. Substantif féminin. Ce mot désigne les troubles produits tantôt par l’abus, tantôt par la mauvaise préparation de l’absinthe. Ce sont des troubles intellectuels et des mouvements analogues à ceux de l’alcoolisme, mais pourtant distincts. L’absinthisme est suivi, comme nous l’avons dit au mot Absinthe, de convulsions épileptiformes, et, à la longue, de manie, de ramollissement cérébral et de paralysie générale, ce qui est dû non à l’absinthine, mais à l’action vénéneuse de l’essence d’absinthe.
Absinthite. Substantif masculin. Vin d’absinthe, dont les anciens faisaient un usage fréquent.
source: Guérin, Paul (dir.). Dictionnaire des dictionnaires. Lettres, sciences, arts, encyclopédie universelle. Tome I, A-BISOT. Paris, Impr. réunies, [18??], p. 20.
Un article publié dans une revue française de la fin du XIXe siècle
Les dangers de l’absinthe
La véritable absinthe (Artemisia absinthium) est une plante qui prospère dans les régions arides et montagneuses de nos climats. Elle atteint un mètre de hauteur : les feuilles sont très découpées, molles et d’une couleur vert clair, à reflets argentés. L’odeur de l’absinthe est pénétrante et assez agréable; elle est due à une essence particulière, très vénéneuse, qui est accompagnée d’une résine, également très active.
Quant aux principes amers contenus dans la plante, ils se trouvent surtout dans la décoction aqueuse; de sorte que les propriétés médicinales de l’absinthe sont absolument différentes de celles de la liqueur funeste qui porte le même nom. Les tisanes, vins, sirops d’absinthe, ne contiennent jamais qu’une très petite quantité d’essence; on les emploie comme fébrifuges, excitants, toniques et vermifuges.
Mais les feuilles d’absinthe infusées dans l’esprit-de-vin donnent une liqueur absolument vénéneuse, et il en est de même de l’esprit-de-vin auquel on ajoute de l’essence vraie d’absinthe obtenue en distillant la plante avec de l’eau.
On avait cru prouver que l’essence d’absinthe est presque inoffensive, et que les terribles accès observés chez les buveurs d’absinthe n’étaient qu’une des formes de l’alcoolisme, le plus redoutable fléau de l’époque actuelle.
L’absinthe, disaient quelques personnes, n’est qu’un des innombrables déguisements pris par l’alcool pour mieux séduire les ivrognes de notre siècle.
Mais ce n’est pas absolument exact.
Dans un rapport appuyé sur des expériences positives, répétées devant l’Académie de médecine, M. le docteur Laborde a prouvé que l’essence d’absinthe (pure de toute falsification) détermine de véritables convulsions épileptiques, tandis que l’essence d’anis (qui entre aussi dans la préparation de la liqueur d’absinthe) est relativement inoffensive.
Ce travail confirme pleinement les assertions du docteur Magnan qui remontent à une vingtaine d’années.
La liqueur d’absinthe serait fabriquée avec de l’alcool pur et de l’essence d’absinthe pure qu’elle serait fort dangereuse.
Mais les alcools à bas prix contiennent souvent des alcools différents de l’esprit-de-vin, lesquels sont encore plus dangereux que celui-ci. De plus, pour flatter la manie des amateurs d’absinthe qui exigent une liqueur troublant l’eau bien franchement et lui donnant une teinte verte, les fabricants ne reculent devant aucune falsification. Ils trouvent peut-être que leur clientèle étant condamnée à mort à bref délai, il vaut mieux (même au point de vue commercial) satisfaire ses exigeances en abrégeant un peu ses jours. En effet, quelle amère déception si un concurrent déloyal (ils le sont tous) allait séduire le consommateur par une absinthe plus forte, plus verte et plus troublante!
On a trouvé des absinthes contenant du sous-acétate de plomb, qui donne avec l’eau un trouble abondant; mais cette falsification est rare, elle ne s’étendra pas : les clients seraient trop promptement supprimés!
On a quelquefois ajouté de l’acétate de cuivre pour accentuer la teinte verte, mais le plus souvent, on n’emploie que la couleur donnée par des matières inoffensives, notamment par une infusion de feuilles d’épinards ou d’orties dans l’esprit-de-vin.
Quant aux honorables industriels qui ajoutent des poisons enivrantes (déjà si vénéneuses par elles-mêmes), on aimerait à voir rétablir pour eux l’antique peine du talion: chaque jour on devrait leur faire avaler une dose raisonnable de ces excellents produits, qui les mènent si rapidement à la fortune.
source: Le magasin pittoresque. Publié sous la direction d’Édouard Charton. Année 58, sér. 2, tome 8, 1890, p. 235-236.