De la nécessité d'innover en peinture
Vendredi le 25 avril 2003
Extrait des Réflexions sur l'imitation des artistes grecs en sculpture et en peinture, publié en 1755.
Parmi nous, il est vrai, un artiste dont les idées sont bornées par les productions de ces prédécesseurs ou de ses contemporains, doit se trouver tout à coup dans un désert stérile. La peinture moderne fournit peu de ces images et de ces figures artificielles qui représentent des qualités morales, telles que l’humanité, le courage, la mollesse, le patriotisme, etc. La langue de ces peuples sauvages qui n’ont que très peu d’idées abstraites, et aucun terme pour exprimer la reconnaissance, la durée, l’espace, etc. n’est pas plus stérile à cet égard que la langue allégorique des peintres modernes. Un peintre qui regarde au-delà de sa palette, et qui veut franchir les limites du cercle étroit où son art est circonscrit aujourd’hui, doit naturellement désirer un répertoire où il puisse trouver des images sensibles, qui représentent avec fidélité et précision les qualités et les objets que la vue ne peut saisir. Il n’a paru jusqu’ici aucune collection complète de ce genre: les efforts qu’on a faits pour former une semblable collection, sont en petit nombre, et n’ont pas été fort heureux. Les artistes savent assez quel secours on peut attendre de l’Iconologie de César Ripa, et des Monuments des nations anciennes par Romain de Hoogh.
C’est sans doute cette stérilité qui a engagé les plus habiles artistes peintres à employer sur des sujets communs tout le feu de leur génie, et toute la puissance de leur art. Annibal Carrache, au lieu de représenter dans la galerie du palais Farnèse les grandes victoires des héros de cette illustre maison, par des symboles allégoriques, s’est borné à tirer de la mythologie des sujets rebattus, sur lesquels il a épuisé toutes les ressources de son talent.
La galerie royale de peinture qui est à Dresde renferme une des plus belles collections qu’il y ait en Europe: on y a recueilli une suite des meilleurs tableaux des plus grands maîtres, choisis avec le goût le plus exquis et le plus sévère ; cependant combien peu y voit-on de tableaux historiques! Et dans le petit nombre on y trouve bien rarement les embellissements d’une imagination poétique, ou les traits expressifs d’une représentation historique.