Le grand poète du XVIIIe siècle est Watteau
Watteau a renouvelé la grâce. La grâce, chez Watteau, n'est plus la grâce antique : un charme rigoureux et solide, la perfection de marbre de la Galatée, la séduction toute plastique et la gloire matérielle des Vénus. La grâce de Watteau est la grâce. Elle est le rien qui habille la femme d'un agrément, d'une coquetterie, d'un beau au-delà du beau physique. Elle est cette chose subtile qui semble le sourire de la ligne, l'âme de la forme, la physionomie spirituelle de la matière.
Toutes les séductions de la femme au repos : la langueur, la paresse, l'abandon, les adossements, les allongements, les nonchalances, la cadence des poses, le joli air des profils penchés sur les gammes d'amour, les retraites fuyantes des poitrines, les serpentements et les ondulations, les souplesses du corps féminin, et le jeu des doigts effilés sur le manche des éventails, et les indiscrétions des hauts talons dépassant les jupes, et les heureuses fortunes du maintien, et la coquetterie des gestes, et le manège des épaules, et tout ce savoir que les miroirs du siècle dernier ont appris à la femme, la mimique de la grâce ! elle vit en Watteau avec sa fleur et son accent, immortelle et fixée en une épreuve mieux vivante que ce sein de la femme de Diomède moulée par la cendre de Pompéi. Et, cette grâce, si Watteau l'anime, s'il la délie du repos et de l'immobilité, s'il la fait agissante et remuée, il semble qu'elle s'agite sur un rythme, et que sa marche balancée soit une danse menée par une harmonie.
Quel décor a la femme, a la grâce ! O nature, où le peintre promenait ses poésies ! O campagne ! O théâtre accommodé pour une désirable vie ! une terre complice, des bois galants, des champs emplis de musique, des bosquets propices aux jeux de l'écho ! des arbres en berceaux où pendent les paniers de fleurs ! des déserts, loin du monde jaloux, touchés du pinceau magique d'un Servandoni, rafraîchis de fontaines, peuplés de marbres et de statues, et de naïades, que tache l'ombre tremblante des feuilles ! jets d'eau jaillissant soudain du milieu des cours des fermes ! le pays aimable et radieux ! Soleils d'apothéose, belles lumières dormantes sur les pelouses, verdures pénétrées et translucides, sans une ombre où s'endorment la palette de Véronèse, le tapage des zinzolins et des chevelures blondes ! Délices champêtres ! décorations murmurantes et parées ! jardins embuissonnés de ronces et de roses ! paysages de France, plantés de pins d'Italie ! villages égayés de noces et de carrosses, de cérémonies, de toilettes et de fêtes, étourdis de violons et de flûtes qui mènent à un temple jésuite l'hymen de la Nature et de l'Opéra ! scène agreste au rideau vert, à la rampe de fleurs, où monte la Comédie-Française, où gambade la Comédie-Italienne.
Alerte, pour égayer le printemps en costume de bal, le ciel et la terre de Watteau, alerte, les Gelosi ! Un rire bergamasque sera le rire et l'entrain et l'action et le mouvement du poème. Voilà qu'elle court et qu'elle éveille la gaieté, les zéphyrs et le bruit, la Folie encapuchonnée de grelots sonnants ! Fraises et bonnets, buffles et dagues, petites vestes et courts manteaux vont et viennent. La troupe des bouffons est accourue, amenant sous les ombrages le carnaval des passions humaines et l'arc-en-ciel de ses habits. Famille bariolée, vêtue de soleil et de soie rayée ! celui-ci qui se masque avec la nuit ! celui-là qui se farde avec la lune ! Arlequin, gracieusé comme un trait de plume du Parmesan ! Pierrot, les bras au corps, droit comme un I ! et les Tartaglias, et les Scapins, et les Cassandres, et les Docteurs, et le favori Mezzetin "le gros brun au visage riant" toujours au premier plan, la toque fuyant du front, zébré du haut en bas, fier comme un dieu et gras comme un Silène ! C'est la Comédie-Italienne qui tient la guitare dans tous ces paysages. Bien campée et le nez au vent, c'est la Comédie-Italienne qui sème glorieusement au bord des sources, à la marge des forêts, dans les clairières, les doux accents,
- Enfants d'une bouche vermeille.