La mort de Rivarol
Les regrets donnés à la mort de Rivarol furent sincères et unanimes. Chez la princesse Dolgorouki, le comte D’Engestroem, envoyé de Suède, proposa l’exécution du buste en marbre de celui qui avait fait l’ornement et le charme de leur société. L’homme dont le talent pour la parole tenait presque du beau idéal, dont l’esprit répandait la clarté dans les profondeurs les plus reculées de la métaphysique, dont l’imagination créait des plans magnifiques, soit d’histoire, soit de tragédie, dont la sagacité pénétrait jusques aux sources les moins connues de la grammaire, dont le goût prononçait les arrêts d’une critique si saine, par quelle combinaison un tel homme n’-t-il qu’imparfaitement répondu au vœu de la nature qui l’appelait à se placer sur la même ligne que Voltaire, Rousseau et Buffon? Quelques écrivains ont arrêté leurs regards sur ce véritable problème. Leurs solutions diffèrent entre elles, mais découvrent des aperçus au moins spécieux. Ce ne sera donc pas sans une certaine méfiance que je hasarderai mon opinion à titre de simple conjecture.
Les triomphes dans les salons ravirent à Rivarol les succès du cabinet : respirant à grands flots l’encens de la louange et couronné de roses ou de myrte par les mains de la beauté, il s’abandonna presque toujours à l’attrait d’une voluptueuse indolence, et ne se livra que par intervalle aux efforts pénibles et soutenus qui seuls permettent à l’ambition d’aspirer à la gloire.