La relativité

Jocelyn Giroux
À la place du temps et de l'espace absolus de Newton, voici donc l'espace-temps.
L'univers de Newton est une force qui va, et non une forme qui dure; cette force évolue toutefois dans un cadre qui, de par sa fixité, rappelle aussi bien les figures parfaites de Pythagore que le monde supralunaire d'Aristote. Ce cadre, c'est l'espace et le temps absolus.

Ne nous laissons pas impressionner par ces mots, ils correspondent à l'interprétation que nous donnons spontanément à nos expériences courantes. Un mètre pour nous est la fraction d'une grandeur bien réelle que nous pourrions parcourir si nous en avions les moyens et le temps; quant à l'heure ou à la minute, elles sont des fractions d'une ligne bien réelle également. Le temps et l'espace absolus ne sont rien d'autre que cette grandeur et cette ligne.

À la réflexion toutefois, il apparaît vite que l'existence d'une telle ligne et d'une telle grandeur ne va pas de soi. Newton, conscient de l'énigme, ne put la résoudre par des arguments proprement scientifiques. Il s'appuya plutôt sur des arguments théologiques, associant l'espace à l'idée d'un Dieu omniprésent qui assure la cohérence du Grand Tout, et le temps absolu à l'émananation du Dieu éternel dans un univers infini. Ces idées allaient être balayées dans le cadre de la théorie de la relativité d'Einstein.

La relativité restreinte

Lorsqu'on songe à la vitesse d'un mobile, il faut un point de référence. Comment le passager d'un vaisseau spatial dans un espace totalement vide pourrait-il savoir s'il se déplace ou s'il est immobile? Par rapport à quoi?

On supposait avant Einstein que l'espace était composé d'un éther qui propageait la lumière - considérée à cette époque comme un phénomène ondulatoire -, à l'image de l'eau qui propage les vagues de la mer. Cependant, une expérience réalisée aux États-Unis en 1881 jetait un doute sur l'existence de cet éther tout en démontrant que la vitesse de la lumière restait constante, indépendamment de la vitesse de la source émettrice. Mouvement relatif, absolu, vitesse de la lumière indépendante de la source, éther, la physique était incohérente, dans une impasse qui fait songer à celle de l'époque précédent Newton.

Einstein propose en 1905 dans sa théorie de la relativité restreinte une synthèse révolutionnaire. Il postule tout d'abord que toutes les lois de la nature, non seulement mécaniques, comme l'avait suggéré Newton, mais aussi électromagnétiques ou autres, s'appliquent de la même façon dans un système de référence galiléen. L'idée, qui semble anodine, est en fait le fondement même de la relativité. L'espace n'est pas absolu mais devient l'ordre possible des objets matériels ou la relation de ces objets entre eux. Sans objet, il n'y a rien. Il n'existe pas de repos ou de mouvement absolu uniforme en soi dans l'espace. Il est impossible de savoir expérimentalement si on est dans un système au repos ou à vitesse uniforme. Et il n'est pas du tout nécessaire de poser l'existence d'un espace absolu.

Einstein énonce ensuite que la vitesse de la lumière C (environ 300,000 km. ou 186,000 milles à la seconde) est une constante universelle dans tous les systèmes de référence galiléens, indépendante de tout mouvement de la source émettrice. Rien dans l'univers ne peut être connu sans l'intermédiaire d'un médium, signal lumineux ou électromagnétique. C'est ainsi que lorsqu'on observe une étoile située à cent années lumière, l'étoile apparaît telle qu'elle était il y a cent ans. L'information transmise par la lumière est parvenue jusqu'à nous après un voyage d'un siècle.

De la même façon, lorsque le peintre A fait le portrait de son ami B situé à quelques mètres de lui, il le voit non pas comme B est au moment précis où il le regarde mais tel qu'il était il y a une infime fraction de seconde, le temps requis pour que la lumière réfléchie sur l'un parvienne à la rétine de l'autre. Le «maintenant» de A n'est pas le «maintenant» de B. Il est séparé par le temps que la lumière met à franchir la distance entre A et B. Généralisons: le «maintenant» de A est distinct de celui du reste de l'univers. Il lui est propre et chaque système a son temps particulier.

L'univers entier n'étant perceptible que par un signal soumis au temps, le temps fait donc partie des conditions d'existence des choses. Aux trois dimensions de l'espace, il faut en ajouter une quatrième: le temps.

À la place du temps et de l'espace absolus de Newton, voici donc l'espace-temps.

S'il est facile de reproduire un univers à trois dimensions (par exemple pour un avion, longitude, latitude et altitude), il est par contre tout à fait illusoire d'essayer de se représenter visuellement ce continuum espace-temps à quatre dimensions. Bien que chaque observateur ait son propre système temporel ou spatial, les différents systèmes n'existent pas indépendamment les uns des autres mais constituent un cadre universel d'espace-temps. Tous partagent, mais chacun à sa manière, le temps et l'espace du grand ensemble de l'espace-temps.

Ce ne sont là toutefois que les aspects les moins déroutants de la théorie restreinte.

Au début du XXe siècle, Lorentz savait déjà que tout corps se contracte dans le sens de son mouvement et qu'à la limite, un corps dont la vitesse atteindrait celle de la lumière aurait une longueur égale à zéro. De tels phénomènes ne sont évidemment pas perceptibles à l'échelle de l'expérience quotidienne. La physique classique de Newton n'est contredite en fait que lorsque l'on passe à une autre échelle.

Comment croire que la masse d'un objet s'accroît lorsqu'il s'approche de la vitesse de la lumière et que le temps s'écoule alors plus lentement? Einstein précise même qu'aucun objet matériel ne peut voyager à la vitesse de la lumière, puisqu'il aurait alors théoriquement une masse infinie.

C'est en 1907 qu'il publia l'équation la plus connue de toute l'histoire de la science:


E= mc2

E: énergie
m: masse d'un objet
c: vitesse de la lumière

Cette formule établit un principe d'équivalence, un rapport entre la masse et l'énergie. Tout corps qui absorbe ou libère de l'énergie E gagne ou perd une valeur de masse égale à:

E
----
c2

Cette loi nous révèle que toute masse recèle une effarante quantité d'énergie. Ainsi, un kilogramme de charbon converti entièrement en énergie produirait 25 milliards de kilowatts/heure d'électricité1.

Ce rapport entre masse et énergie a permis de comprendre une foule de phénomènes qui restaient jusqu'alors mystérieux: la radioactivité, la force nucléaire ou la combustion particulière des étoiles émettrices de lumière.

La relativité générale

La théorie de la relativité générale est «une des plus grandes victoires remportées par le génie humain sur la multitude chaotique de ses perceptions».2

Einstein, tout en énonçant le principe suivant lequel les lois de la nature sont les mêmes dans un système de référence galiléen refusait de croire cependant que ces lois pouvaient être différentes par le simple fait que le système de référence était accéléré. C'est ainsi que pendant des années, il a cherché à généraliser sa théorie. Einstein doutait que l'équivalence de la masse d'inertie et de la masse gravitationnelle soit le simple fait d'une coïncidence de la nature comme on le supposait depuis Newton. De plus, il était devenu impossible en vertu des principes même de la relativité restreinte que la force gravitationnelle puisse s'exercer instantanément. C'est ainsi qu'il poursuivit ses réflexions.

Il est évident que si l'on ne peut distinguer le repos d'un mouvement à vitesse constante en ligne droite, par contre l'accélération ou quelque accroc à l'uniformité du mouvement est facile à percevoir. Il suffit de songer à un arrêt brusque dans un wagon de métro pour s'en convaincre!

Einstein a imaginé l'expérience d'un observateur dans un ascenseur. Si l'ascenseur tombe en chute libre, une balle lâchée par l'observateur tombera à la même vitesse que lui et que l'ascenseur suivant les lois de Newton. La balle lui apparaîtra alors immobile. Si l'observateur enfermé ignore où il est, il peut tout aussi bien penser qu'il tombe vers le sol ou encore qu'il est hors de toute influence gravitationnelle, c'est-à-dire en état d'apesanteur.

Mais, si l'ascenseur est dans l'espace et qu'il est tiré par le haut avec une accélération égale à la pesanteur terrestre, une balle lâchée de l'ascenseur tombera exactement comme si l'observateur était sur Terre dans un ascenseur au repos. Les effets d'une accélération égale à la pesanteur terrestre sur un vaisseau spatial sont exactement les mêmes que si le vaisseau était soumis à la gravitation terrestre.

Ce sont ces expériences imaginaires qui ont inspiré Einstein lorsqu'il a formulé le principe d'équivalence de la gravitation et de l'inertie; il est impossible de distinguer un mouvement produit par une force d'inertie telle l'accélération, par exemple, d'un mouvement produit par une force gravitationnelle. Tout changement de vitesse ou de direction peut être décrit aussi adéquatement en terme de fluctuation du champ gravitationnel qu'en terme d'inertie. Einstein ébranlait ainsi l'idée que l'on se faisait alors de la gravitation. Elle n'est pas distincte de l'inertie mais en est comme une composante. Einstein substitue au concept mécanique newtonien de force et d'attraction le concept de champ.

L'effet d'un corps dans l'espace serait grossièrement comparable à une petite boule de quille qui serait au centre d'un drap tendu aux quatre coins. La boule détermine alors le relief du drap qui serait déformé au milieu un peu à l'image d'un entonnoir.

Si on place un petit plomb en bordure du drap, il aura tendance à aller vers le centre, comme s'il était attiré par la plus grande masse. Mais en fait, c'est la boule elle-même qui modifie le relief comme un astre modifie, courbe, déforme l'espace. La gravitation est comme une tendance des corps célestes à emprunter les ondulations de l'espace-temps provoquées par les astres.

Einstein a précisé les relations entre la masse d'un corps et la structure du champ autour de lui. Il a de plus prévu des lois qui analysent les mouvements des corps qui empruntent les «chemins» des champs gravitationnels. Les lois de champ gravitationnel donnent des résultats comparables aux principes de Newton. Les deux systèmes, pourtant très différents décrivent la même réalité. Einstein, cependant réussit là où Newton échoue: l'explication de faits astronomiques plus subtils tel par exemple, le comportement de la planète Mercure autour du soleil. Einstein intègre Newton tout en le dépassant.

La théorie de la relativité générale n'est pas cependant que formules mathématiques. Elle donne une image qualitative de l'espace-temps tout à faite différente de ce qu'avait imaginée Newton. Loin d'être immuable, rigide et simple réceptacle indépendant et froid d'astres et de corps indépendants dans un temps indépendant, le continuum espace-temps est plutôt plastique, malléable, constamment modifié et sujet à distorsions telle la surface d'un étang poissonneux. La structure géométrique même de l'univers, vu comme un tout, est influencée par la matière qu'il contient. Dans l'univers d'Einstein, l'espace, bien que fini, est sans borne. On pourrait le comparer à une bulle de savon. L'univers n'est pas l'intérieur de la bulle mais sa surface, non à deux dimensions comme celle de la bulle mais à quatre. Ici, le plus court chemin entre deux points n'est pas la droite comme le postulait Euclide. Un rayon de lumière qui traverserait l'univers reviendrait à son point de départ après des centaines de milliards d'années. Cette idée d'un univers fini mais sans borne fait encore l'objet de discussions parmi les scientifiques.

Notes

1. Tiré de Lincoln Barnett, The Universe and Dr. Einstein, Mentor Book, 1957, p. 70.

2. Jean Zfiropulo, Apollon et Dyonisos, Société d'Éditions Belles-Lettres, 1961, p. 205.

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