René Laurin, ex-maire de Joliette, une cité éducative

Jacques Dufresne

Bel exemple d’une symbiose entre une école et une cité. Les symbioses de ce genre sont-elles en voie d’extinction ? À quelles conditions pourraient-elles encore servir d’exemple?

René Laurin ex-maire de Joliette (2000 à 2013) nous a quittés le 21 janvier 2023 après avoir été, sur le même territoire,  enseignant (1965 à 1969), directeur général d’une Commission scolaire, (1969 à 1993) conseiller municipal (1978 à 1986), député du Bloc québécois à Ottawa (1993-2000). C’était un confrère de collège. Je l’ai revu régulièrement lors des conventums de notre promotion, le 108ème cours (1960), au Séminaire de Joliette.

Cela ne me donne ni le recul ni la compétence pour juger de l’ensemble de ses réalisations en tant qu’homme public.  Ses contributions à la vie culturelle de sa ville et de sa région, contributions bien insérées dans l’histoire du lieu, me rappellent toutefois une conception de l’éducation présentant, en ce moment plus que jamais, un intérêt crucial :la paideia.

Paideia est un mot grec signifiant éducation. Le philologue allemand Werner Jaeger lui a donné un sens plus précis et plus évocateur dans son grand ouvrage: Paideia ou la formation de l'homme grec. La paideia est pour lui une formation donnée à la fois par la cité et par un enseignement formel qui est lui-même en harmonie avec ce qu'enseigne la cité de façon informelle: on imagine un philosophe grec expliquant l'idée d'harmonie à ses disciples devant une musique ou un temple qui sont eux-mêmes des incarnations de cette idée. On pourrait résumer ainsi la paideia: nous ne pouvons former (au sens de concevoir) que les idées par lesquelles nous avons été formées (au sens de modeler)... et inversement. Commentant Platon et Protagoras, Jaeger écrit: "l'harmonie et le rythme de la musique doivent être communiqués à l'âme pour que, à son tour, celle-ci devienne harmonieuse et obéisse aux lois rythmiques."

Restons dans le champ de la musique. René avait une voix de ténor. Il a fait partie de bien des chorales, dont la Chorale St-Pierre et celle des Chanteurs de la place Bourget avant d’apporter son soutien au Festival de Lanaudière en tant que maire. Ce faisant, il s’inscrivait dans une tradition remontant au milieu du XIXème siècle, moment de l’arrivée des premiers Clercs de Saint-Viateur, communauté, dont tous les membres, du plus brillant au plus adroit, venaient d’être chassés de France. Le sens de la beauté était un de leurs signes distinctifs. Il a fécondé et irrigué un terroir digne de le recevoir. D’où le père Fernand Lindsay, fondateur du Festival de Lanaudière, mais aussi, il faut le rappeler, professeur de philosophie. Au séminaire de Joliette, la musique suintait des murs. Malheur à ceux n’avaient pas d’oreille! L’harmonie finissait heureusement par les rejoindre au moyen de la présence obligatoire aux concerts des JMC (Jeunesses musicales du Canada) le samedi après-midi.

La musique a partie liée avec l’architecture. La chose est manifeste à Joliette, dotée en 1939 par le père Wilfrid Corbeil, un homme de tous les arts, d’un noviciat roman, imitation un rien figée mais harmonieuse, légère, bien sertie dans le paysage et, dans l’ensemble fidèle au Modèle. À l’arrivée des CSV, Mérimée et Hugo en France, Ruskin en Angleterre, renouaient avec le Moyen Âge.

 

Saura-t-on jamais ce qu’aura été l’influence de ce monument sur la population de la ville? Peut-être a-t-il incité la poète Rina Lasnier à y prendre racine et y faire rayonner la littérature à un point tel que la nouvelle bibliothèque municipale portera son nom. Cette maison du livre, établie dans un quartier populaire, aura été l’une des grandes réalisations du maire Réné Laurin. Ce vers que l’on peut lire sur le site de l’institution, illustre bien le ferment de la paideia joliettaine : « heureux les rêves transformés en beauté et retournés vers l’azur… par-dessus le plus haut espoir… ».(Voir en note un poème iconique de Rina Lasnier)

 Après les lettres, les arts, même beauté ! J’entends encore René faisant l’éloge bien mérité de l’architecture du Musée d’art, fier de nous faire découvrir les diverses œuvres dont une impressionnante collection de tableaux européens anciens faisant un heureux contraste avec  un art contemporain encore à la recherche de lui-même. À noter que le Musée a sa propre chorale.

À travers la baie vitrée, vue sur cette rivière l’Assomption dont les méandres avaient inspiré les concepteurs de l’ancienne cour de récréation du collège, un lieu de performance et de contemplation. Paideia!

Paideia encore! Il faut des soldats pour défendre la cité. Platon a écrit la République pour préciser la formation que devaient recevoir les gardiens d’Athènes. René a empêché qu’on remue ciel et terre pour démolir L’Arsenal de la rue Archambault. Il y a installé, après rénovation, la Société d’histoire de Joliette

À Joliette, on est donc éduqué, formé par la ville autant que par les écoles. Suggestion au ministre de l’éducation, Bernard Drainville, né près de Joilette et marqué par des oncles qui avaient étudié, voire enseigné, au Séminaire: veiller sur les affinités entre le génie d’un lieu, celui d’une tradition et celui d’une école ayant grand besoin d’une transfusion de vie et de sens pour survivre aux innovations technologiques de plus en plus rapides et impérieuses.

La dernière fois que René m’a téléphoné, c’était pour solliciter un don à la Fondation de l’Académie Antoine-Manseau, un autre trésor du patrimoine.

Les funérailles auront lieu le 4 février en la Cathédrale de Joliette, sobre et de belles proportions où l’on peut admirer des tableaux d’Antoine Plamondon et Ozias Leduc.

 

 

 

Note sur Rina Lasnier

L’animal dans l’univers

(Notre titre)

On a pris l'habitude de faire naître la vie de la matière inanimée. Mauvaise habitude ?

 

À même la nuit où point la passion des astres,
le poème spacieux dans son mouvement laudateur;
gravité des étoiles écartées du destin du sang,
mal-aimées recluses aux étages lactés,
tardives floraisons de vos morts millénaires
et vos mains d’amantes écaillées sur nos neiges.

Nébuleuses tournant la spirale de leur sceptre
plus lentement que la quenouille à sa laine vague;
solitude du règne par le vœu du feu
et nulle galaxie n’aborde son attrait embrasé,
plus magnifique la pinède accostée des couleurs de l’oiseau!

Vastitude invisible à force de fuites rayonnantes,
Une seule mort animale fissure plus la nuit
Que vos plaies de métal et vos deuils de soleils.

 

***

En savoir plus sur Rina Lasnier :

Picard, Lucie, Maternité poétique et dissidence. Rina Lasnier, l'écriture, l'épreuve de la sécularisation, Éditions Nota bene, Fonds (littérature), 2009, 272 p.

«Rina Lasnier, par consensus dirait-on, a été reléguée à l’ombre des grands aînés (Anne Hébert, Hector de Saint-Denys Garneau, Alain Grandbois), à qui elle a pourtant été associée. D’un côté, on a loué les qualités formelles de sa poésie, tantôt âpre, tantôt traversée par une sensualité diffuse; de l’autre, on l’a tenue pour suspecte en raison de son catholicisme affiché. S’est-on mépris en perpétuant une séparation aussi nette entre le discours spirituel et le poème?

 

Revue Liberté

Volume 18, numéro 6 (108), novembre–décembre 1976

https://www.erudit.org/fr/revues/liberte/1976-v18-n6-liberte1031004/

 

Jacques Dufresne 26 janvier 2023

Extrait

Suggestion au ministre de l’éducation, Bernard Drainville, né près de Joilette et marqué par des oncles qui avaient étudié, voire enseigné, au Séminaire: veiller sur les affinités entre le génie d’un lieu, celui d’une tradition et celui d’une école ayant grand besoin d’une transfusion de vie et de sens pour survivre aux innovations technologiques de plus en plus rapides et impérieuses,

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