Prostitution

De l'artisanat à la marchandisation

Pour bien des gens, le mot prostitution correspond à une vague conception d’une activité sexuelle volontaire telle que la présentaient le cinéma et la littérature française du début du XXe siècle, comme le lieu d’initiation obligée de l’étudiant. Prostitution, mal nécessaire soutenaient les historiens : et ils donnaient l’exemple du saint roi Louis IX qui, devant la multiplication des viols et des attentats à la pudeur, avait fait rouvrir à Paris les bordels qu’il avait fait interdire. La mentalité était tellement ancrée que le philosophe Alain dans l’un de ses cours insistait auprès de ses étudiants sur le devoir de respect à l’égard des prostituées. Et plus près de nous, qui ne se souvient de la chanson indignée de Jacques Brel Au suivant sur les visites des conscrits au bordel, encadrées et minutées par l’adjudant? Et celle de Brassens, pleine de tendresse et de compassion pour les putains de Paris, qui lui avait d'ailleurs valu une lettre de remerciement de leur part!
On ne peut pas prononcer le mot prostitution de nos jours sans avoir à l’esprit la traite des femmes et des enfants que Richard Poulin décrit comme « une marchandisation du sexe à l’échelle de la planète et sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. »

Essentiel

«J'accorde bien volontiers que la tâche de la prostituée n'a rien de relevé. Mais n'achevez-vous pas de l'avilir en la déclarant ignominieuse sans recours et sans exception? Ici encore, c'est la morale qui, à partir d'un certain degré de réprobation sociale, rend l'immoralité incurable.

Et puis, les prostituées sont-elles les seuls êtres au monde à profaner les choses sacrées? La nutrition aussi s'apparente au sacré : le pain et le vin nourrissent l'âme à travers le corps et peuvent même devenir des signes divins : que reste-t-il de cela dans l'esprit de certains cuisiniers ou marchands d'alcool et dans celui de leurs clients? Qu'on songe donc à l'incroyable vulgarité des visages, des mimiques, des propos dans un groupe de gaillards congestionnés en train de "faire un gueuleton" ! Et je m'abstiens de parler de ceux qui prostituent l'art, la littérature ou la politique. Met-on au ban de la société un pornographe, un journaliste "valet d'opinion" comme dit Alain, ou un démagogue qui corronpt la plus haute fonction de l'homme : la consuite de la Cité? Trop heureux si on ne les gorge pas d'argent et d'honneurs! Pourquoi tant d'indulgence et de faveurs pour les putains de l'esprit et tant de rigueur pour les putains de la chair?»

Gustave Thibon, Projet d'une réforme des institutions et des moeurs par rapport à la prostitution, 1959.

Enjeux

Nous nous sommes largement inspirés d’un article :« Prostitution, crime organisé et marchandisation » publié par Richard Poulin 1) dans la Revue Tiers Monde, (Paris, PUF, vol. XLIV. n° 176, octobre-décembre 2003 : 735-769) et reproduit dans l’excellent site Sisyphe. Cet article s’accompagne d’une bibliographie inestimable, en anglais et en français, des principales recherches sur la prostitution dans le monde….
« La très grande majorité des victimes de la traite des femmes sont violemment contraintes de se prostituer lorsqu'elles parviennent dans le pays de destination.»2) « En vingt jours, on peut briser n'importe quelle femme et la transformer en prostituée.»3)

Les sous-titres

La marchandisation sexuelle

L'anéantissement psychologique

La légalisation

Immigration clandestine et prostitution

Statistiques

Les Clients

La situation au Canada

La situation au Québec

À l'heure actuelle, il existe encore une prostitution volontaire et non violente, dont la plus connue est celle des escortes que proposent les annonces classées des journaux aux clients des grands complexes hôteliers. Mais la mondialisation a amené, avec la traite des femmes et des enfants, une criminalisation du commerce sexuel sans précédent dans le passé.

Pour Richard Poulin, il ne fait aucun doute que cette industrialisation est directement liée à la transformation radicale de l’économie mondiale depuis les années mil neuf cent soixante-dix : «La mondialisation capitaliste implique aujourd'hui une " marchandisation " inégalée des êtres humains dans l'histoire. Depuis trente ans, le changement le plus dramatique du commerce sexuel a été son industrialisation, sa banalisation et sa diffusion massive à l'échelle mondiale. Cette industrialisation, qui est à la fois légale et illégale et qui rapporte des milliards de dollars, a créé un marché d'échanges sexuels, où des millions de femmes et d'enfants ont été transformés en marchandises à caractère sexuel. Ce marché a été généré par le déploiement massif de la prostitution, par le développement sans précédent de l'industrie touristique, par l'essor et la normalisation de la pornographie, ainsi que par les besoins de l'accumulation du capital.»

Sauf exception, prostitution et violence ont de tout temps formé un couple inséparable. Comment se fait-il que cette tragédie pour des millions de femmes et d’enfants ne fasse l’objet que de sursauts récurrents lorsque des situations par trop scandaleuses éclatent sur la place publique? Pourquoi ce silence, ce refus de voir et d’agir? Voici le point de vue de Jean-Michel Gentil, juge d'instruction au Tribunal de grande instance d'Ajaccio :

« C'est une affaire de mentalités. La prostitution, on estime qu'elle a un rôle social, on n'a pas envie d'aller voir ce qui est derrière. Elle ne gêne que lorsqu'elle devient trop voyante, ou violente. C'est flagrant dans le monde policier ou judiciaire. Ce n'est pas parce que cette prostitution n'est pas voyante, ou qu'elle est consentie, que le proxénétisme ne tombe pas sous le coup de la loi. »

Suit un exemple représentatif de situations analogues dans d’autres villes du monde entier.

« Récemment, une affaire a touché quelques gros cabarets parisiens, notamment maghrébins et libanais, près de la Tour Eiffel. La prostitution y était pourtant voyante, les filles étaient vingt ou trente. C'est un exemple intéressant : les mêmes étaient prostituées la journée en appartement, l'après-midi sur les boulevards, le soir dans les bars turcs, en fin de nuit dans les cabarets et les week-end dans les foyers de la Sonacotra ! Ce qui choque, c'est le proxénétisme de la mère de famille, pour la prostitution en appartement. Mais pas celui du directeur de cabaret. Où est la différence pourtant ? Il y a une tolérance de la part de nos sociétés. » 4)

La marchandisation sexuelle

Une tolérance telle que les Pays-Bas ont fait du commerce sexuel, nous le verrons plus loin, une profession comme les autres.

L’avilissement du corps de la femme, et de l’enfant, dans la plupart des cas imposé par la violence physique et la destruction du psychisme par les drogues, est-il, peut-il être une profession comme les autres? « Cette industrie est désormais une puissance économique incontournable.[…] La mondialisation a eu tendance à faire disparaître les frontières entre le crime économique et le crime organisé […]La croissance du commerce à l'échelle de la planète … a pour effet de diminuer les risques de détection et d'arrestation par les autorités policières ou douanières. […]La prostitution fait partie désormais de la stratégie de développement de certains États. Sous l'obligation de rembourser la dette, de nombreux États du tiers-monde ont été encouragés par les organisations internationales, comme le Fonds monétaire internationale (FMI) et la Banque mondiale ­ qui ont offert à ces occasions des prêts importants ­ à développer leurs industries du tourisme et de divertissement. Dans chacun des cas, l'essor de ces secteurs a permis l'envolée de l'industrie du commerce sexuel.» 5)

L’anéantissement psychologique

On sait théoriquement que la Thaïlande est un des haut lieux de la prostitution. Voici comment elle se pratique : «Selon la Coalition Against Trafficking in Women, la traite interne en Thaïlande de jeunes filles, majoritairement âgées de 12 à 16 ans, qui sont en provenance du nord du pays, implique un enfermement dans des maisons closes dont les conditions ressemblent à celles d'une prison. Il existe également des lieux d'abattage où la prostituée est vendue quotidiennement à vil prix à une quantité inouïe d'hommes, afin justement de l'abattre, de la briser définitivement, de l'anéantir psychologiquement : « Parquées dans des bouges abjects, traitées comme du bétail, abruties par les drogues et l'alcool, les filles de joie y travaillent à la chaîne, alignent parfois jusqu'à quatre-vingt passes par jour. » Ces femmes sont réduites à des «bêtes à plaisir.» […]En Thaïlande, des enfants sont sortis d'une cage pour assouvir les touristes sexuels.» 6)

Célébrera-t-on un jour, cinquante ans trop tard, ces tortures dignes d’Auchswitz?

Légalisation de la prostitution = augmentation des bordels

Certains pays, dont les Pays Bas, l’Australie et l’Allemagne, ont légalisé la prostitution. Les législateurs ont cru qu’en faisant du plus vieux métier du monde une profession, ils le feraient entrer dans la correction politique et le libéreraient des comportements criminels dont il était le plus souvent accompagné. « Aux Pays-Bas et en Allemagne, les prostituées sont maintenant considérées comme des ″professionnelles du sexe ″, leurs proxénètes se transforment en ″managers″, les propriétaires des maisons de passe en ″tierces personnes″ et les clients en ″consommateurs.″ »7) Dans certaines recherches sur la prostitution au Canada, et dans des textes de lois, on a entériné cette conception en adoptant l’expression «travailleuses du sexe ».

Dans un article intitulé, Quand les Pays-Bas décriminalisent le proxénétisme .Le corps humain mis sur le marché, Marie-Victoire Louis, fait une analyse convaincante des conséquences de cette décriminalisation : « Sous couvert d'une analyse assimilant formellement liberté sexuelle et prostitution, estimant que le stigmate social dont les prostituées sont l'objet disparaîtra dès lors que leur "métier" sera légalement reconnu, faisant fi de toute éthique, le gouvernement néerlandais affiche, à la veille du XXIe siècle, un nouveau "droit" de la personne humaine, celui pour chacun d'être proxénète, le droit à la prostitution n'en étant que le paravent.

« Les Pays-Bas poussent en effet la logique économique libérale jusqu'à son terme ultime. Dès lors que ce "gouvernement reconnaît que les femmes doivent pouvoir choisir librement de se prostituer ", il admet que le corps humain peut être l'objet de transaction et reconnaît qu'une autre personne peut en obtenir un bénéfice :" Le droit à l'autodétermination dont jouit tout homme ou femme adulte indépendant qui n'a été soumis à aucune influence illégale, implique le droit pour cette personne de se livrer à la prostitution et de permettre qu'une autre personne profite des revenus qu'elle en tire. " Cette ­ formidable ­ assertion occulte toute analyse des rapports de domination qui sont à la base même de la prostitution. Elle postule en effet que les personnes elles-mêmes ­ et non seulement les choses ­ peuvent être l'objet de conventions et remet radicalement en cause l'affirmation du principe, pourtant universel, selon lequel le corps humain est inaliénable. » 8)

L’ensemble de ce texte est à méditer.

Si seulement cette professionnalisation de l’industrie du sexe avait eu les résultats escomptés! Or le nombre des prostituées s’est accru : on comptait « 2 500 prostituées en 1981, 10 000 en 1985, 20 000 en 1989 […] Les Pays-Bas sont devenus un site de prédilection du tourisme sexuel mondial. À Amsterdam, où il y a 250 bordels, 80 % des prostituées sont d'origine étrangère " et 70 % d'entre elles sont dépourvues de papiers ", ayant fait l'objet vraisemblablement de la traite. Ces prostituées doivent louer les vitrines dans lesquelles elles s'exposent ; cela leur coûte environ 90 dollars US par jour. Elles y reçoivent entre 10 et 24 clients pour une présence entre 12 et 17 heures par jour. En 1960, 95 % des prostituées des Pays-Bas étaient Néerlandaises, en 1999, elles ne sont plus que 20 %.

« En Australie, la légalisation n'a résolu aucun de ces problèmes et en a entraîné de nouveaux. Entre autres, depuis la légalisation, la prostitution des enfants a connu une croissance dramatique ; le nombre de bordels a non seulement triplé, mais chacun des bordels a également connu une expansion. De plus, le nombre de bordels illégaux surpasse le nombre de bordels légaux. En conséquence, la traite des femmes et des enfants en provenance d'autres pays a augmenté significativement. 9)

Non seulement les Pays-Bas n’ont-ils pas reculé devant ces résultats nocifs de la décriminalisation mais ils ont continué à s’en faire les défenseurs devant la Communauté européenne et d’autres pays sont sur le point d’adopter cette législation : « À de rares exceptions près, chaque rencontre internationale est l'occasion d'une nouvelle avancée des thèses néerlandaises. Ainsi La Haye a-t-elle joué un rôle décisif, lors de la rédaction de la plate-forme européenne d'action préparatoire à celle de Pékin qui s'est tenue en septembre 1995. Pour la première fois, à un niveau gouvernemental européen la notion de " prostitution forcée " a été entérinée. En outre, il n'est plus demandé aux États de ratifier la Convention abolitionniste de 1949, véritable bête noire des Pays-Bas. Dans son préambule, cette convention affirme en effet que " la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine " »10).

Un couplage néfaste: immigration clandestine et prostitution

Depuis le 11 septembre 2001, l’immigration clandestine a été associée au terrorisme et il s’en est suivi une répression plus ou moins avouée. Or il est prouvé que la sévérité des pays occidentaux à l’égard des immigrés clandestins a pour effet, en les rendant vulnérables, d’en faire facilement la proie des groupes criminels.

« En criminalisant les migrants "clandestins ", les "irréguliers" ou les "illégaux", les États et les organismes internationaux ont, en quelque sorte, créé le crime. Ils ont créé le crime car, bien qu'ils défendent la libre circulation des capitaux et des marchandises, ils refusent le droit de libre circulation aux humains et, par le fait même, leur droit au travail et à une vie décente. Le fait qu'une part de plus en plus importante de la migration internationale est "illégale" facilite les abus de toutes sortes et la surexploitation. Les États criminalisent également toutes les personnes qui sont impliquées de proche ou de loin dans les filières migratoires ; tout "groupe structuré de trois personnes ou plus"est désigné comme une organisation criminelle. »

« Comme l'État "ne contrôle plus l'immigration", il renforce son appareil législatif et répressif, avec l'aval des organisations internationales (Moulier Boutang, 2000). Plus précisément, les organisations internationales, en particulier l'Organisation des Nations Unies (ONU), ont couplé la lutte contre la criminalité organisée et la lutte contre l'immigration dite clandestine. 12 . (…) La mondialisation de la prostitution n'a pu être opérée que par une mondialisation du proxénétisme. »
« L'internationale du proxénétisme existe. Mais il ne faut pas se l'imaginer comme une construction rigide, homogène et hyper-hiérarchisée […] Cette internationale est une mosaïque d'apparence disparate, une nébuleuse d'associations de malfaiteurs, de gangs ou de clans dont l'importance et le rendement peuvent être aussi différents que ceux qui séparent le gros industriel de l'artisan. » 11)

Statistiques

Les statistiques que voici devraient pousser les gouvernements ou les organismes politiques à une concertation de leurs actions dans la lutte contre la prostitution : «On estime que deux millions de femmes se prostituent en Thaïlande ­ dont un million a été victime de la traite entre les provinces du sud de la Chine, le Laos, le Viêt-nam et la Birmanie ­, de 400 000 à 500 000 aux Philippines, 650 000 en Indonésie, 10 millions en Inde, 142 000 en Malaisie, entre 70 000 au Viêt-nam, un million aux États-Unis, entre 50 000 et 70 000 en Italie, 30 000 aux Pays-Bas, entre 60 000 et 200 000 en Allemagne.

« L'industrie de la prostitution enfantine exploite 400 000 enfants en Inde, 100 000 enfants aux Philippines, entre 200 000 et 300 000 en Thaïlande, 100 000 à Taiwan, entre 244 000 à 325 000 enfants aux États-Unis (5) (UNICEF, 2001). On estime qu'en Chine populaire, il y a entre 200 000 et 500 000 enfants prostitués. Quelque 35 % des prostituées du Cambodge ont moins de 17 ans (CATW, 2003). Certaines études estiment qu'au cours d'une année, un enfant prostitué vend "ses services sexuels" à 2 000 hommes . Un rapport du Conseil de l'Europe estimait en 1996 que 100 000 enfants de l'Europe de l'Est se prostituaient à l'Ouest.»12)

Les clients

Les recherches sur les clients sont relativement récentes. Catherine Simon 13) dans un article publié dans Le Monde en 2002 a relevé ce qui suit : « On a cru que la révolution sexuelle ferait diminuer la prostitution. Or, remarque Mansson, "il semble qu'un des effets secondaires de cette révolution sexuelle a été de renforcer chez les hommes le sentiment qu'ils ont droit à un accès illimité au sexe". »

« Aussi avons-nous relu avec attention les recherches et les réflexions menées dans certains pays du Nord, principalement en Suède. Sans pouvoir répondre entièrement à notre curiosité, elles permettent de remettre en cause un certain nombre d'idées reçues. Et rappellent un point essentiel : ce que les clients de la prostitution viennent chercher, ce n'est pas tant le sexe que le pouvoir sexuel.

« Aujourd'hui, beaucoup de femmes n'acceptent plus d'être dominées sexuellement par les hommes. Ceux qui ne sont pas capables de vivre ces changements dans les rapports avec les femmes trouvent dans la prostitution un monde où « l'ordre ancien est restitué. » Souvent, dit Mansson, « le besoin compulsif de faire appel à la prostitution peut être examiné à la lumière de cette perte relative de pouvoir. »
Chose étonnante, le besoin sexuel apparaît relativement peu dans le discours des clients. Selon Mansson, « parfois, le contenu de la visite chez la prostituée a moins de signification que l'image que le client s'en fait. » Ce qui est en jeu, c'est l'imaginaire ­ le ou la prostitué-e, son personnage, le milieu qui l'entoure ­ bien plus qu'un prétendu assouvissement de besoins sexuels. Beaucoup de clients confirment que c'est l'ambiance, le voyeurisme qui les excitent avant tout.

« Certes, un certain nombre d'hommes disent recourir à la prostitution faute de pouvoir rencontrer des femmes dans la vie courante. Ceux-là cherchent plus une femme en tant que telle qu'une prostituée.

« En revanche, de nombreux clients recherchent bien une prostituée et non une femme. Selon Julia O'Connell Davidson (sociologue anglaise, « Prostitution, power and freedom », Cambridge, Polity Press, 1998), sa valeur est liée au fait « qu'une prostituée est une prostituée ». Elle n'a, aux yeux de beaucoup de clients, aucune valeur en tant que personne à part entière. Pour Sven-Axel Mansson, les clients s'appuient sur un fantasme, celui de l'animal sexuel, de la femme sexuellement agressive ; un mythe absolu mais extrêmement puissant dans l'imaginaire masculin.

Le nouveau commerce du sexe, que les technologies modernes rendent largement invisible et confidentiel, est pourtant en train de changer la donne. Le marché des corps passe à une autre échelle. Les "filles de joie" s'informatisent, les filières se mondialisent et les Eros Centers ont la cote, qui offrent le confort, l'hygiène et l'anonymat. Le roi-client est mort ? Vive le consommateur ! Le moderne amateur du commerce du sexe, cet acteur occulté du système prostitutionnel, a de belles nuits devant lui. »


La situation au Canada

La sécurité des prostituées

Au
Canada,
« la prostitution est une activité bien dangereuse, si l'on en croit les statistiques. À Vancouver, une soixantaine de prostituées ont été tuées depuis 20 ans. À Edmonton, une douzaine de femmes ont été assassinées. À Montréal, trois travailleuses du sexe ont péri depuis 2003. Sans compter les agressions subies par les prostituées au quotidien. Ces chiffres commencent à faire bouger les politiciens. Un sous-comité de la Chambre des communes fait le tour du pays, ces jours-ci, pour voir comment améliorer la sécurité des travailleurs du sexe. Ce sous-comité étudie les lois canadiennes sur le racolage.

Le cadre juridique de la prostitution au Canada

Depuis 1985, la prostitution n’est pas illégale au Canada. Mais tout ce qui l’entoure l’est. La sollicitation n’est pas permise. Il est interdit de communiquer dans le but d’acheter ou de vendre des services sexuels dans un endroit public. Il est criminel de bénéficier des fruits de la prostitution ou de fréquenter une maison de débauche. Dans tout le pays, policiers et prostitués jouent au chat et à la souris. Les arrestations de clients et de prostitués ont triplé depuis quelques années. À Montréal, on comptait 1230 arrestations en 2004, comparativement à 349 en 2001.

« Les femmes et les enfants sont le groupe cible ; les personnes qui sont l'objet de la prostitution proviennent davantage de couches sociales défavorisées, aux revenus précaires et limités, de minorités ethniques, de groupes indigènes, de réfugiés, d'immigrants clandestins, du tiers-monde, des pays déstructurés par leur transition catastrophique vers l'économie capitaliste ; elles sont également davantage des personnes à bas niveau d'éducation, des fugueuses, des individus abusés physiquement, psychologiquement et sexuellement dans leur enfance ; au moment de leur recrutement, elles sont souvent jeunes (et de plus en plus jeunes). 14)

Une quête de liberté?

« L'attrait de la rue, renforcé par le sentiment d'indépendance et de liberté qu'il procure, peut sembler à première vue une solution à la violence, aux abus et à la misère que ces jeunes ont connus à la maison. Mais avec le temps, ces jeunes victimes retrouvent dans la rue ce qu'ils ont fui en quittant leur milieu familial : la violence, l'exploitation, l'isolement.

C'est ce qu'explique, parmi d'autres, Michel Dorais : «Contrairement à ce qu'on a longtemps pensé, la prostitution chez les jeunes ne traduit aucunement leurs soi-disant perversités, psychopathologies ou délinquances, elle est tout simplement une des solutions que ces enfants, adolescents ou adolescentes ont trouvée pour affronter les problèmes que leur ont légués les adultes : problèmes affectifs, familiaux, matériels, etc.» 15)

La pornographie omniprésente sur Internet est un autre des volets de la marchandisation du sexe. Voir notre dossier.

Le Mouvement du Nid

NOTES

1. Richard Poulin est professeur titulaire de sociologie à l’université d’Ottawa et auteur de plusieurs articles et livres sur le même sujet dont : La violence pornographique, industrie du fantasme et réalités (Yens-sur-Morges, Cabédita, 1993).

2. (Dusch, 2002 :110). Cité par Richard Poulin.

3. Témoignage d’une responsable bulgare d'un foyer de réinsertion (Chaleil, 2002 :498). Cité par Richard Poulin.

4.Extrait du site du Mouvement du Nid http://mouvementdunid31.lautre.net/doc07.htm Entrevue avec Claudine Legardinier.

5. Richard Poulin, op. cit.

6. Richard Poulin, op. cit.

7. Richard Poulin, op. cit.

8. Centre d'études et d'analyses des mouvements sociaux, Centre nationale de la recherche scientifique, CNRS, Paris dans(Le Monde diplomatique, mars 1997 http://1libertaire.free.fr/mvlouis01.html

9. Richard Poulin, op. cit.

10. Marie-Victoire Louis, op. cit.

11. Richard Poulin, op. cit.

12. Richard Poulin, op. cit.

13. Article paru dans Le Monde du 21 mai 2002.

14. Richard Poulin, op. cit.

15. D'abord travailleur social, puis professeur en sociologie à l'Université Laval à Québec, M. Dorais est l'auteur d'ouvrages sur les victimes d'abus sexuels et les agresseurs, dont Les enfants de la prostitution écrit en collaboration avec Denis Ménard et publié en 1987 chez VLB Éditeur.

Références

Le Mouvement du Nid http://mouvementdunid31.lautre.net/index.htm

Pour une renonciation sociale à la prostitution
Contre l'interdiction de la prostitution
Contre la réglementation de la prostitution

Le Mouvement du Nid est une association de soutien aux personnes prostituées et de prévention auprès des personnes en danger de prostitution. Le site contient une bibliographie exaustive des recherches de nombreux pays sur la prostitution, y compris la France, le Québec, le Canada et les Etats-Unis.

De par son expérience de terrain (depuis 1946), le Mouvement du Nid sait que la prostitution n'est pas un exutoire inoffensif. C'est un lieu de violences physiques et psychologiques qui crée chez les personnes concernées des blessures durables : non seulement des problèmes de santé, mais bien au-delà, de véritables traumatismes. On y est quasiment toujours conduit par une histoire personnelle difficile - les éventuels contre-exemple étant rarissimes.
Le Mouvement du Nid observe que la prostitution (c'est-à-dire l'ensemble des relations entre clients, proxénètes de contrainte et de soutien, et personnes prostituées) est incompatible avec le respect de la dignité humaine.



La situation au Québec

"Le profil et la réalité des prostituées

La prostitution est surtout le fait de filles et de femmes, âgées en moyenne de 25 ans et qui souvent ont commencé à se prostituer vers l’âge de 15-16 ans. Elles proviennent généralement de milieux modestes et de familles en difficulté et nombre d’entre elles ont été victimes d’abus sexuels. Elles sont le plus souvent vulnérables, pauvres, marginalisées et présentent des problèmes de toxicomanie. Selon certains intervenants, après cinq ans de prostitution de rue et d’utilisation de drogues intraveineuses, la majorité est contaminée au VIH–Sida.

La violence est omniprésente dans leur vie: violence de la part des clients, des proxénètes, d’autres prostituées, mais également violence de la part des policiers et des citoyens des quartiers où elles rencontrent leurs clients. Selon une enquête menée dans plusieurs pays, 92 % des prostituées interrogées affirmaient qu’elles désiraient quitter la prostitution.

Le profil des clients

Les clients sont des hommes, habituellement âgés entre 30 et 50 ans, plus souvent mariés que célibataires. Ils viennent de tous les milieux socioéconomiques. Certains choisissent d’avoir recours à des prostituées pour briser leur solitude, d’autres parce qu’ils connaissent des problèmes sexuels avec leur conjointe ou parce que celles-ci leur refusent certains actes sexuels; enfin, plusieurs veulent avoir une relation sexuelle brève et sans complication et le fait de payer les dégage de toute responsabilité.

Le profil des proxénètes

Au Québec, un nombre important de prostituées travailleraient sous le contrôle d’un proxénète. Le vendeur de drogue tient aussi souvent le rôle de proxénète, tout comme les propriétaires de studios de massage, d’agences d’escortes et de bars de danseuses nues, dont 80 % offrent des services sexuels. À cet égard, les informations obtenues par la Sûreté du Québec démontrent les liens étroits de la prostitution avec le crime organisé. «Souvent, les bars de danseuses nues jouent un rôle de plaque tournante pour les réseaux de prostitution» (...)

Le trafic sexuel et la prostitution

Aujourd’hui, impossible de dissocier prostitution et trafic sexuel. La traite des personnes au plan international est une méga-entreprise en forte expansion dans le monde avec, à sa tête, des réseaux de trafiquants attirés par un commerce à faibles risques et à profits énormes. La grande majorité des personnes victimes de ce trafic sont des femmes et des enfants des pays pauvres et instables politiquement qui sont destinés, pour la plupart, à la prostitution.

Une réflexion à poursuivre

La question de la prostitution est vaste et complexe. Les choix législatifs que les pays font traduisent des analyses différentes du phénomène. Certains pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas ont légalisé la prostitution sans pour autant éliminer tous les problèmes qui y sont reliés. D’autres pays, comme les États-Unis, ont choisi de criminaliser toutes les activités reliées à la prostitution dans le but de la faire disparaître, mais n’y sont pas encore parvenus. Plus récemment, la Suède a opté pour une criminalisation des clients et des proxénètes, mais non des prostituées, tout en investissant massivement dans des services qui permettront à celles-ci de sortir de la prostitution."

Le Conseil du statut de la femme publie une recherche: La prostitution: profession ou exploitation? Communiqué de presse, 28 mai 2002 (Conseil du statut de la femme du Québec)

Synthèse

 

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