Garneau Richard

L'Agora

 Richard Garneau, journaliste et commentateur sportif,  est mort à Montréal le 20 janvier 2013 dernier.  Il était né à Québec le 15  juillet 1930. Richard Garneau ou l’admiration! Car cet homme fut admiré pour l’admiration dont il fit preuve pour ces grands athlètes qui furent les compagnons de sa longue carrière. Moi qui regrette que le cynisme  et un esprit critique amer se soient substitués à l’admiration dans la société québécoise, je ne peux que dire à mon tour mon admiration pour  Richard Garneau en tant qu'individu, mais aussi en tant que représentant d’une espèce d’étonnants pédagogues,  qui ont contribué de façon significative à relever le niveau de la langue française parlée au Québec : les journalistes et commentateurs sportifs cultivés : de René Lecavalier à Robert Frosy, en passant par Claude Quenneville,  Serge Arsenault.

Cet homme était beau, ses amis disent qu'il était bon, il avait eu accès à la culture classique. On avait toutes les raisons de croire qu'il correspondait à l’idéal grec de kalokagathie (kalos, beau, agathos bon). Platon pensait qu'il faut pour faire un tel homme viser, dans l’éducation  l’équilibre entre la gymnastique, qui endurcit le corps, et la musique, la poésie qui l’adoucissent.  Peut-être  est-ce pour cette raison que tant de gens écoutent avec plaisir une émission de radio du samedi matin, dont l’animateur Joël Le Bigot accordait tour à tour la même attention à deux confrères octogénaires : le musicologue Edgar Fruitier et le commentateur sportif Richard Garneau.

Il fut un temps où un écrivain du même âge, le romancier Gilles Archambault représentait la littérature dans ce forum. Son départ et l’absence de peintres, de sculpteurs, de poètes, d’architectes dans la même émission donnent hélas raison à Robert Redeker qui, dans un remarquable essai intitulé l’Emprise sportive, 1s’inquiète de l’omniprésence du sport dans les médias. Dans l’Humanité du 12 juillet 2012, François Taillandier a résumé ainsi la thèse de Redeker: «Le sport spectacle planétarisé n’est pas un divertissement pascalien ou un opium du peuple, mais une entreprise de modélisation des comportements et des mentalités, applicable à tous les autres domaines de la vie. Je voudrais seulement y prendre deux ou trois exemples illustrant mon nouveau dada, la nécessité d’« écouter les mots » – car les mots que l’on s’habitue à entendre modifient notre perception du réel et de la vie. Le premier auquel s’attache Redeker (s’appuyant sur les travaux de Jean- Claude Milner) est celui d’évaluation. Sélections, championnats, quarts de finale, etc., reposent sur l’évaluation, de préférence chiffrée. Qui peut dire que cela concerne uniquement les sports, à l’heure des agences de notation, des audits et expertises de toutes sortes, de la gestion des ressources humaines ? Or l’évaluation, même si les deux mots sont apparentés, n’a rien à voir avec les valeurs. « L’évaluation a pris la place de la morale », dit-il, dans le rôle classique du surmoi freudien. À une différence près : la morale en appelle à un idéal humain, social ou spirituel. L’évaluation ne nous soumet qu’à des critères et des chiffres qui ne délivrent aucun message. C’est dans le même contexte qu’on ne s’étonne plus d’entendre, dans la vie politique, employer les termes de score, de match, entre deux finalistes d’une présidentielle, par exemple. Lesquels doivent évidemment faire preuve d’un mental de gagnant. Redeker s’attarde d’ailleurs aussi sur ce mot devenu ordinaire, le mental. Prenons garde : il rejette dans l’insignifiant, voire dans l’illégitime, bien d’autres mots tels que l’âme, la conscience, le psychisme, les contradictions d’un être humain, ses ombres, ses faiblesses, parfois ses charismes inattendus. On n’en est plus là, n’est-ce pas!  Redeker note également que « l’évaluation n’existe que pour soumettre chacun à la logique statistique » et « établir l’insuffisance des évalués ». Ce qui me frappe dans cette analyse, c’est qu’elle reflète exactement la situation de notre pays (et de divers autres), telle du moins que nous la présentent dirigeants et grands médias. À l’heure de la sacro-sainte dette, nous sommes tous coupables. Tâchons d’avoir un bon mental...»

On peut présumer que Richard Garneau  aurait lu le livre de Redeker avec un vif intérêt. En aurait-il fait l’éloge sur les ondes? Sa mission était de commenter les événements sportifs, non de faire l’analyse critique de l’institution sportive. Il n’a jamais caché sa préférence pour le patinage artistique. On pourrait en déduire que plus le sport s’éloignait de l’art, moins il l’intéressait en profondeur. Il reste qu'il a couvert et légitimé de son prestige bien des choses qui ne le méritaient pas. il était le grand prêtre d’un culte et un prêtre ne critique pas l’objet de son culte. C’est là une règle dans les médias. Vous n’entendez jamais de critique soutenue des jeux olympiques sur une chaîne qui en a les droits de diffusion.

Dissipons d’abord le malentendu liant le sport actuel à l’idéal grec et à la culture classique en général. Deux choses au moins rendent le sport olympique actuel incompatible avec l’idéal grec : l’obsession de la performance, du millième de seconde, qui oblige l’athlète à renoncer à l’autonomie pour placer son corps et toute sa personne sous le contrôle d’une équipe d’experts extérieurs.  La même obligation  de performance contraint à la spécialisation, au développement démesuré de certains muscles et de certains circuits neuronaux alors que c’est le souci de l’ensemble qui devrait être visé.

L’athlète se réduisant ainsi à une machine, il lui faut absolument trouver le meilleur carburant sur le marché. Ce carburant c’est la drogue ou des pratiques médicales autorisées qui ont les mêmes effets. La drogue n’est pas un phénomène marginal, accidentel, dans le sport contemporain, elle s’inscrit dans sa logique, comme le viagra s’inscrit dans la nouvelle logique du vieillissement.

Dans un contexte où il est généralement admis qu'il faut prévenir le réchauffement climatique, personne ne prend en compte l’impact écologique des grands événements sportifs. Les jeux olympiques n’ont lieu que tous les quatre ans. Il y a là un sens de la mesure fondé sur la tradition, dont il faut se réjouir. Mais que penser des matches, plus de 1 000, disputés chaque année en Amérique du Nord dans les quatre grands sports : baseball, football, hockey, basketball. Une étude rapportée dans l'édition du 16 avril 2005 du magazine New Scientist nous apprend que les 73 000 spectateurs qui ont assisté à un match de football, à Cardiff au pays de Galles, avaient parcouru 48 millions de kilomètres, dont près de la moitié en voiture. La somme du gaz carbonique dégagée équivalait à la quantité qu'une forêt de 2,670 hectares peut absorber pendant un an. Si tous les spectateurs avaient utilisé l'autobus ou le train, l'empreinte aurait été réduite de 24%.  Il faudrait multiplier le nombre d’hectares par  3000 ou 4000 si l’on voulait tenir compte de tous les matches de ligues majeures disputés chaque année dans le monde. Il faudrait miser sur une forêt de plus de 10 millions d’hectares pour absorber le gaz carbonique!

Qu'est-ce que la civilisation universelle perdrait si on réduisait le nombre des échanges sportifs et si l’on en ramenait un fort pourcentage  au niveau régional et local?  Au Québec, la popularité du football universitaire est une chose prometteuse.

Cette critique auquel le sport actuel donne lieu a été à l’origine d’un véritable  engouement pour le sport durable. En quelques années, il a pris racine dans de nombreux pays, des associations se sont formées, en France notamment,  pour développer  cette philosophie du sport.  Le sport durable est celui que l'on pratique en symbiose avec la nature, avec mesure, dans le respect de l'ensemble de l'organisme et du paysage. C’est aussi celui dont l'empreinte écologique est minimale et que tous peuvent pratiquer toute leur vie.

Les gens n'auront pas besoin de se convertir à ce sport puisqu'ils l'ont déjà adopté. Quelles sont en effet les activités physiques les plus populaires? La marche, le jogging, le vélo, le jardinage. Mais où vont les milliards et les empreintes écologiques démesurées? Aux sports professionnels et olympiques, lesquels remplissent aussi les écrans de télévision. Et l'on peut présumer qu'en transformant les gens en spectateurs, ils les éloignent aussi de l'activité physique. Au Canada, la pratique du sport chez les adultes est en déclin; elle a diminué brusquement au cours de la période 1992 – 2005 de 45 pour cent à 28 pour cent.

Il est regrettable qu'un homme de la qualité de Richard Garneau n’ait pas mis une plus grande part de son talent au service de la critique du  sport-performance-spectacle  ni soutenu le développement du sport durable.  Il faut sans doute prendre en considération  le fait que dans une longue carrière comme la sienne la vitesse acquise permet difficilement le freinage nécessaire à l’exercice de l’esprit critique.

(1) François Bourin éditeur, 187 pages, 19 euros.

 

 

 

 

 

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