Innorobo ou la France pour les robots

Jacques Dufresne

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Innorobo ou la France pour les robots

Le grand débarquement des robots dans l’espace humain se poursuit à vive allure, le plus souvent sans l’ombre d’un esprit critique de la part de ceux qui annoncent cette bonne nouvelle dans les médias qu'’ils soient ministres ou journalistes dits scientifiques. J’ai entendu ce matin l’un de ces journalistes. Il s’appelle Janic Tremblay. Il présente et représente la technoscience à Radio Canada. Hélas! Il est le portrait-robot parfait du naïf-enthousiaste-inconditionnel devant tout ce qui est nouveau. Ils tiennent tous le même discours, sur le même ton, dans toutes les langues. Ils devraient pourtant se sentir menacés eux aussi. Dans la logique à laquelle ils adhèrent sans réserve, leur emploi est le premier qu'il faudrait abolir pour le confier à des robots. Pour faire la promotion d’un salon comme Innorobo à l’échelle mondiale, il suffirait d’enregistrer un seul message, et de le faire traduire ensuite dans toutes les langues par un robot polyglotte.

Récemment, un professeur du secondaire m'a dit son inquiétude à la vue de ces adolescents qui ont recours aux antidépresseurs en nombre croissant. Le lendemain, je trouve sur le site de l’exposition Innorobo une nouvelle preuve de l’engouement des mêmes adolescents pour les robots. La semaine précédente avait été marquée au Québec par le grand concours de robots dans les écoles secondaires. Même enthousiasme dans les médias. Enfin les jeunes s’intéressent à quelque chose! Il y a aura moins de décrocheurs l’an prochain. Un ancien ministre de l’éducation, monsieur Paul Gérin-Lajoie, sort de sa retraite pour dire sa joie à la pensée que les enfants de nos écoles, de ses écoles (car il fut notre premier ministre de l’éducation) se passionnent pour les robots. Autant dire qu'enfin ils trouvent leur identité.

Je n’établis pas de lien de causalité directe entre la vogue des antidépresseurs et l’engouement des adolescents pour les robots,  mais il me paraît incontestable qu'une mentalité et un imaginaire dominés et déterminés par l’interaction de l’homme avec les machines est l’une des causes du phénomène.

Il va presque de soi que l’on accueille favorablement les innovations qui vont améliorer le sort des personnes handicapées ou en perte d’autonomie. Mais comment empêcher que ces usages  bienfaisants des robots ne servent, pour des raisons économiques et par honte d’être né, de prétexte à une foule d’usages dégradants pour l’humanité?

La règle d’or devrait pourtant être évidente pour tous : toute présence humaine ou animale est préférable à la proximité d’un robot, exception faite des usages libérateurs exclusifs à cette machine. J’emploie le mot proximité, parce qu'une machine par définition n’a pas de présence. Elle peut seulement exister à côté de moi.

En raison de cette règle d’or, le métier de guide dans un Musée me semblait être le mieux protégé contre la concurrence des robots. Ce matin monsieur Janic Tremblay m’a appris que j’étais dans l’erreur. Écoutez-le. Entendez son enthousiasme.  Et notez que son esprit critique ne porte pas sur les lunettes Google elles-mêmes et sur le cyborg qui les adopte, mais seulement sur le danger qu'elles représentent quand un jeune conducteur les utilise au volant de sa voiture.

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