J'adore la vie

Raoul Ponchon
De la gastronomie de l'oeil à celle de la bouche.
Fâner c'est la gastronomie de l'oeil.
Balzac.

Aujourd’hui la bonté du Ciel est manifeste.
Je me parais tout chose et me semble si leste
Que je pourrais sauter par-dessus les maisons.
Mais les sergots viendraient me chercher des raisons;
J'y renonce, et consens à fouler le bitume,
Si le vent ne m'emporte en l'air comme une plume.
Où vais-je aller?

Parbleu, je veux aller tout droit
Devant moi, tel endroit vaut bien tel autre endroit.
Ce sont assurément ces messieurs pessimistes,
Crimedamourachards et cruellénigmistes,
Qui font courir le bruit qu'il est des endroits tristes.
Moi j'avoue humblement que je n'en connais pas,
Que je suis bien partout où me portent mes pas.

Voilà, me direz-vous, un heureux caractère.
Voui. Je n'en connais pas un pareil sur la terre.
Tout me va, me ravit, me chausse comme un gant,
Le beau, le laid, le neutre avec l'extravagant,
Tout ce qui est, n'est pas, et toute la chimère,
L'âpre génie ainsi que la bêtise amère,
L'éternel Meissonier, et le sempiternel
Bouguereau, qui des pieds est bien le colonel;
Toute l'humanité me semble pitoyable,
Et je serais copain bien vite avec le diable.

La plupart des humains ne sont jamais contents,
Les uns voudraient l'été lorsque c'est le printemps,
Ceux qui ont femme blonde en rêvent une brune,
On voit des triples gueux affamés de fortune,
Sans compter tous ceux-là qui désirent la lune,
- Seigneur, donnez-la leur, qu'ils nous foutent la paix! -
Or ça, continuons. Qu'est-ce que je disais?
Je disais qu'aujourd'hui, par extraordinaire,
Le ciel n'avait pas sa gueule de poitrinaire,
Et que j'étais ravi d'être au monde, et que tout
M'apparaissait charmant, que j'aille n'importe où.
Oui, depuis ce matin que le soleil rougeoie,
J'ai déjà rencontré mille sujets de joie.
D'abord je suis certain que dans l'air amoureux
Flotte je ne sais quoi de suave et d'heureux,

Et je jure sans peur de dire des folies,
Que les femmes aussi sont toutes plus jolies;
Je vais même plus loin: je ne suis qu'un bison
Si la maison n'est pas ce matin plus maison,
Le ciel trois fois plus ciel, l'arbre quatre fois arbre.
Paris me paraît être une ville de marbre,
Pleine de très beau monde, et très intelligent
Et qui aurait bien entendu beaucoup d'argent
Moi-même, je me crois un gros propriétaire
Qui viendrait de toucher de l'or chez son notaire.
C'est fabuleux, vraiment. N'imaginè-e pas
Que je pénètre dans la vie, à chaque pas,
Que ce n'est plus avec mes deux yeux de la veille
Que je vois la nature et que je m'émerveille?
Que je trouve tout beau, tout bien et tout plaisant
Et le plus dégoûtant des hommes,. complaisant.

C'est ainsi que je vais, au hasard, dans la foule,
Titubant de gaîté, comme une femme soûle,
Car tout chemin m'est bon, meilleur, parfait, divin,
Du moment qu'il conduit chez un marchand de vin.

Autres articles associés à ce dossier

Éloge de mon nez

Raoul Ponchon

À tous les buveurs de vin qui ont du nez.

Mettre du vin dans son eau

Léon Daudet

Voici le témoin d'une époque où l'eau paraissait plus dangereuse que le vin pour la santé... et le vin préférable à la drogue qui le remplace t

L'âme du vin

Charles-Pierre Baudelaire

Baudelaire fera dire à l'âme du vin chantant dans les bouteilles:

À lire également du même auteur

Sonnet à Chevreul
À la manière de Ronsard, ou plutôt à sa manière de Ronsard.

Messes et fleurs
Une fleur vaut bien une messe.

Le pape doit manger seul
Le Protocole du Vatican veut que le Pape prenne ses repas tout seul.

Le gigot
Est-ce s'abaisser à un sujet vil que de célébrer ainsi le gigot?

La reine de Saba
Sept cents épouses, mais...

La question du fromage
Le meilleur fromage est toujours celui de son rivage, mais au-dessus de tous les paysages trône le Roquefort.

La Pouche-en-fleur
Ponchon par lui-même. Pouche en fleur! On l'appelait ainsi parce que sur les registres de l'État civil la première syllabe de son nom prend un u et non pas un n. Ponchon, en attendant que le tribunal du lieu rectifie son acte de naissance, se nomm




Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?