La Pouche-en-fleur

Raoul Ponchon
Ponchon par lui-même. Pouche en fleur! On l'appelait ainsi parce que sur les registres de l'État civil la première syllabe de son nom prend un u et non pas un n. Ponchon, en attendant que le tribunal du lieu rectifie son acte de naissance, se nomme légalement Pouchon.
Il était un petit bonhomme
Bien connu de Paris à Rome,
Ni pire qu'un autre ou meilleur,
Montmartrois frotté de Tartare
Et qui raclait de la guitare
On l'appelait la Pouche-en-fleur.

Ce nom le coiffait à merveille,
Car, outre sa gueule vermeille,
Qu'il devait, ô Vigne, à tes pleurs
Figurez-vous que le pauvre être
Avait au point de s'en repaître
Un goût délicat pour les fleurs.

Il allait, venait par la vie
Sans ambition, sans envie,
N'ayant que sa chemise au eu,
Et, malgré cette pénurie,
–Remarquez cela, je vous prie –
Il était heureux, le cocu.

Malgré qu'il vécut dans les villes,
Emmi les discordes civiles,
Il n'en savait rien, l'innocent.
Il considérait l'existence
Comme un beau navire en partance
Vers un ciel plus intéressant.

Son coeur n'avait guère de place
Que pour quelques amis de race,
Ou, comme on dit, de premier choix.
S'il en eût logé mille et treize
Ils auraient été mal à l'aise,
Pensait-il, et tels des anchois.

Je crois qu'il priait le Dimanche
Un vieux bon Dieu à barbe blanche,
Aussi brave comme clément,
Qui plane au-dessus des nuages,
Et juge les fous et les sages
Du haut de son clair firmament.

Avait-il des défauts? Sans doute,
Car il en faut coûte que coûte.
Il l'avouait sans embarras.
Sans quoi, disait-il, - sur ma fine!
La miséricorde divine
N'aurait qu'à se croiser les bras.

Mais comme je viens de le dire,
L'appétit tenait du délire
Qu'il manifestait pour les fleurs
Il leur faisait des vers, des proses,
Les glorifiait en des gloses,
En phrases de toutes couleurs.

Ô fleurs de pourpre, Ô fleurs de neige
Leur disait-il, hélas! que n'ai-je
Cent mille yeux pour vous contempler,
Mille cerveaux pour vous comprendre,
Une langue d'or pour vous rendre
Hommage en un divin parler!

Vous vous ouvrez, et vos corolles
Sont les admirables paroles
Que comprennent seuls les élus.
Qu'adviendrait de nous, pauvres hommes,
Misérables gueux que nous sommes,
0 fleurs si ne fleurissiez plus?

Peut-être à l'instar d'un Go-èthe,
Au lieu d'être un méchant poète,
Pouche eût fait un bon jardinier;
Mais, mon Dieu, comme sur la Terre
Tout est paradoxe et mystère,
On peut aussi bien le nier.

Eh! bien, voyez la sotte histoire:
Il ne mourut pas après boire
Dans les plus aimables douleurs
Ce misérable petit homme
Devait, hélas! trépasser comme...
Ophélie, en cueillant des fleurs.

Un jour, sur le bord d'un abîme,
Je ne sais quelle fleur sublime
Au soleil d'été rutilait.
Comme c'était la plus rebelle
Qui lui paraissait la plus belle
Toujours, c'est elle qu'il voulait.

Donc, pour cueillir la fleur sublime
Le voilà penché sur l'abîme
Quand son pied glissa par malheur......
...C'est ainsi que le pauvre Pouche
Au sein du mystère farouche
Exhala son âme de fleur.

Autres articles associés à ce dossier

Fleurs démodées

Maurice Maeterlinck


Une rose et Milton

Jorge Luis Borges


Messes et fleurs

Raoul Ponchon

Une fleur vaut bien une messe.

À lire également du même auteur

Sonnet à Chevreul
Quand vous serez bien vieux, avec encor des dentsPlein la bouche, et déjà dorloté par l'Histoire, Direz, si ces vers-ci meublent votre mémoire, Un tel me célébrait lorsque j'avais cent ans.Lors, vous n'aurez aucun de vos petits-enfants Qui n'ait soif à ce nom et ne demande à

Messes et fleurs
Les gerbes et les couronnes jetées à profusion sur les chars funèbres s'accordent mal avec les graves leçons de la mort. Voilà pourquoi nous voudrions leur substituer un certain nombre de messes.Le père HIPPOLYTE.(Cité par Le Temps.)Tu crois donc, mon vieux Polyte, Qu'une messe

Le pape doit manger seul
Manger seul! Quelle horreur! Prendre sa nourriture Sans avoir devant soi la moindre créature,Sous prétexte que c'est l'usage au Vatican!L'usage... mais l'usage à la mode de quand?Ce n'est pas, sapristi! la peine d'être pape,Si l' on ne peut donner à l'usage une tape.L'usage n'était

Le Noël des animaux
Or donc quand l'ange eut claironnéDans le Ciel à la ronde,Que l'Enfant miracle était néPour le salut du monde.Tous les animaux à la foisDe tout poil, tout plumageQuittant leurs déserts, ou leurs bois.Lui rendirent hommage.Et tous, fauves ou familiers,Ils fêtèrent en sommeSelo

Le gigot
Quand le gigot paraît au milieu de la table,Fleurant l'ail, et couché sur un lit respectableDe joyeux haricots,L'on se sent beaucoup mieux, un charme vous pénètre,Tout un chacun voyant son appétit renaître,Aiguise ses chicots. On avait bien mangé mille riens-d'oeuvre et autreMai

La reine de Saba
En lisant les vers... mystiques Du Cantique des Cantiques La jeune Balkis pensa «Je me sens le coeur champêtre; Dieu, quel gaillard ce doit êtreCelui qui vous exhala!«C'est tout à fait mon affaire Comme je n'ai rien à faire Je brûle de l'aller voir. Sommes aujourd'hui le douze;

La question du fromage
À mon ami Archibold-Aspol.Aujourd'hui, mon jour de ramage,J'ai décidé de m'employer À rimer d'un certain fromage Qu'un ami vient de m'envoyer Du fond perdu de sa provinceIl n'est pour moi sujet si mince0ù je n'ai matière à hâbler.J'en rimerai donc, et j'ajoute Que si ce sujet




L'Agora - Textes récents