Trois histoires de solidarité

Andrée Mathieu

Durant les récentes inondations le long du Richelieu, ce sont plus de 5000 bénévoles qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour venir en aide aux sinistrés de la Montérégie. Une telle manifestation de solidarité nécessite un travail de coordination et il est intéressant de comparer comment il s'est effectué lors de... trois catastrophes naturelles qui ont frappé des régions différentes du globe : la Montérégie, la Nouvelle Orléans et Christchurch en Nouvelle Zélande.

On connaît l'état de désolation laissé par le passage de l'ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans. Alan Guttierez, un développeur de logiciels, a eu l'idée d'utiliser le réseautage social pour aider les citoyens à se sortir des décombres, retrouver une voix, se défendre contre les abus des différents paliers de gouvernement, demander et obtenir de l'aide et sauver leurs voisins, leurs maisons, leurs écoles et tout ce qui leur était cher. Au moyen de cours intensifs, Guttierez a montré aux résidents des quartiers les plus touchés à bloguer, télécharger et télétransmettre des fichiers, travailler avec des images, des photos et des applications composites (mashups) et, surtout, à s'autoorganiser en utilisant l'Internet comme support. Ces citoyens ont alors déployé leur créativité et utilisé leurs caméras digitales et des sites comme Flickr, WorldPress, Google Maps ou Yahoo Groups pour adapter les efforts de reconstruction aux désirs des citoyens et non à ceux des gouvernements, trop heureux de profiter de l'occasion pour remplacer les anciens immeubles par des développements beaucoup plus dispendieux que les résidents ne pouvaient plus s'offrir, se "débarrassant" ainsi de la couche moins nantie de la population. En créant des blogues aux titres évocateurs comme Fix the Pumps ou Squandered Heritage, les citoyens pouvaient surveiller les travaux effectués par les différentes agences gouvernementales. Et en partageant leurs connaissances, ils sont devenus les "travailleurs du savoir" de la Nouvelle Orléans. On peut voir et entendre Alan Guttierez en suivant ce lien.


Si le cas précédent est un excellent exemple d'autoorganisation, la coordination de la Grande Corvée en Montérégie illustre plutôt un bon travail de collaboration entre la Sécurité civile, SOS Richelieu, un groupe de citoyens qui a décidé de prendre les choses en main, et quelques partenaires. Par exemple, des consignes pour les corvées ont été publiées sur le site de SOS Richelieu, informant les bénévoles de leur rôle et de celui des citoyens, du déroulement des opérations, des moyens de transport, des consignes pour la circulation et le stationnement, des services de garde, des mesures de précaution pour le nettoyage et autre information pertinente. Ce modèle d'organisation du travail fait conjointement par une agence gouvernementale et des représentants de la communauté sinistrée, a donné d'excellents résultats.

Ce dernier exemple est un amalgame de planification et d'autoorganisation, mais il existe un troisième modèle. J'étais encore en Nouvelle Zélande pour mon séjour annuel lorsqu'un violent séisme a frappé Christchurch, la deuxième ville en importance de ce pays avec une population de 390 000 habitants. Or, il y a quelque chose de spécial à Christchurch; c'est une ville en transition (Transition Town). Dans son éditorial,Jacques Dufresne parle du Manuel de transition de Rob Hopkins. Dans l'introduction à la version en français, le docteur Serge Mongeau décrit ainsi le mouvement de transition : « Dans plusieurs villes occidentales, des citoyennes et des citoyens ont commencé à se regrouper pour faire de leur lieu de résidence un espace de résilience, c'est-à-dire capable de s'organiser pour répondre à leurs besoins dans les périodes difficiles que nous promet l'avenir ». En gros, cette organisation consiste à faire l'inventaire des forces et des faiblesses d'une communauté, identifier les ressources disponibles à l'intérieur et les "réseauter", c'est-à-dire bâtir des réseaux, quelquefois dormants mais toujours prêts à s'activer au besoin. Ainsi, à Christchurch une armée de plus de 1300 étudiants s'est mise à l'oeuvre pour donner un coup de main aux sinistrés. Elle s'est constituée grâce à un étudiant de l'université de Canterbury (nom de la région où se situe Christchurch) qui a mis sur pied une page Facebook intitulée Student Volunteer Base for Earthquake Clean Up.

Lorsque le temps de la reconstruction est venu, 17 forums de citoyens ont été formés pour penser la reconstruction de Christchurch. Cette ville avait été planifiée en Angleterre (!) vers 1850 avant de prendre son essor au début du XXe siècle. Sa construction a alors nécessité l'assèchement complet des milieux humides, ce qui a provoqué des effets dévastateurs lors du séisme. En effet, il s'est produit un phénomène appelé « liquéfaction »; en bougeant verticalement, la plaque tectonique a comprimé l'eau présente en profondeur, sous la couche drainée, et l'eau est remontée à travers le sol sablonneux, les molécules d'eau se frayant un chemin à travers les cristaux de sable... Le sol ressemblait à du béton frais qui n'a pas encore séché. C'est ce phénomène, plus que les secousses sismiques, qui a causé tant de dommages; les édifices reposaient sur un sol « mou »!... Transition Christchurch fait le constat que le monde de 2011, et bien sûr celui du futur, sera fort différent de celui qu'on a pu observer en 1850, 1900, 1950 et même en 2000. « Il est important que nous regardions la réalité en face, que nous cessions de nous abriter dans le confort de la pensée magique et que nous arrêtions de ne voir que ce qui fait notre affaire. Nous devons aller de l'avant et ne pas rester figés en 2011. Nous vivons un temps de grand changement, de sorte que le passé n'est plus garant de l'avenir. Ce temps de deuil est aussi le temps des occasions : occasion de repenser la ville, de rassembler l'expertise locale et internationale en design durable, et de développer un nouveau Christchurch sécuritaire et prospère, comme une vitrine mondiale de durabilité. C'est l'occasion de construire des édifices écoefficients, un système de transports intégré et des espaces verts accessibles, productifs et biodiversifiés, en somme de faire une démonstration de ce qui se fait de mieux pour la vie urbaine moderne, bénéficiant à ses citoyens, renforçant ses communautés, nourrissant ses entreprises et soutenant son environnement naturel unique. »

En guise de conclusion, écoutons encore Serge Mongeau parler du génie du mouvement des villes en transition : elles fournissent « des moyens concrets à celles et à ceux qui veulent commencer à agir immédiatement, en se mobilisant pour, dès aujourd'hui, entreprendre la construction de nos communautés de demain, des communautés résilientes, fondées sur la solidarité et préoccupées de fournir à tous le minimum vital. Et ce faisant, redécouvrir le vrai sens de la démocratie et peu à peu reprendre le pouvoir qui nous revient et mieux gérer nos sociétés. S'il n'existe pas cette volonté de s'en sortir ensemble, c'est la loi du plus fort, c'est-à-dire du plus riche, qui s'imposera. » Alors pourquoi ne pas préparer dès maintenant un Québec en transition?

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