la fin de l'épopée napoléonienne

Hippolyte Monin
Extrait de la biographie de Napoléon Bonaparte publiée dans La Grande Encyclopédie vers la fin du XIXe. Cinquière partie: CAMPAGNE D'ALLEMAGNE: Coalition russo-germanique. — Échec des pourparlers avec Metternich. — Infériorité numérique de la Grande armée contre les coalisés. — Victoire de Dresde. — La grande bataille des nations. — La retraite dans «une boue de chair humaine». CAMPAGNE DE FRANCE: opposition du Sénat. — Échec de la nouvelle conscription. — La Grande armée encerclée par les coalisés. — Affrontements en Champagne et en Ile-de-France. — Le traité de Chaumont rétablit la Régence. — Capitulation de Paris. — Talleyrand organise le gouvernement provisoire. — Les armées dégagées de leur serment. — Abdication de Napoléon. — Le tsar lui attribue la souveraineté de l'Ile d'Elbe. — Napoléon quitte l'Ile et rallie les troupes envoyées contre lui. — SAINTE-HÉLÈNE: la seconde Restauration. — Départ de Paris. — Prisonnier des Anglais. — Entretiens avec Las Cases (Mémorial de Sainte-Hélène). — Mort de Napoléon.


CAMPAGNE D'ALLEMAGNE. — Le tsar prend Varsovie (8) et invite les «princes esclaves» à secouer le joug (10); le 22, c'est aux peuples mêmes de l'Allemagne qu'il s'adresse. L'appel n'était pas inutile, mais il était préparé de longue date et attendu. Frédéric-Guillaume, qui ostensiblement avait destitué et condamné York (par contumace), signe avec Alexandre le traité de Kalisz et accède à la sixième coalition. Les Cosaques occupent Berlin (4), et le prince Eugène transporte à Leipziq son quartier général. Toute l'Allemagne est en ébullition; l'«Appel à mon peuple», du roi de Prusse, est éloquemment commenté par le professeur Arndt, par les poètes Uhland et Kœrner. Les généraux russes ont appris le langage de la Révolution française qu'ils associent à celui du loyalisme monarchique: «Allemands, proclame Wittgenstein, nous vous ouvrons les rangs prussiens. Vous y trouverez le laboureur à côté du prince. Toute distinction de rang est effacé par ces grandes idées: le roi, la liberté, l'honneur, la patrie.» Hambourg et Dresde sont évacués. Le 15 mars, Napoléon gagne Erfurt; il n'a en Allemagne, avec les recrues nouvelles, que 166.000 hommes, encore mal exercés et sans cohésion, contre 225.000. L'artillerie reste supérieure; la cavalerie est très insuffisante. À la reprise des opérations, l'empereur peut mettre en ligne environ 90.000 hommes contre 110.000. Il part de Mayence le 26 avril, opère sa jonction le 29 avec le prince Eugène à Weissenfels; où nos conscrits, surnommés diplomatiquement les Marie-Louise, reçoivent le baptême du feu. Le 1er mai, il passe le défilé de Rippach (mort de Bessières). Il place le corps de Ney dans une forte position (villages de Lutzen, Rahna, Gros-Korschen, Kaja), afin d'avoir un pivot solide pour le mouvement tournant qu'il projetait sur sa gauche, vers Leipzig. L'ennemi, imitant sa tactique, essaye de son côté de tourner notre droite. Mais Ney tint bon, reprit deux fois le village de Kaja et donna à Napoléon le temps de revenir, d'envoyer Eugène à la gauche de Ney, Marmont à sa droite, et d'occuper définitivement la position centrale, grâce à Mouton et à la jeune garde. La victoire de Lutzen lui permet de rentrer à Dresde et de se porter sur la Sprée, où Blücher avait établi, entre cette rivière, le Blœser-Wasser, et deux lignes de hauteurs, un véritable camp retranché. Le 20 mai, Macdonald avec Oudinot, Bertrand et Marmont forcent la première ligne à Bautzen; le lendemain, ils s'emparent de la seconde par un mouvement tournant de Ney sur l'extrême droite de l'ennemi, à Preititz. Nos pertes officiellement déclarées sont de 12.000 hommes; l'ennemi se retire en bon ordre et à pas comptés, et ravage les contrées qu'il abandonne. La marche sur l'Oder continue par le combat de Reichenbach, où périt Duroc (22 mai). Davout et Vandamme sont rentrés à Hambourg le 30; Lauriston occupe Breslau le 1er juin. Épuisé par ces victoires «à la Pyrrhus», malade de vomissements, Napoléon s'arrête et accepte les prétendus bons offices de son beau-père François 1er et du ministre autrichien Metternich; c'est par leur intermédiaire qu'est signé l'armistice de Pleswitz (4 juin) pour vingt jours; Napoléon accepta ensuite, à Dresde, la médiation de l'Autriche: l'armistice était prolongé jusqu'au 10 août, et un congrès devait s'ouvrir à Prague, dès le 5 juillet pour traiter de la paix générale. Auparavant, Metternich s'était entendu avec Alexandre, à l'entrevue d'Opoçno; il fut, convenu qu'on ferait traîner les pourparlers afin de donner à Schwarzenberg tout le temps de concentrer en Bohème les forces autrichiennes. François 1er n'entrerait toutefois pas dans la coalition, avant que l'on n'eût fait à Napoléon des propositions raisonnables en elles-mêmes, mais telles qu'étant donnés son caractère et l'état de l'opinion à Paris et en France, il ne pourrait cependant les accepter sans compromettre sa dynastie: c'était l'abandon de l'Allemagne, de la Hollande, de l'Espagne, de l'Italie. Si par hasard il cédait, on lui réclamerait la Belgique, au nom de l'Angleterre. En fait, à Dresde, Napoléon ne put s'entendre avec Metternich, et, quant au congrès de Prague, c'est lui-même qui se chargea de le faire échouer en faisant attendre leurs pouvoirs à ses négociateurs, Narbonne et Caulaincourt. Pendant cette période, Joseph avait perdu l'Espagne, dégarnie de troupes françaises après les désastres de Russie; Jourdan, qui avait réuni tout ce qu'il en restait, avait été battu à Vittoria (21 juin) par Wellesley, et se repliait, par la route de Pampelune, infestée de guerillas; Fey, à Tolosa (25), couvrit cette retraite.

Napoléon avait profité de la suspension d'hostilités pour augmenter son effectif. Mais elle avait amené «plus de régiments à la coalition que l'empereur ne devait trouver de compagnies en France»; elle avait permis à l'Autriche d'armer à son aise, tout en affectant le plus vif amour de la paix. Pendant qu'en Espagne Suchet était acculé plutôt qu'adossé à Figueiras, et que les Anglais, à la poursuite de Soult, campaient sur la rive gauche de la Bidassoa, des mouvements populaires éclataient en Hollande, en Suisse, dans le Tirol, en Italie, en Dalmatie, sur le territoire de la Confédération. Le Saxon Thielmann passe à l'ennemi avec plusieurs régiments. Le roi de Bavière négocie la convention de Ried, qui met le général de Wrede au service de la coalition. Les quatorze corps de la Grande Armée, y compris les auxiliaires, ne comptent que 280.000 hommes, dont la moitié de conscrits, contre 520.000 coalisés, dont 400.000 au moins sont au centre de l'Allemagne, Blücher en Silésie, Schwarzenberg en Bohème, Bernadotte en Brandebourg. Celui-ci termine ainsi sa proclamation datée du 15 août: «Le même sentiment qui guida les Français de 1792 et qui les porta à s'unir et à combattre les armées qui étaient sur leur territoire doit vous animer aujourd'hui contre celui qui, après avoir envahi le sol qui vous a vu naître, enchaîne encore vos frères, vos femmes et vos enfants.» C'est le même jour que le Suisse Jomini, chef de l'état-major de Ney, passe à l'ennemi et fait connaître que le plan de Napoléon est de se porter sur Berlin. Le prince Eugène quitte en toute hâte l'armée centrale pour aller défendre le royaume d'Italie. Le 23, Bernadotte repousse Oudinot à Grossbeeren et préserve la capitale de la Prusse. Pendant que Napoléon pousse vers l'Oder, 180.000 ennemis (Schwarzenberg, Wittgenstein, Kleist) débouchent de la Bohème sur la Saxe. L'empereur a le temps de revenir sur l'Elbe, et gagne la grande bataille de Dresde. C'est là que périt Moreau qui, au quartier général de Prague, avait fait décider la marche sur la capitale de la Saxe. Mais une série de défaites annula les effets de la victoire de Dresde. Ney devait appuyer le mouvement d'Oudinot sur Berlin: Oudinot fut battu à Grossbeeren le 23 août, et Bernadotte l'emporta encore à Dennewitz (6 septembre) sur Ney, lequel perdit plus de 12.000 hommes, les deux tiers de ses canons, et dut se replier sur Torgau. Vandamme, chargé de poursuivre les Autrichiens en Bohème, essaye de les couper de Prague, mais est lui-même enveloppé à Kulm, et fait prisonnier (30 août). Macdonald, qui était resté en Silésie, s'est dégarni considérablement pour soutenir l'action centrale; il est battu par Blücher, sur la Katzbach (26 août), et ne repasse la Bober et la Queiss qu'en laissant derrière lui 10.000 prisonniers et une partie de son artillerie. Davout, qui s'était avancé jusque dans le Mecklembourg, fut obligé de repasser l'Elbe. Napoléon est de nouveau obligé d'appeler à lui les corps engagés témérairement dans une triple offensive, et de reculer de Dresde à Leipzig, où il lutte quatre jours durant et perd «la grande bataille des nations» (19 octobre), à laquelle prirent part, outre Schwarzenberg, Blücher et Bernadotte, l'armée russe dite de Pologne, sous le commandement de Bennigsen, 330.000 hommes contre 175.000. L'empereur se replie sur Erfürt. Mais les Allemands du Sud (Bavière et Wurttemberg) menacent de le couper et se postent sur la route de Mayence, à Hanau, pendant que Schwarzenberg et Blücher le suivent de près, à gauche et à droite. Il fallait passer quand même: c'est le miracle que réalisèrent des chefs comme Curial, Nansouty, Drouot, qui réussirent à percer cette masse de troupes fraîches: «Nos canons roulaient dans une boue de chair humaine» (30 octobre). Un cinquième des troupes d'Allemagne seulement rentra en France. En dehors des pertes, des corps nombreux, de petites garnisons, ou n'avaient pu rallier la masse principale, ou demeuraient là où les avaient attachés des ordres qu'il était impossible de révoquer. Gouvion Saint-Cyr tenta vainement de sortir de Dresde, ville mal fortifiée et dominée par les hauteurs voisines; il y fut rejeté, manqua bientôt de munitions, et conclut avec l'Autrichien Klenau et le Russe Tolstoï une convention honorable que Schwarzenberg refusa de ratifier: 23,000 hommes furent faits prisonniers et dirigés sur l'Autriche.

À Hambourg , Davout garde 30.000 hommes; Lemarois en a 20.000 à Magdebourg; à Dantzig, depuis un an qu'il tient bon, Rapp n'a plus que 10.000 hommes et ne se rendra que le 1er janvier 1814 (la convention fut également violée); ajoutons du Tailly à Torgau, Lapoype à Wittenberg, Grandeau à Stettin, Ravier à Damm, Fornier d'Alpe à Custrin, Laplane à Glogau, qui tous firent désespérément leur devoir.


CAMPAGNE DE FRANCE. — L'empereur avait usé la France. La servilité prolongée du Sénat, loin de préserver son autorité, la rendait plus odieuse encore. Le Corps législatif, où depuis longtemps, dans le huis clos des commissions, les «idéologues» s'exprimaient librement, recouvra soudain la parole: une adresse encore respectueuse dans la forme suppliait l'empereur de ne penser qu'à la paix. Il s'emporta contre une aussi tardive opposition, et s'indigna, non sans raison, des bonnes intentions que les députés supposaient à la coalition vis-à-vis de la France. Entre lui et la nation, la solidarité était entière; la passivité de l'une avait trop longtemps absous et glorifié l'omnipotence de l'autre. «La France, écrit Guizot, était une nation de spectateurs harassés, qui avaient perdu toute habitude d'intervenir dans leur propre sort, et qui ne savaient quel dénouement ils pouvaient espérer ou craindre de ce drame terrible, dont ils étaient l'enjeu.» Metternich eut encore une fois l'habileté de mettre de son côté l'apparence de la modération en proposant vaguement de traiter sur la base des limites de 1795 (mission de Saint-Aignan); mais le prétendu congrès de Francfort fut vite rompu, et Murat prit prétexte de cette «folie» pour se ranger du côté de l'Autriche. La levée des 300.000 célibataires, décrétée en novembre 1813, ne rencontra presque partout qu'inertie ou révolte ouverte (Provence, Vendée, Bretagne). Seules, les populations les plus directement menacées, les paysans de l'Est, se souvinrent de 1792. Au milieu d'une telle lassitude, les proclamations de style révolutionnaire, que l'empereur adresse aux «citoyens français», sonnent faux et dénoncent le désarroi politique et militaire. L'armée de la levée en masse ne dépassa pas 40.000 à 60.000 hommes; ces héroïques défenseurs du sol natal, qui croyaient encore aux miracles du patriotisme, se serrèrent autour du chef que trahissait une partie de sa famille, que vilipendaient presque tous ceux qui avaient grandi avec lui en fortune et en dignités, et dont il était comme la raison sociale. Si le génie militaire de ce chef avait parfois subi des éclipses, on peut dire qu'il retrouva tout son éclat dans la campagne de France, et cet éclat put se faire jour à cause même de la hâte que ses adversaires avaient d'en finir, de leur confiance d'ailleurs fondée dans le dénouement final, enfin de leur concert devenu incertain, depuis que ce dénouement n'était plus douteux, même sans doute pour Napoléon lui-même. La campagne eut pour principal théâtre la Champagne et l'Ile-de-France où les accidents de terrain sont déterminés surtout par l'emboîtement semi-circulaire du tertiaire dans le crétacé (Fontainebleau, Montereau, Sézanne, Vertus, Epernay, Reims, Berry-au-Bac, Laon). En janvier 1814, Bernadotte est dans les Pays-Bas (100.000 hommes); Blücher (60.000) a passé le Rhin à Mayence, avec Nancy comme premier objectif; Schwarzenberg (160.000) arrive par Bâle, afin de marcher sur le plateau de Langres. Celui-ci n'a rien à craindre sur sa gauche, car la neutralité de la Suisse n'arrête pas les Autrichiens. Bubna et Bellegarde (80.000 hommes) tournent le Jura et menacent Lyon. Quant au sud-ouest, ni Suchet, ni Soult ne peuvent défendre la frontière pyrénéenne contre les 160.000 Anglo-Espagnols de Wellesley. Dans de telles conditions, c'est pour l'honneur que Napoléon combat. L'armée de Bernadotte fut quelque temps arrêtée par Maison en Belgique, ou occupée à des sièges, et l'empereur n'a d'abord devant lui que Blücher (sur la Marne) et Schwarzenberg (sur la Seine); au premier, il oppose Marmont, Mortier et Macdonald; au deuxième, Victor et Oudinot; lui-même manœuvre dans l'intervalle, avec Ney et la garde. Blücher est battu à Saint-Dizier (27 janvier) et à Brienne (29), mais Schwarzenberg accourt, et gagne avec Blücher la victoire de la Rothière (1er février) qui n'empêche toutefois pas Napoléon de se replier sur Troyes. Mais ses deux adversaires, la route de Paris étant presque libre, se séparent pour allonger plus commodément leurs colonnes, et reprennent leur marche, l'un par la Marne, l'autre par la Seine et l'Aube. À l'avant-garde de Blücher, York se hâte fiévreusement vers Château-Thierry, afin d'achever Macdonald; suivaient Sacken, près de Montmirail, Olsouviev à Champaubert, Blücher lui-même à Étoges (vallée du Petit-Morin); Napoléon prend par Sézanne, met en déroute le troisième de ces corps à Champaubert (10 février), repousse Sacken à Montmirail (11), York à Château-Thierry (12) et, lorsque Blücher se porte au secours de ses lieutenants, il lui épargne les deux tiers du chemin en se reportant à sa rencontre à Vauchamps (14). L'armée de Silésie était désorganisée, mais l'empereur n'avait pas les forces suffisantes pour empêcher les morceaux de se rejoindre, car il lui fallait immédiatement penser à Schwarzenberg, que Victor et Oudinot n'avaient pu arrêter et dont l'avant-garde atteignait Fontainebleau. Napoléon revient donc sur la Seine par Meaux et Guignes, bat des corps isolés à Mormant, Nangis et Dannemarie (16 et 17); mais l'ennemi est averti et replie son avant-garde de Fontainebleau sur Montereau, où le maréchal Victor arriva quelques heures plus tard. Un brillant combat nous rendit le pont de Montereau et la ville, et les Autrichiens reculèrent encore jusqu'à Méry-sur-Seine, où l'empereur battit un corps prussien venu à leur aide (22), puis sur Troyes et Chaumont. Cependant Blücher s'était reformé, mais, lorsque Napoléon revient sur lui, le général prussien ne l'attend pas dans la vallée de la Marne; averti de l'arrivée de l'armée du Nord, il cherche à la joindre dans la vallée de l'Aisne. L'empereur comptait sur la place de Soissons pour l'arrêter au passage; mais Bülow et Wintzigerode venaient de prendre Soissons, et Blücher fut sauvé. Napoléon remonte encore la rive gauche de l'Aisne, qu'il franchit à Berry-au-Bac, afin d'aborder par le sud-est le plateau de Laon. Blücher est encore débusqué de Craonne, avant-terrasse de ce plateau (7 mars), mais Laon, garni de 80.000 hommes, est imprenable (9 et 10 mars). Un coup de main dégage Reims pour quelques jours. Mais l'expérience a profité aux alliés. Blücher et Schwarzenberg restent désormais en contact et remportent la victoire décisive d'Arcis-sur-Aube (20 et 21 mars). Pendant cette campagne avait été tenu le dérisoire congrès de Châtillon, rompu dès le 10 mars, Napoléon ayant refusé d'accepter les limites de 1792. Le jour même de la défaite suprême, l'empereur apprit par Caulaincourt la signature du traité de Chaumont, par lequel les puissances s'engageaient à rétablir Louis XVIII. Napoléon crut encore pouvoir tenir la campagne en se portant à Saint-Dizier (26 mars); mais les alliés le négligent et continuent leur marche. Paris n'avait que des fortifications improvisées. Après l'héroïque combat de La Fère-Champenoise, où se distinguèrent les «Marie-Louise», les alliés s'emparent, sur Moncey, Marmont et Mortier, des hauteurs de Romainville et de Montmartre, et Marmont, qui veut éviter à une ville désormais ouverte les horreurs de la guerre, signe la capitulation de Paris, le 30 mars. Lyon, sous le commandement d'Augereau, avait capitulé. Le 12 mars, le duc d'Angoulême était entré à Bordeaux, où le maire Lynch et les Anglais proclamèrent Louis XVIII. Enfin, malgré une bataille sanglante livrée par Soult (10 avril), Toulouse ouvrit ses portes aux Anglo-Espagnols.

La Régence établie, à tout événement, dès le 23 janvier (Marie-Louise, Joseph, Cambacérès, Montalivet, Clarke, Savary), n'avait rien fait ou pu faire, soit pour coordonner la défense de Paris, soit pour mettre réellement en sûreté les précieux otages sur lesquels comptaient les alliés, Marie-Louise et le roi de Rome (lettre de Napoléon à Joseph,16 mars), ni pour s'opposer aux intrigues royalistes dont l'hôtel de la rue Saint-Florentin était devenu le centre. L'empereur était revenu en toute hâte, par la rive gauche de la Seine, du côté de Paris; il apprit, à Fromenteau, la convention signée par Marmont. Il partit pour Fontainebleau, pendant que Talleyrand prépare un gouvernement provisoire avec Beurnonville, Jaucourt, Dalberg, Montesquiou; Joseph, Marie-Louise et le roi de Rome s'étaient enfuis à Blois. Le 31 mars, les alliés entrèrent à Paris, qui fut traité avec une extrême modération: la rente monta de 2 fr. 50. Alexandre, au nom des souverains, proclame: «qu'ils ne traiteront plus avec Napoléon Bonaparte, ni avec aucun de sa famille; qu'ils respectent l'intégrité de l'ancienne France, telle qu'elle a existé sous ses rois légitimes; qu'ils peuvent même faire plus;... que, pour le bonheur de l'Europe, il faut que la France soit grande et forte; qu'ils reconnaîtront et garantiront la constitution que la nation française se donnera». Dès le lendemain, le conseil départemental et municipal de la Seine publie la première proclamation royaliste officielle:... «Nous abjurons toute obéissance envers l'usurpateur pour retourner à nos maîtres légitimes» (11 avril). Le Sénat institue le gouvernement provisoire déjà formé en secret par Talleyrand. Le gouvernement confère au général Dessolles le commandement de la garde parisienne et du dép. de la Seine, et «dégage» les armées françaises de leurs serments à Napoléon, déclaré déchu en raison des nombreuses violations de la Constitution de l'an XII que les considérants énumèrent avec complaisance. Marmont, qui s'était retiré sur l'Essonne, traite avec Schwarzenberg: les troupes qu'il a sous ses ordres se retireront en Normandie; si Napoléon tombe entre les mains des alliés, «sa vie et sa liberté lui seront garanties... dans un pays circonscrit, au choix des puissances alliées et du gouvernement français». L'empereur, qui avait d'abord cru pouvoir négocier (échec de Caulaincourt), qui avait pensé ensuite à faire sur la Loire ou ailleurs la guerre de partisans, se voit abandonné. Le 4 avril, il abdique en faveur du roi de Rome. Le tsar exigea une abdication sans condition, qui fut signée le 5. Mais le 6 avril, le Sénat, après avoir voté à la hâte et sans droit aucun une constitution, appelle au trône Louis XVII; l'empereur, cette fois, s'imagina que ses généraux (Oudinot, Berthier, Macdonald, Ney, etc.) se joindraient à lui par intérêt bien entendu; il fut cruellement détrompé, rédigea une troisième abdication, celle-là définitive (11 avril); le même jour, le tsar lui faisait attribuer la souveraineté de l'île d'Elbe, avec 2 millions et demi de pension et une garde de 400 hommes, cela malgré les craintes de l'Angleterre et de l'Autriche. François 1er exigea d'ailleurs que Marie-Louise et son fils se rendissent à Vienne et non à l'île d'EIbe. Après les célèbres adieux de Fontainebleau (20 avril), le souverain déchu partit lentement pour l'île d'Elbe, en voiture, non sans être insulté dans le Midi et menacé même dans sa vie. Il y trouva d'abord un repos indispensable, une meilleure santé, affecta d'oublier le passé et de vivre en «juge de paix». Aux Anglais de passage, il faisait l'éloge des institutions de leur pays. Mais pendant le congrès de Vienne, il fut question de le déporter en Afrique; il ne manquait plus au protocole que la signature d'Alexandre. Averti par les amis des mauvais jours, personnages secondaires pendant la période de gloire, Fleury de Chaboulon, Lavallette, Regnault-de-Saint-Jean-d'Angély, confiant dans le résultat sur l'opinion française des fautes commises par la première Restauration, mal surveillé, peut-être à dessein, par l'escadre anglaise, Napoléon quitta l'île d'Elbe (1er mars 1815), rallia les corps envoyés contre lui (La Bédoyère, Ney) et rentra aux Tuileries le 20 mars. — La campagne, après la bataille de Charleroi, de Ligny et des Quatre-Bras (16 juin), aboutit le 18 juin à la défaite et à la déroute de Waterloo. Le congrès de Vienne, jusqu'alors très divisé, était tombé d'accord dès le retour de l'île d'Elbe pour «mettre au ban de l'Europe le perturbateur de la paix publique». L'Europe victorieuse ne se contenta pas de consacrer de nouveau le premier traité de Paris du 30 mai 1814, qui nous avait réduits à nos frontières de 1792, elle nous imposa le second traité de Paris du 20 novembre 1815, qui nous ramena aux frontières de 1790, moins quelques places fortes au Nord et plus quelques enclaves (Avignon, Mulhouse, Montbéliard), fixa l'indemnité de guerre à 700 millions et la durée de l'occupation armée à cinq ans. Telles furent les conséquences de l'aventure des Cent-Jours; tel fut le dénouement de «l'épopée napoléonienne».

SAINTE-HÉLÈNE.Quant à Napoléon, après avoir, dit-on, songé à se faire tuer sur le champ de bataille, il s'était enfui tout d'une traite jusqu'à Philippeville. Il lui devint impossible d'organiser la résistance. Davout, à Paris, n'entendait pas lui remettre ses 60.000 hommes. Les corps de l'État, qui avaient à peine dissimulé leur hostilité, appartiennent au plus fort. Seul, Lucien lui aurait conseillé de parler encore en maître: «Je n'ai que trop osé,» répond-il. Sur la motion de Lafayette, les Chambres se déclarent en permanence (21 juin). L'empereur ne fait que prévenir un second vote de déchéance en abdiquant le 22 juin, en faveur de «son fils Napoléon II». Le même jour, les Chambres instituent une commission exécutive provisoire sous la présidence de Fouché: cette commission ne fait d'ailleurs que préparer les voies à la seconde Restauration (V. Louis XVIII). Le 29, Napoléon quitte Paris assiégé depuis la veille et se réfugie à la Malmaison. Davout signe un armistice (3 juillet); le même jour, Napoléon part pour Rochefort, dans l'espoir de gagner les États-Unis; mais ce port était bloqué par l'amiral Keith. Craignant surtout de tomber entre les mains des Bourbons, il se fait transporter à bord du vaisseau anglais le Bellérophon, et déclare s'en remettre à la générosité du prince-régent d'Angleterre, et venir, «comme Thémistocle, s'asseoir au foyer du peuple britannique», sous la protection des ses lois (15 juil.). Il était à ce moment placé sous la surveillance d'un agent de Fouché, le général Becker, qu'il congédia par ces mots: «Je ne veux pas qu'on puisse croire qu'un général français soit venu me livrer à mes ennemis.» En fait, il était captif, comme le capitaine Maitland ne le lui laissa pas ignorer. Il fut transféré à Torbay, puis, malgré ses protestations, déporté à l'île Sainte-Hélène, à 2.000 lieues de l'Europe, sur la proposition de Castlereagh, et malgré les objections de légalité du parti wigh; le vice-amiral Cockburn fut chargé de l'y conduire sur le vaisseau le Northumberland (10 août). Les personnes qui furent autorisées à partager sa captivité étaient: Bertrand, son grand maréchal du palais; Montholon et Gourgaud, ses aides de camp; le comte de Las Cases, son ancien chambellan; ses valets de chambre ou serviteurs Marchand, Saint-Denis, Novarraz, Cipriani, Archainbaud, Saintini, le chirurgien irlandais O'Meara. Anéanti pendant les premiers jours de la traversée, il se remit à partir du jour de sa fête, le 15 août, et, vite rassuré an point de vue de l'étiquette à laquelle il ne cessa de tenir, il devint familier, intarissable, même avec les Anglais qui le dégoûtaient cependant par leurs habitudes d'ivrognerie. Pour le distraire et le calmer, Gourgaud et Las Cases obtinrent qu'il leur dictât sa campagne de Waterloo et sa campagne d'Italie. À Funchal, où le vaisseau fit escale, il commanda une bibliothèque considérable. Il débarqua le 17 oct. à Jamestown, seul port de l'île, logea d'abord, sur sa demande, dans un pavillon de la maison des Briars, appartenant à la famille Balcombe, en attendant que fût prête, sur le plateau de Longwood, la maison qui lui était destinée. C'est là qu'il eut avec Las Cases les entretiens d'où est sorti le, Mémorial de Sainte-Hélène, apologie perpétuelle de sa personne et de sa politique, mêlée d'attaques ou de critiques à l'adresse de ses ennemis, et même des généraux qui l'avaient le mieux servi: il n'épargne guère que Larrey, Drouot, Gérard, Duroc et le colonel Muiron qui était mort pour lui à Arcole. Il accable ses frères. Il a de l'indulgence, non seulement pour Joséphine, mais pour Marie-Louise: c'est que, chez cet «homme de pierre», le sentiment paternel avait acquis, par l'éloignement même, une acuité extraordinaire. Cockburn n'agit pas en geôlier, et il paraît même avéré que Laetizia, «Madame Mère», aurait alors apprêté une expédition pour délivrer son fils. L'arrivée du nouveau gouverneur, Hudson Lowe, mit fin à toute espérance. Ce loyal, mais brutal officier, ne pensa qu'à sa consigne, empêcher l'évasion, et s'imposa aux représentants de l'Autriche (de Sturmer), du tsar (comte de Balmany ou de Balmain), de Louis XVIII (de Montchenu). Dès lors, ce fut entre le captif de Longwood et son gardien en chef une lutte journalière sur les correspondances, les entrées et les sorties, l'étiquette, etc. Le plan consistait à exagérer les moindres difficultés pour émouvoir l'opinion européenne. En 1816, le gouverneur fit embarquer Las Cases pour le Cap. En 1817, l'état de santé de Napoléon s'aggrava, et, depuis, il ne cessa de maigrir. Il avait un ulcère de l'estomac, maladie héréditaire dans sa famille. O'Meara, homme d'honneur et de cœur, qui avait gagné toute sa confiance, consentit aisément à diagnostiquer une hépatite, que l'on pouvait attribuer au climat très inégal de l'île. En 1818, sur l'ordre du malade, O'Meara refusa d'accepter une consultation, et préféra repartir. Napoléon, aux sorties duquel étaient assignées des limites fixes et des conditions, ne se montrait plus, ce qui redoublait les transes du gouverneur, obligé de constater sa présence deux fois par jour; en août 1819, Hudson Lowe faillit être accueilli violemment, et même à coups de fusil; il se retira quand il entendit les éclats de rire nerveux de son prisonnier, qui s'empressa d'adresser, par le gouverneur lui-même, une lettre au secrétaire d'État Bathurst, ou il se plaignait qu'on eut violé son domicile. Sa famille lui envoya le médecin Antommarchi (19 sept. 1819), et Fesch deux prêtres assez mal choisis, Bonavita et Vignali. Antommarchi ne fut d'abord accueilli qu'avec défiance, même par le malade, et subit d'étranges interrogatoires. Il obtint enfin que Napoléon prit un peu l'air et s'occupât de jardinage, ce qu'il fit d'ailleurs avec sa fougue ordinaire. Mais l'abus des bains chauds, des narcotiques, qui calmaient seuls ses douleurs, avait non moins que la maladie elle-même miné cet organisme puissant, et la tête était de moins en moins solide. La nouvelle de la mort de sa sœur Elisa Bacciochi détermina une crise qui faillit l'emporter (1820). En janvier 1821, Antommarchi en est à proposer le sirop d'éther; une promenade à cheval de deux heures, qu'il voulut faire malgré le médecin, le terrassa; il sortit encore un peu en calèche, la dernière fois le 17 mars. Hudson Lowe envoya le chirurgien anglais Arnott, qui fut reçu. Le 3 avril, il prétendit faire transporter le malade dans la nouvelle maison de Longwood, enfin achevée: «J'entends, répondit Antommarchi; après l'avoir fait vivre dans une masure, vous voulez qu'il meure dans un palais: l'artifice est grossier» Une période de rémittence suivit (13 au 27 avril) pendant laquelle, soit seul, soit avec Marchand et Montholon, il écrivit son testament. Il se refuse aux drogues, se croit empoisonné avec une citronnade. Avec l'abbé Vignali, ses pensées se retournent vers la religion de son enfance, «qu'il avait rétablie». Le 1er mai, l'agonie commença, tantôt comateuse, tantôt spasmodique et délirante. Au lit de mort, il n'a que des rêves et des hallucinations de bataille, et les derniers noms qu'il prononça furent ceux de Desaix, de Masséna; les derniers mots, ceux de «tête, armée». Il mourut le 5 mai, à six heures moins onze minutes du soir. Les funérailles furent décentes, accompagnées de salves de canon. Le corps fut inhumé non loin d'une source qu'il avait bénie dans les derniers jours de sa maladie, sous le saule de Longwood. Depuis 1840, il repose aux Invalides. Le testament qu'il laissait, et par lequel il disposait de 8 millions, fut l'occasion de tristes contestations, le dépôt confié par l'empereur au banquier Laffitte ne dépassant pas 6 millions; quant au reliquat du domaine privé qu'il croyait pouvoir mettre en compte, la Restauration ne l'avait pas respecté.

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