L’expression suicide assisté est une traduction littérale de l’anglais assisted suicide, qui nous vient des États-Unis. Jacques Pohier, dans La mort opportune (p. 179-212) aborde la question de la terminologie. La notion du suicide assisté a peu de rapport avec le phénomène général du suicide et ne s’applique qu’aux cas de personnes atteintes de maladie mortelle qui seraient justifiées de demander une euthanasie volontaire. Pourquoi parler alors de suicide, surtout que celui-ci, considéré comme une pathologie individuelle ou sociale, a une connotation péjorative? Le mot autodélivrance, suggéré par l’Association de mourir dans la dignité, n’a guère connu de succès. L’expression mort volontaire, que l’on utilise parfois, n’est pas assez précise, parce qu’elle désigne aussi bien l’euthanasie volontaire que le suicide. L’expression assistance (médicale) au suicide aurait été préférable, si l’on sous-entend «l’assistance à la personne, sur sa demande, qui opte pour le suicide dans le cas d’une maladie grave, sans issue et accompagnée de douleurs, que l’on ne peut pas soulager adéquatement». Étant donné que dans des pays francophones, comme la Suisse*, la Belgique* ou le Québec*, l’expression suicide assisté est utilisée sans hésitation, notamment par les juristes, nous la retiendrons.
Quant à l’action même du suicide assisté, si elle est une variante de l’euthanasie volontaire, elle doit être soumise aux mêmes considérations éthiques et juridiques. La différence entre les deux actes consiste dans le fait que l’euthanasie est accomplie par une personne autre que le malade, généralement un médecin, tandis que le suicide assisté est un acte par lequel la personne malade se donne elle-même la mort. Le médecin, ou quelquefois une autre personne, assiste le patient décidé à mourir volontairement en mettant à sa disposition un médicament approprié, que celui-ci pourra s’administrer, ou un instrument dont il pourra se servir à l’heure de son choix. Dans le cas du suicide assisté, c’est le malade lui-même qui est l’acteur principal de son geste décisif et il ne subit pas passivement l’intervention médicale, comme c’est le cas de l’euthanasie. Certains médecins et moralistes préfèrent l’assistance au suicide à l’euthanasie, parce que la libre volonté de mourir y est plus manifeste et le rôle du médecin se réduit à une aide professionnelle. On sait par ailleurs que, par exemple, aux Pays-Bas*, le médecin doit rester aux côtés du malade jusqu’à ce que la mort soit survenue. Cette présence professionnelle peut se faire d’une façon discrète et amicale. Elle a sûrement pour effet d’accroître le sentiment de sécurité du malade du point de vue technique et psychique. En effet, le suicide n’est pas un acte techniquement facile à réaliser, surtout si l’on veut éviter les moyens violents ou si l’on ignore la nature et la posologie des médicaments. La plupart des produits pharmaceutiques ne sont disponibles que sur ordonnance et sont administrés par voie intraveineuse. En outre, des complications peuvent se produire. Comme au sujet de l’euthanasie volontaire, certains critiques reprochent à ce genre d’aide technique de renforcer le contrôle du corps médical sur la fin de vie et d’accroître son autorité sur la soi-disant libre décision du malade. On peut d’ailleurs se demander pourquoi il est nécessaire de recourir à une assistance médicale ou paramédicale dès lors que les médicaments en question sont fiables et disponibles, qu’on connaît leur posologie et qu’un proche ou une personne de confiance est capable de les fournir à la personne malade ou âgée. De fait, l’assistance au suicide est pratiquée quelquefois par des non-médecins. Ainsi Pohier n’hésite pas à relater dans sa «Petite chronique de cinq morts volontaires amicalement assistées» (p. 279-314) ses propres méthodes d’assistance au suicide qui «relèvent uniquement de sa décision et de sa responsabilité strictement personnelle» et qui s’effectuent au bénéfice de personnes prêtes à mourir.
Législation. Aux États-Unis*, le 8 novembre 1994, l’Oregon a voté la Death with Dignity Act autorisant le suicide médicalement assisté. Effectivement, de 1998 à 2005, plus de deux cents personnes ont pris, selon les prescriptions de la loi, les médicaments appropriés pour accélérer leur mort. Une centaine de personnes, ayant reçu leurs médicaments, ne les ont pas utilisés. Plus de vingt personnes sont décédées de leur maladie et près de vingt autres personnes étaient toujours vivantes en 2005 (J. L. Werth & H. Wineberg, «A Critical Analysis of Criticisms of the Oregon Death with Dignity Act», Death Studies, vol. 29, no 1, janvier-février 2005, p. 1-27). En pratique, il appartient à chaque État d’accepter ou de refuser le droit au suicide médicalement assisté. Ainsi, en 1996, douze États ont reconnu le droit au suicide assisté, tandis que la législation de trente-deux États l’exclut explicitement. Cependant, le 27 octobre 1999, à Washington, le Congrès a voté, par 271 voix contre 156, en faveur du projet de loi proposé par Henry Hyde de l’État de l’Illinois. Cette loi fédérale pénalise les médecins qui procurent des médicaments à leurs patients pour accomplir leur suicide, mais rend légale l’utilisation de médicaments appropriés pour traiter la douleur. L’argumentation de Hyde consiste à dire que «le suicide est l’acte ultime du désespoir et que l’acte de faciliter le meurtre intentionnel d’un être humain est l’opposé de l’acte de guérir». Cette loi a été considérée par les opposants comme une intrusion de l’autorité fédérale non seulement dans la législation des États, mais aussi dans la pratique médicale. Elle réduit le traitement de la douleur pour des millions d’Américains, car les médecins craindront d’être accusés de prescrire des médicaments susceptibles de causer la mort de leurs patients. Finalement, la Cour suprême américaine a confirmé, le 17 janvier 2006, la validité de la loi autorisant le suicide médicalement assisté dans l’Oregon, alors que le gouvernement du président George Bush voulait sanctionner les médecins ayant aidé à mourir des patients en phase terminale. Les magistrats, par six voix contre trois, ont déclaré que la loi de l’Oregon représentait un progrès par rapport au contrôle fédéral sur les médecins. L’Oregon est le seul des cinquante États américains à posséder une telle loi.
Les Pays-Bas* sont le premier pays de l’Europe à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté selon des conditions très strictes et précises. La loi de la Belgique* relative à l’euthanasie, votée le 16 mai 2002 et entrée en vigueur le 22 septembre 2002, ne modifie pas le code pénal et n’autorise pas explicitement l’assistance au suicide. Cependant, celle-ci peut être interprétée comme une modalité de la pratique de l’euthanasie. En Suisse*, aucune nouvelle loi a été codifiée concernant l’aide au suicide, l’euthanasie et les soins palliatifs. Cependant, un groupe de travail de l’administration s’est prononcé contre l’introduction d’une réglementation trop détaillée des questions liées à la fin de vie. Son rapport sera soumis à une consultation interne avant la détermination du Conseil fédéral. En Espagne*, le code pénal de 1995 ne considère plus l’euthanasie et le suicide assisté comme des homicides. Les peines d’emprisonnement prévues ne s’appliquent pas lorsque le malade a fait une demande instante et réitérée et qu’il souffre d’une maladie incurable ou d’une affection entraînant des douleurs permanentes et difficiles à supporter. Au Canada*, un projet de loi privé a été déposé par Francine Lalonde, députée du Bloc québécois en juin 2005 modifiant le Code criminel afin de permettre le droit de mourir dignement. Le projet de loi modifie l’interdiction d’aider ou de conseiller le suicide en légalisant ces actions dans la mesure où les conditions suivantes sont respectées, soit que la personne qui désire mourir dignement soit âgée de 18 ans et plus, qu’elle soit atteinte d’une maladie en phase terminale ou éprouve des douleurs physiques ou mentales aigues sans perspective de soulagement. L’expression de cette volonté doit être faite deux fois par écrit à au moins dix jours d’intervalle. La personne qui assiste le malade devra être secondée dans sa tâche par un médecin praticien, si elle n’est pas médecin elle-même. Éthique. Du point de vue éthique*, il convient de poser la question suivante: la mort volontaire peut-elle être, dans le cas de maladie irréversible ainsi que dans le cas des grands vieillards* et des grands infirmes, une manière appropriée de terminer une existence à laquelle la personne qui souffre ne parvient plus à donner une signification ou une orientation? Plus précisément, l’assistance au suicide peut-elle être, de la part du médecin ou de toute autre personne qui y coopère, une action plus sensée que celle de prolonger une vie dépourvue de sens aux yeux de la personne qui la vit? Le projet fondamental de l’éthique est de penser au séjour des humains sur la terre. Exister, c’est être au monde parmi les personnes et les choses. Or, lorsque plus aucun abri n’offre au malade ou au vieillard une protection adéquate pour habiter parmi les personnes et les choses avec satisfaction et signification, il est raisonnable et légitime qu’ils puissent opter pour une mort qui, à leurs yeux, soit bonne et appropriée à leur état et à leurs désirs profonds. Une volonté médicale ou sociale qui chercherait à sauver la vie à tout prix au nom de son soi-disant caractère sacré relève, selon F. Couturier, «plutôt de la virtuosité technologique que de la sollicitude proprement humaine» et s’inspire d’une rhétorique qui ne comprend rien à la douceur du respect qu’inspire la liberté de celui qu’on accompagne («Suicide et existence», Frontières, vol. 1, no 2, 1988, p. 5).
Des objections importantes ont été formulées contre le suicide assisté. Premièrement, on reproche au mouvement en faveur du suicide assisté de promouvoir une société individualiste où les droits subjectifs de l’individu l’emportent sur les liens de la solidarité collective. En plus, sous le couvert d’une libération individuelle, l’intérêt de la personne en processus de suicide coïncide avec celui du pouvoir exercé par la médecine. Cet accompagnement médical de la mort est un contrôle humanisé du désordre de la mort, car ainsi on enlève à la mort son caractère hors norme. Dès lors, le suicide assisté se présenterait comme une mort conforme à la raison et à la science. La réflexion sociologique de Patrick Baudry (Une sociologie du tragique, Paris, Cerf, «Éthique et société», 1986, p. 170) nous fait saisir que la participation du malade à sa propre mort constitue une forme de banalisation de la mort provoquée, parce qu’elle la débarrasse de ses traits tragiques et subversifs. Or, on peut répondre à cette objection que la liberté* d’une personne autonome consiste dans sa capacité de choisir des actes, le moment et les modalités de leur exécution, en tenant compte d’un certain nombre de critères hiérarchisés. Une personne, responsable et bien éclairée, prend en considération les effets prévisibles de son acte sur elle-même et sur autrui, sa portée symbolique, sa pertinence à la lumière des principes ou des valeurs véhiculées dans la société et en regard de la situation concrète dans laquelle elle se trouve pour agir. Un jugement qui respecte ce genre de délibération ou de procédure, appuyé sur une information suffisante, tout subjectif qu’il soit, n’est pas arbitraire ni égocentrique. On peut justement s’étonner de la contradiction entre l’importance que l’on accorde, dans les discours éthiques, aux valeurs de la liberté et de la responsabilité, d’une part, et, d’autre part, le peu de pouvoir que l’on accorde à l’individu dans ses décisions en fin de vie. Loin d’être une dépendance à l’égard de la médecine ou à l’égard de l’opinion publique, le suicide peut être volontaire et un geste de solidarité. Celui dont la vie s’achève et qui a accompli ses devoirs à l’égard de la société peut juger que désormais il ne pourra plus contribuer de façon significative à la collectivité. Même s’il ne se sent pas abandonné par ses proches, il peut refuser d’être un fardeau pour les autres en termes d’investissement de ressources humaines et financières. Au lieu de revendiquer un droit à la mort, il peut s’estimer porteur de l’obligation sociale d’interrompre une vie, soumise à une dégradation progressive d’ordre physique et mental, et de faire appel à une aide professionnelle et fraternelle pour le seconder dans son dessein dont il n’évacue point pour autant le caractère tragique.
Une deuxième objection à l’assistance au suicide concerne la capacité du malade ou du vieillard de prendre des décisions libres et éclairées. On interprète sa demande d’aide non pas comme une volonté de mourir, mais comme un signe de dépression* ou comme un appel à des soins plus adéquats, à une présence plus attentive des proches ou à des relations interpersonnelles plus significatives avec le personnel médical ou avec la famille. «La personne ne veut pas mourir, elle veut être aimée», comme on entend dire parfois. Or, on manque gravement de respect à l’égard de la volonté du malade ou du vieillard lorsqu’on met en doute sa compétence éthique et que l’on conteste le caractère raisonnable et l’authenticité de sa requête. Il doit être considéré et traité comme une personne apte jusqu’à preuve du contraire. Une dépression ne rend en outre pas pour autant une personne incapable de prendre des décisions autonomes concernant la fin de sa vie.
Une troisième objection à cette pratique est que celle-ci est susceptible de détruire la confiance des malades et de leurs familles envers le corps médical, dont la responsabilité est de guérir, de soulager et non de tuer. Personne ne peut s’opposer à cette tâche primordiale de la médecine. Cependant, lorsque la guérison n’est plus possible et que le malade ou le vieillard ne peuvent plus être soulagés adéquatement, l’argument de la confiance peut être inversé: «Quelle confiance un malade ou un vieillard peuvent-ils avoir en un médecin qui refuse de considérer la liberté de décision?» (docteur M. Angel, cité dans J.-P. Soulier, Mourir en paix: quelle médecine en fin de vie?, Paris, Albin Michel, 1994, p. 133). Devant le comité du Sénat au Canada, convoqué à la suite des débats entourant la demande d’aide au suicide formulée par Sue Rodriguez, Margaret Somerville prétend que le suicide assisté est une forme de «violence douce» exercée contre le malade (Délibérations du comité sénatorial spécial, Ottawa, 18 juin 1994). Mais maintenir en vie une personne contre son gré peut constituer, à son tour, une forme de répression inadmissible. E. Drewerman note fort à propos: «Ce peut être user de violence que de forcer quelqu’un à vivre; et ce problème de la violence est bien le nœud du problème: dans quelle mesure peut-on et doit-on prolonger une vie?» (Le mensonge et le suicide, p. 35). Une déclaration de 1974, signée notamment par les deux prix Nobel Linus C. Pauling et Jacques Monod, estimait «cruel et barbare de maintenir contre sa volonté une vie qui a perdu toute dignité, beauté, signification, perspective d’avenir» (cité dans J.-P. Soulier, op. cit., p. 145).
Une quatrième objection au suicide assisté concerne les risques de dérapage. Du suicide assisté, il y a danger de glisser vers l’euthanasie volontaire, de l’euthanasie volontaire vers l’euthanasie non volontaire des malades et des vieillards, des handicapés ou des enfants nés avec des malformations graves, enfin de toute personne jugée indésirable par la société. Cette vision catastrophiste se perd en conjectures. Le suicide assisté est, par principe, une mort volontaire comme peut l’être l’euthanasie volontaire, tandis que toute mort sans consentement de la personne qui décède relève d’un autre domaine et d’un autre débat. (supprimer : Bien sûr, l’histoire de l’humanité démontre que des dérapages sont toujours possibles, car aucune loi et aucune politique n’échappent à d’éventuels abus. En revanche, la perspective n’est pas plus réjouissante quand on voit se prolonger, jusqu’à l’absurde, la vie de malades incurables ou de vieillards contre leur volonté explicite. Quelle société risque-t-on de créer si on se contente d’être le témoin complice d’un si grave «viol de la personne»? (J. Pohier, cité dans J.-P. Soulier, op. cit., p. 177).
Du point de vue moral, il nous semble donc que le droit au refus d’un traitement, les soins palliatifs et la lutte contre la douleur ne s’opposent pas à la mort volontaire par euthanasie ou par suicide assisté. Ce sont toutes des attitudes qui s’inscrivent dans le même souci, celui du respect de l’autonomie* du malade. Contrairement à ce que prétendent les déclarations officielles de l’Église catholique ou celles des partisans des soins palliatifs, on peut établir un lien de continuité entre les soins palliatifs et la mort volontaire. En effet, un malade peut d’abord refuser un traitement jugé inutile, puis accepter que ses douleurs soient traitées médicalement par des soins palliatifs. Lorsque la médecine palliative n’est plus en mesure de soulager le patient physiquement ou moralement, il peut choisir la mort volontaire. S’il dispose de la force physique et mentale ainsi que de moyens techniques pour accomplir lui-même le geste mortel, personne ne devrait intervenir pour l’en empêcher. Si moralement et physiquement, il n’est pas en mesure de poser ce geste seul, il peut demander l’aide technique et professionnelle d’un médecin ou d’une infirmière, d’un proche ou d’une personne de confiance (suicide assisté). Sinon il peut formuler une demande d’interruption de la vie (euthanasie). L’important, c’est que la personne atteinte d’une maladie mortelle et douloureuse puisse accéder à une mort accordée à sa personnalité et à son état, à ses exigences de liberté et de dignité.
© Éric Volant
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Pablo Picasso
«Mort de Casagemas»