Michèle Monteil dans Martin Luther. La vie, oui, la vie (Paris, Cerf, «Semeurs», 1983) trace un portrait de Luther:
«Un paysan dont la vie commença, se déroula et s'acheva [...] en plein coeur de l'Allemagne [...] Mais un paysan dont le nom fit bientôt éclater les frontières de son pays, et de manière irrépressible, telle la propagation d'un incendie...
Un professeur de théologie érudit et zélé, appliqué, derrière les murs de son université et de son couvent, à élaborer la théologie de son désir profond, celle qui «recherche le noyau de la noix et la moelle du grain de blé et la moelle de l'os», mais qui fut bientôt mêlé à de grandes et périlleuses affaires publiques...
Un spirituel solitaire habité par l'angoisse du salut, interrogeant inlassablement la Sainte Écriture pour y trouver la justice de Dieu et la véritable autorité religieuse, mais auquel les chrétiens de son temps demandèrent d'être un réformateur.
Un moine scrupuleux, sincère, exigeant, mais que les circonstances, l'histoire entraînèrent, pour prouver le caractère absolu de sa foi, à devenir schismatique et à quitter l'habit...
Un homme à la personnalité redoutable et fascinante, ne craignant ni la violence ni l'outrance, capable de menacer et pourfendre au nom de la Parole divine, mais aussi d'adorer celle-ci, dans la plus extrême humilité, avec «crainte et tremblement»...
Un prédicateur qui semble toujours dire non pour proclamer le oui et qui affirme que nous ne sommes rien, ou encore moins: des mendiants, face à Dieu, face à Christ qui est tout... (p. 11-13)
L'Avant-propos du même ouvrage cite les dernières lignes que nous possédons de sa main, écrites au soir du 16 février 1546, deux jours avant sa mort:
«Personne ne peut comprendre les Bucoliques de Virgile* s'il n'a pas été berger pendant cinq ans. Personne ne peut comprendre les Georgiques de Virgile s'il n'a pas été cinq ans laboureur. Personne ne peut comprendre les lettres de Cicéron* s'il n'a pas été mêlé pendant vingt-cinq ans à de grandes affaires publiques. Que personne ne pense avoir goûté et compris la Sainte Écriture s'il n' a pas été cent ans avec les prophètes Élie, Élisée, Jean-Baptiste, Jésus et les Apôtres, à conduire l'Église. Ne touche pas à la divine Énéide, contente-toi de l'adorer de loin. Nous sommes tous des mendiants, voilà la vérité.» (op. cit., p. 11)
Sa douleur est poignante, lorsqu'il annonce à son ami Jonas la triste nouvelle de la mort de sa fille Magdalene, décédée à l'âge de quatorze ans:
«Tu as dû apprendre, je pense, que Magdalene, ma fille très chère, est née de nouveau pour le règne éternel du Christ. Moi-même et ma femme devrions rendre grâce à Dieu, joyeux de cet heureux passage et de cette fin bienheureuse grâce à laquelle elle a échappé à la puissance de la chair, du monde, du Turc et du diable; et cependant, telle est la force de la tendresse que nous ne pouvons être sans sanglots et gémissements venant du coeur; et même, c'est un véritable état de mort. Au fond de notre coeur demeurent fixés le visage, les paroles, les gestes de cette fille très obéissante et très respectueuse, vivante et mourante, au point que même la mort du Christ (et en comparaison de celle-ci, que sont toutes les autres morts?) ne peut en arracher cette douleur ainsi qu'il conviendrait.» (op. cit., p. 456)