Prosper Eve, professeur d’histoire à l’Université de La Réunion et président de l’Association historique Internationale de l’Océan Indien (AHIOI), poursuit son travail sur l’esclavage en publiant Le Bruit du silence, paroles des esclaves de Bourbon de la fin du XVIIe s. au 20 décembre 1848, La Réunion, Océans Éditions, 2010. A partir de ces textes, Prosper Eve poursuit son travail de compréhension de la société bourbonnaise d’avant 1848, entamé avec Variations sur le thème de l’amour à Bourbon à l’époque de l’esclavage, Naître et mourir à l’époque de l’esclavage et Les esclaves, la mer et la montagne.
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Quatrième page de la couverture
L’esclave est acheté pour être un producteur. Cependant, il n’est pas que deux bras, il a aussi une tête. Comme tout être humain, il est un « roseau pensant ». Sa force de pensée se découvre dans le livre ouvert de la nature ; cette donne contredit ceux qui soutiennent que « longtemps les savoirs autres que ceux qui venaient de France ont été marginalisés, ostracisés, voire tout simplement interdits ». Le combat culturel et cultuel mené par les premiers grands esclaves dans la partie haute de l’île pendant leur temps de conquête illégale de la liberté s’affiche à travers les noms de lieux : Anchaingue, Cimandef, Matouta, Mafat... ainsi que dans le livre légendaire composé en un temps relativement court avec des visages de proue, tels que Pitre, Baal, Fatie, Diampare, Farla, Phaonce, Sanson, Cenkouto.
Pour punir ou pour tenter de se libérer, l’esclave est en mesure d’élaborer des projets d’incendie, d’empoisonnement, de révolte ou d’évasion. Accusé, il peut produire un discours défensif. Il peut exprimer ses désirs, improviser des chants mélodieux. Sa parole peut être frappée de suspicion, mais elle ne peut être niée. Comme à Bourbon, le législateur lui ouvre tardivement les portes de l’école, il ne peut avoir laissé des journaux intimes palpitants. Cette absence ne peut suffire à elle seule pour que son Histoire soit écrite sans lui. Preuves à l’appui, le présent ouvrage entend battre en brèche les idées reçues sur le silence des esclaves à Bourbon.
Dans Le Quotidien de la Réunion et de l'Océan Indien
Un oxymore en titre comme mieux contredire « les idées reçues ». A ceux qui prétendent que l’histoire de l’esclavage est celle du silence – puisque les esclaves n’ont pas laissé de récits ou de journaux intimes écrits de leurs propres mains – Prosper Eve oppose les textes qui nous sont parvenus, même s’ils ont été rédigés par d’autres mains que celles des esclaves.
« On a tendance à diaboliser ces écrits, en disant que puisque ce sont les écrits du colonisateur, ils n’ont pas de valeur pour parler de l’esclave, explique Prosper Eve. C’est le propre de tous les “ dominés ” de ne pas avoir d’écrit. L’historien doit donc tout prendre, sans faire la fine bouche, à condition de lire ces textes avec un regard critique ».
L’essentiel des textes sur lesquels s’appuie ce livre est constitué d’archives judiciaires : rapport de marronnage, témoignages collectés au cours de procédures pénales (l’esclave qui a commis un délit ou un crime ou qui est tout simplement appelé à témoigner dans un procès) ou civiles (par exemple un divorce des maîtres dans lequel l’esclave est cité). « Les sources judiciaires sont une mine de renseignements », souligne l’auteur.
Mais le livre analyse aussi la légende populaire, celle des grands marrons régnant sur les hauts de l’île, ou de rares chansons, recueillies auprès des esclaves par des écrivains ou des voyageurs de passage. « Il existe suffisamment d’éléments pour qu’on ne dise plus jamais que l’esclave a été silencieux », précise l’auteur.
« Il s’agit toujours pour moi de décrire la complexité du système esclavagiste, explique l’historien. De comprendre le vécu des esclaves, les qualités des esclaves talentueux, les rapports maître-esclaves et les rapports des esclaves entre eux, les passerelles qui peuvent exister entre le monde des maîtres et celui des esclaves. Il n’y a pas eu un esclavage, mais des esclavages à Bourbon ».
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