Écrivain allemand, il fut l’un des chefs de file du Sturm und Drang (Tempête et élan), surtout grâce à son œuvre de jeunesse, Les souffrances du jeune Werther (1774), dont le personnage principal se suicide. Comme il l’écrit lui-même dans Poésie et vérité (1811-1833), ce roman fut achevé en quatre semaines sans plan d’ensemble préalable. L’auteur le remania en 1787 pour une nouvelle édition. Les événements qui sont à l’origine de Werther sont, d’une part, l’amour du jeune Goethe pour Charlotte Buff et, d’autre part, le suicide de son ami K. W. Jerusalem, victime de son amour malheureux pour la femme d’un ami, qui avait beaucoup bouleversé l’écrivain.
Werther peut être considéré comme une œuvre autobiographique dans la mesure où le récit décrit non seulement des personnages qui ont joué un rôle dans l’aventure de Goethe avec Charlotte, mais aussi les souffrances d’un amour impossible qui le tourmentaient dans cette période de sa vie. En 1805, il écrit à Barthélemy Huet* de Froberville, qui lui avait dédié son roman Sidner ou les dangers de l’imagination: «En lisant votre composition, je crois entendre un compagnon de ma jeunesse, un compagnon de mes erreurs, mais heureusement de ces erreurs dont on aurait plus raison de se glorifier que de se repentir. J’ai survécu à mon Werther. Vous avez survécu à votre Sidner et sûrement vous n’en êtes pas pour cela un plus mauvais citoyen, pour avoir été enthousiaste un jour peut-être mal à propos.» Dans une lettre à Selter, datée du 28 mai 1816, il écrit: «Il y a quelques jours, par hasard m’est tombée sous la main la première édition de mon Werther, et cette chanson en moi depuis longtemps oubliée se fit entendre une fois de plus. Alors on ne comprend plus comment quelqu’un a pu pendant quarante ans encore se supporter dans un monde qui déjà dans sa première jeunesse lui paraissait tellement absurde. […] L’énigme se résout en partie du fait que chacun a en lui quelque chose qui lui est propre et qu’il pense développer en le laissant agir sans cesse. Cet être singulier nous nargue jour par jour; ainsi on devient vieux sans savoir pourquoi et comment. Toute réflexion faite, c’est uniquement mon talent qui me permet de passer à travers toutes les situations étrangères à mon être et dans lesquelles, par une fausse orientation, par un hasard, ou par un concours de circonstances je me vois impliqué.»
À Eckermann, il écrit en 1824: «L’âge de Werther, dont on parle tant, n’appartient certes pas, si on le considère d’un peu près, au cours de l’histoire générale de la civilisation, mais à l’histoire particulière de quiconque doué d’un sens inné de liberté* se débat au milieu des contraintes sociales d’un monde vieilli et doit apprendre à s’y reconnaître et s’y adapter. La félicité contrariée, l’action entravée, les désirs insatisfaits ne sont point des infirmités particulières à un temps, mais celles de tout homme. Et il serait fâcheux qu’au moins une fois dans sa vie, chacun n’ait pas une époque où Werther lui semble avoir été écrit spécialement pour lui» (cités par B. Groethuysen dans son «Introduction» aux Romans de Goethe, Paris, Gallimard, 1954, p. ix à xi). «Son œuvre publiée, écrit Michel Tournier, le jeune romancier de vingt-cinq ans en avait immédiatement acquis une aura de chef d’école et de provocateur. Plus les années passeront, plus le succès de ce classique de la sensibilité romantique s’affirmera, plus Goethe se déclarera étranger à cette œuvre initiale qu’il ne cessera de qualifier de morbide» (Célébrations, Paris, Mercure de France, 1999, p. 132-133). Tournier ajoute que c’est sans doute au nom de «sa définition sommairement réductrice du classique et du romantisme: le premier est sain et fort, le second morbide et faible […] qu’il condamnait son propre Werther» (p. 138).
En lien avec son Werther et en le comparant à Tolstoï*, l'auteur de Anna Karénine, Thomas Mann* écrit: «Leur ressemblance va même plus loin: le bien-être physique le plus grand, l'euphorie, se mêle chez eux à la plus radicale mélancolie*, à la plus étroite intimité avec la mort. Le dandy, le libertin qu'était Goethe du temps de ses études à Leipzig fuyait à tout instant la société des hommes, les jeux de cartes et la danse pour s'adonner à la solitude. Mais quand il se trouvait en compagnie amicale, comme avec les Jacobi, les Heinse ou les Stilling, il se montrait extrêmement brillant et d'un abandon enfantin, et même volontiers bouffon. C'est un fait amplement prouvé: il faisait des grimaces, dansait comme un possédé autour de la table et se sentait grisé d'une mystérieuse ivresse, si bien que les philistins le tenaient pour un fou; c'était pourtant le même Goethe dont le Werther a poussé tant de jeunes gens au suicide et qui s'y entraînait lui-même en cherchant à s'enfoncer chaque jour plus profondément dans le corps le poignard qu'il gardait toujours à sa portée, jusque sur sa table de nuit.» (Goethe et Tolstoï, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1967, p. 81-82)
L'«effet Werther» est une expression du sociologue américain David Phillips «pour qualifier ce phénomène de psychologie sociale selon lequel la médiatisation d'un suicide entraînerait, par contagion, une vague de suicides dans la population.» (Wikipdia: «Les souffrances du jeune Werther») Or, dans Poésie et Vérité, Goethe lui-même parle de l'effet de ce livre: «L'effet de ce livre fut grand, démesuré même, surtout parce qu'il arriva exactement au bon moment.» Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) nommait cet effet: furor wertherinus (fureur werthérienne ou fièvre werthérienne). Napoléon aurait lu sept fois Werther qui l'accompagnait durant la campagne d'Égypte. «Le 2 octobre 1808, passant en conquérant Erfurt, il
demanda à voir Goethe pour lui parler de son roman fétiche. (Sophie Pujas, «Les Souffrances du jeune Werther de Goethe» dans Le Point. Références, «Le Romantisme. Les textes fondamentaux», juillet-août 2010, p. 26)
Stendhal lui consacra un chapitre de son essai De l'Amour. «Il faut avoir dix âmes pour s'emparer ainsi de celle de tout un siècle», résumera Lamartine*, autre émule de Goethe, dans ses Cours de littérature. (ibid., p. 26)
Goethe, autant que Tolstoï, est «enfant de la nature» plutôt que «fils de l'esprit», plus dionysien qu'apollinien: «Si que nous appelons «bonheur» consiste dans l'harmonie et la sérénité, dans la conscience d'un but, dans une orientation positive, convaincue et décidée de l'esprit, bref dans paix de l'âme, ce bonheur est visiblement plus accessible aux fils de l'esprit qu'aux enfants de la nature, car ceux-ci, malgré la «simplicité » qui devrait être leur partage, ne semblent jamais arriver au bonheur et à la paix dans la simplicité; on dirait au contraire que la nature a déposé au fond de leur âme un ferment de contradiction et de scepticisme universel, qui, n'étant pas élément de bonté, n'est pas élément de bonheur.
L'esprit est bon. La nature ne l'est pas. Elle est méchante, dirait-on, si les catégories morales avaient à voir quoi que ce soit avec elle. En réalité elle n'est ni bonne, ni méchante, elle se dérobe au jugement, de même que, de son côté, elle refuse de juger; elle est indifférente, objectivement parlant, et comme cette indifférence devient subjective chez ses enfants, elle leur pose des problèmes, levain de tourment et de méchanceté plus que de bonheur et de bonté, qui ne semble pas fait, comme l'esprit ami de l'âme, pour apporter la paix du coeur, mais au contraire, le doute, le trouble, l'inquiétude.» (Thomas Mann, op. cit., p. 84-85)
À noter: par opposition au Memento mori, salutation en usage dans les ordres monastiques, Goethe fait mention d'une inscription sur le rouleau que tient devant lui le personnage d'une statue de marbre d'un riche sarcophage: Souviens-toi de vivre. (Goethe, Wilhelm Meister dans Oeuvres Complètes I, p. 873)
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Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832)
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