L'Encyclopédie sur la mort


«Ô père, fais que nous mourions!»

Goethe

Témoin des jeux d'amour de sa soeur Mira, Pandore interroge son père sur des sensations jusqu'à présent inconnues qui la bouleversent: «Je le sens, je ne sais le dire». Dans son art de répondre à sa fille, Promothée associe l'amour à la mort, la joie à la douleur, la crainte à l'espoir, le désir à la frustration, l'amour à un instant d'éternité: «Il est un instant qui comble toute chose... et qu'on redoute, Pandore,- C'est la mort!» Mais ce sentiment du vide ou du rien au coeur de notre être donne naissance à l'amour et le fait renaître.
PANDORE
Oh! ma pauvre Mira!

PROMÉTHÉE
Que lui est-il arrivé?

PANDORE
Je sens, je ne sais le dire!
Je l'avais vue s'en aller vers le bois
Où souvent nous cueillons des fleurs pour nos couronnes,
Et j'ai suivi ses pas,
Et comme je descendais la colline, oh! je la vois
Qui s'était affaissée dans l'herbe,
Au bas de la vallée.
Par bonheur, Arbar se trouvait justement dans le bois.
Il la tenait toute serrée dans ses bras,
La retenait pour l'empêcher de tomber,
Et puis, oh! ils sont tombés ensemble.
Sa belle tête s'inclinait en arrière,
Il la couvait de mille baisers,
S'attachait à sa bouche
Pour lui donner son souffle.
L'angoisse m'a saisie,
Je m'élançai vers eux, j'ai crié.
À mon cri, elle a repris ses sens
Arbar l'a laissée, elle s'est relevée,
S'est jetée à mon cou.
Sa poitrine battait
à se briser,
Ses joues brûlaient,
Sa bouche était en fièvre,
Et des milliers de larmes jaillissaient de ses yeux,
Je sentais ses genoux fléchir encore,
Et je la soutenais, père chéri,
Et ses baisers, sa fièvre
Ont fait passer dans mes veines
Une sensation inconnue et si nouvelle,
Que, dans mon trouble émue et toute en larmes,
Je l'ai quittée enfin, et la forêt, les champs...
Pour venir vers toi, mon père. Dis-moi,
Qu'est-ce donc tout cela qui la bouleverse
Et me bouleverse?

PROMÉTHÉE
La mort!

PANDORE
Qu'est-ce donc?

PROMÉTHÉE
Mon enfant,
Tu as goûté des joies sans nombre

PANDORE
Des milliers! C'est à toi que je les dois toutes.

PROMÉTHÉE
Pandore, ton coeur s'est mis à battre
Au soleil qui se lève,
À la lune qui change,
Et dans les baisers de tes compagnes,
Tu as connu la plus pure félicité.

PANDORE
Plus que ne sais dire!

PROMÉTHÉE
Qu'était-ce, dans la danse, qui soulevait ton corps,
Si léger, détaché de la terre?

PANDORE
La joie!
Quand le chant, la musique passait dans tous mes membres
Et les faisait mouvoir,
Je n'étais plus que mélodie.

[...]

PROMÉTHÉE
Il est un instant qui comble toute chose,
Tous nos désirs, nos rêves, nos espoirs,
Et qu'on redoute, Pandore, -
C'est la mort!

PANDORE
La mort?

PROMÉTHÉE
Quand, du plus profond de ton être,
Tu sens, tout ébranlée, tout
Ce qui jamais te fut prodigué de joie et de souffrance;
Quand ton coeur en tempête s'exalte,
Et dans les larmes cherche l'apaisement,
Et que s'enflamme son ardeur;
Quand tu n'es plus que résonance, frémissement, frisson,
Que tous tes sens défaillent
Et que tu crois toi-même défaillir,
Que tu t'effondres
Et que tout, dans la nuit, s'effondre autour de toi,
Et que du plus intime de toi-même,
Tu embrasses un monde:
C'est là que meurt la créature.

PANDORE, l'entourant de ses bras
Ô père, fais que nous mourions!

PROMÉTHÉE
Pas encore.

PANDORE
Et après la mort?

PROMÉTHÉE
Lorsque tout - désir, joie, souffrance -
Se sera consumé dans la tempête du plaisir,
Puisqu'un sommeil divin aura tout réparé,
Alors tu renaîtras, rendue à ta jeune nouveauté,
Pour recommencer à craindre, espérer et désirer encore.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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