La pensée sur la mort, développée par René Descartes (1596-1650), savant du
Dubito et du
Cogito, et glanée dans quelques-unes de ses lettres, est tributaire de sa conception de l'homme, composé d'un corps périssable et d'une âme immortelle, destinée à une éternité bienheureuse. Le temps de la vie ici-bas est si éphémère par rapport à l'éternité. Il convient donc de relativiser l'importance de sa durée:
«Mais, Monsieur, vous savez beaucoup mieux que moi que le temps que nous vivons en ce monde est si peu de choses en comparaison de l'éternité, que nous ne devons pas fort soucier si nous sommes pris quelques années plus tôt ou plus tard.» (Lettre à Colvius, le 14 juin 1637)
Descartes recommande un remède très puissant afin de supporter la mort de ceux que l'on aime et d'empêcher de craindre sa propre mort :
«Il consiste en la considération de la nature de nos âmes, que je pense connaître si clairement devoir durer plus que les corps et être nées pour des plaisirs et des félicités beaucoup plus grandes que celles dont nous jouissons en ce monde que je ne puis concevoir autre chose de ceux qui meurent, sinon qu'ils passent à une vie plus douce et plus tranquille que la nôtre, et que nous les irons trouver quelque jour, même avec souvenance du passé; car je reconnais en nous une mémoire intellectuelle, qui est assurément indépendante du corps.» (Lettre à Huygens, le 10 octobre, 1642)
Sa notion de la physique l'a grandement servi pour établir en morale des fondements dont il est plus satisfait que des certitudes qu'il a pu formuler en médecine :
«... au lieu de trouver les moyens de conserver la vie, j'en ai trouvé un autre, bien plus aisé et plus sûr, qui est de ne pas craindre la mort, sans toutefois pour cela être chagrin, comme sont ordinairement ceux dont la sagesse est toute tirée des enseignements d'autrui, et appuyée sur des fondements qui ne dépendent que de la prudence et de l'autorité des hommes.» (Lettre à Chanut, le 15 juin 1646)
Descartes ne craint pas la mort et il aime la vie. Il espère pouvoir vivre assez longtemps afin de jouir des plaisirs de cette vie tout en supportant les douleurs qu'il ne saura pas empêcher de se produire:
«Et si Dieu ne me donne assez de science pour éviter les incommodités que l'âge apporte, j'espère qu'il me laissera au moins assez longtemps en cette vie pour me donner le loisir de les souffrir. Toutefois, le tout dépend de sa providence, à laquelle, raillerie à part, je me soumets d'aussi bon coeur que puisse avoir fait le Père Joseph [confesseur de Richelieu était décédé en 1638] ; et l'un des points de ma morale est d'aimer la vie sans craindre la mort.» (Lettre au Père Mersenne, le 9 janvier, 1639)
En matière de
deuil*, Descartes s'exprime en Philosophe quand il prône la
compassion* par laquelle nous attachons plus d'importance aux afflictions des autres qu'à celles qui nous adviennent lors du décès d'un de nos proches :
«Je ne mets pas ici en ligne de compte la perte que vous avez faite en tant qu'elle regarde votre personne, et que vous êtes privé d'une compagnie que vous chérissiez extrêmement; car il me semble que les maux qui nous touchent nous-mêmes ne sont pas comparables à ceux qui touchent nos amis, et qu'au lieu que c'est une vertu d'avoir pitié des moindres afflictions qu'ont les autres, c'est une espèce de lâcheté de s'affliger pour les nôtres propres...»(Lettre à Huygens, le 20 mai 1637)
Descartes n'a pas le métier de la
guerre*en grande estime, mais il juge que l'on peut s'y engager lorsqu'on est porté par une «belle et juste» cause:
«Et bien que la coutume et l'exemple fassent estimer le métier de la guerre comme le plus noble de tous, pour moi qui le considère en Philosophe, je ne l'estime qu'autant qu'il vaut, et même j'ai bien de la peine à lui donner place entre les professions honorables, voyant que l'oisiveté et le libertinage sont les deux principaux motifs qui y portent aujourd'hui la plupart des hommes [...] ... puisque nous vivons parmi tant de hasards inévitables, il me semble que la sagesse ne nous défend pas de nous exposer aussi à celui de la guerre, quand une belle et juste occasion nous y oblige, pourvu que ce soit sans témérité, et que nous ne refusions pas de porter des armes à l'épreuve, autant qu'il se peut.» (Lettre à Poliot, 1648)