Albert Camus (1913-1960), né en Mondovi en Algérie d’un père ouvrier agricole, qui mourra des suites de ses blessures à la première bataille de la Marne en 1914, et d’une mère travailleuse journalière. Malgré la misère qui fut la sienne dans un milieu modeste et illettré et malgré la tuberculose dont il a souffert toute sa vie, il fit des études brillantes et obtint une licence en philosophie en produisant sous la direction de Jean Grenier une thèse sur Plotin et saint Augustin*. Ses romans (L’étranger, La peste, La chute) et ses pièces de théâtre (Les justes) ont une dimension philosophique. Opposé à tous les conformismes de droite comme de gauche (L’homme révolté), il fut aussi un adversaire farouche de la peine capitale, comme dans Réflexions sur la peine capitale qu’il publie avec Arthur Koestler* en 1946. Il obtient le prix Nobel de littérature en 1957. Il meurt prématurément dans un accident de voiture le 4 janvier 1960.
Selon J.-P. Sartre, Camus n’est pas un existentialiste, bien qu’il se réfère volontiers à Kierkegaard*, Jaspers et Heidegger. Sa philosophie est une philosophie de l’absurde qui naît des exigences de la raison humaine par rapport à l’irrationalité du monde et de la vie mortelle (R. Grenier, Albert Camus, soleil et ombre: une biographie intellectuelle, Paris, Gallimard, 1987). L’idée de la mort est pour Camus l’expression ultime de l’absurde. Le mythe de Sisyphe est un essai sur l’absurde: «Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux: c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie» (p. 15). Une fois que l’on a fait le constat irréfutable du non-sens de l’existence, la vie a-t-elle encore de la valeur? À cette question existentielle, Camus répond par le devoir vivre. Il est vrai que l’homme ressent un profond malaise devant l’hostilité du monde et l’inhumanité de ses semblables, le caractère éphémère des événements qui forment la trame de son existence. Il y a chez lui une nostalgie d’unité, un appétit d’absolu, une recherche de sens. Il éprouve un désir profond de lier les phénomènes entre eux en y décelant un fil conducteur, une clé d’interprétation. Il expérimente aussi son appartenance au monde comme à un ennemi. Son sentiment de l’absurde est intimement associé à la saisie du caractère mortel de l’existence. Deux solutions semblent s’imposer pour échapper à l’absurde: mourir volontairement ou espérer contre toute espérance; la fuite dans la mort, d’une part, la religion ou la métaphysique, d’autre part. Camus refuse les deux solutions et propose une troisième voie, qui consiste à se maintenir dans l’existence en observant avec lucidité l’absurdité de la vie et à demeurer dans la révolte. Or, celui qui se tue fuit l’absurdité, et celui qui espère et se maintient dans l’existence fait de même parce qu’il trouve un sens à l’existence et abolit l’absurdité. En revanche, celui qui poursuit son existence sans créer ni de sens ni de valeur à sa vie, sans s’inscrire dans un réseau de significations ou de croyances, accepte l’absurdité dans un esprit de révolte lucide. Il accumule les jours et les heures, il accumule les expériences, ce que Camus appelle la pratique de «l’éthique* de la quantité» (E. Volant, «Le suicide chez Camus. Discussion éthico-religieuse», SR, vol. 13, no 3, 1984, p. 289-299).
Camus ne traite pas du suicide en tant que phénomène social, mais comme un acte éminemment personnel: «Un geste comme celui-ci se prépare dans le silence du cœur au même titre qu’une grande œuvre. […] Commencer à penser au suicide, c’est commencer d’être miné. La société n’a pas grand-chose à voir dans ces débuts. Le ver se trouve au cœur de l’homme. C’est là qu’il faut le chercher. Ce jeu mortel qui mène de la lucidité en face de l’existence à l’évasion de la lumière, il faut le suivre et le comprendre» (Le mythe de Sisyphe, p. 16-17). Camus se situe davantage dans une perspective de la saisie du sens du suicide, fût-elle négative, que dans une option explicative positiviste et mesurée par des causes. Son approche est philosophique et non pas sociologique. Par une éthique de la quantité, l’homme ne cherche pas à vivre «le mieux», mais «le plus». Sa présence au monde se révèle par une succession d’expériences d’amour (don Juan), de rôles (le comédien) et d’actions (le conquérant) qui sont illusoires, périssables et éphémères. Dans L’homme révolté, Camus glisse vers une éthique de la qualité. «Devenir ce qu’on est», ce n’est pas seulement «vivre le plus», c’est «vivre le mieux». «Plutôt mourir que vivre à genoux» (Œuvres complètes, ii, Paris, Gallimard, «La Pléiade», 1965, p. 425). Le «je» s’ouvre à autrui: «Si nous ne sommes pas, je ne suis pas» (ibid., p. 685). L’exigence de la justice fait entrevoir la possibilité du suicide politique par solidarité devant les murs de l’absurde (E. Werner, De la violence au totalitarisme. Essai sur la pensée de Camus et de Sartre, Paris, Calmann-Lévy, 1972; L. Mailhot, Albert Camus ou l’imagination du désert, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 1973).
Bibliographie
Paola del Castillo, « Albert Camus, "Le poète de la liberté". Mon père, ce héros et le fils prodigue » dans L'absence en héritage. Ces hommes célèbres qui n'ont pas connu leur père, Paris, Dervy, 2010, p. 101-133.
Extrait: « Plus tard, Camus se souvient: "il était une fois une femme que la mort de son mari avait rendue pauvre avec ses deux enfants".L'écrivain aura la nostalgie de Belcourt, le quartier cosmopolite et populaire d'Alger où il vivait avec sa mère. Le fils aimait sa mère, plus que tout, il voulait la protéger et lui offrir un cadre de sécurité. Il lui manquait tant son homme! Albert éprouvait "un bonheur secret dans cette simplicité et ce retranchement" quand il déjeunait avec elle en silence, puisqu'elle souffrait d'un trouble de la parole. Pourtant, au lycée, Albert Camus découvre les différences sociales, il se confronte aux jeunes issus de familles favorisées et fait l'expérience du fossé existant entre les classes sociales. [...] Ayant touché aux racines de la honte, l'auteur réussira à s'en affranchir en partie grâce à son talent d'écriture » (Paola del Castillo, o.c., p. 109-110).
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Photo Albert Camus
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