Après l'étrange mort et les obsèques furtives de son père, Laërte reçoit de la bouche même de la Reine le récit de la mort d'Ophélie, sa soeur. Sa mort étant «suspecte» (mort volontaire), le rite funéraire sera bref. La reine répand des fleurs sur le tombeau. tandis que Laërte (accusant Hamlet de sa rupture causant la mort d'Ophélie) et Hamlet rivalisent dans la manifestation de leur amour pour celle qui fut la soeur du premier et la bien-aimée du second.
LA REINE
Au-dessus du ruisseau penche un saule, qui mire
Dans le cristal de l'eau ses feuilles d'argent,
Et c'est là qu'elle vint, avec des guirlandes
Fantastiques, d'orties et de boutons d'or,
De marguerites et des longues fleurs pourpres
Que les hardis bergers nomment d'un mot plus libre
Mais que nos chastes vierges appellent doigts des morts.
Là, voulut-elle, aux rameaux qui pendaient,
Grimper pour accrocher sa couronne florale?
Une branche perfide, se rompit
Et elle et ses trophées agrestes sont tombés
Dans le ruisseau en pleurs. Sa robe s'étendit
Et telle une sirène un moment la soutint,
Tandis qu'elle chantait des bribes de vieux airs,
Insensible peut-être à sa propre détresse
Ou comme un être fait pour cette vie de l'eau.
Mais que pouvait durer cet instant? Alourdis
Par ce qu'ils avaient bu, ses vêtements
Prirent l'infortunée à son chant mélodieux,
Et l'ont conduite à sa fangeuse mort.
(Hamlet, IV, 7)
[...]
LAERTE
Est-ce là toute la cérémonie?
L'OFFICIANT
Nous avons donné à ses funérailles
Autant d'ampleur qu'il nous était permis.
Sa mort était suspecte,
Et si un ordre souverain n'avait prévalu sur l'usage,
Elle aurait reposé dans la terre profane
Jusqu'aux trompettes du dernier jour.
Au lieu des bonnes prières,
Des tessons, des éclats de silex, des cailloux
Eussent été jetés sur elle.
Mais on lui a donné les guirlandes des vierges,
On a jeté des fleurs sur son corps, et les cloches
L'auront accompagnée à son dernier séjour.
LAERTE
Il n'y aura donc rien d'autre?
L'OFFICIANT
Non, rien de plus!
Ce serait profaner le service des morts
Que de chanter un grave requiem
Et d'implorer pour elle un même repos
Que pour les âmes parties en paix.
LAERTE
Mettez-la dans la terre,
Et de sa belle chair immaculée
Que naissent les violettes! O prêtre hargneux,
Ma soeur officiera parmi les anges
Quand tu hurleras.
HAMLET
Quoi, belle Ophélie!
LA REINE, répandant des fleurs
Que les fleurs aillent aux fleurs. Oh au revoir!
J'avais l'espoir que tu épouserais mon cher Hamlet,
Je pensais décorer ton lit nuptial, ma charmante fille,
Et non pas fleurir ton tombeau.
LAERTE
Oh! qu'un triple malheur
Tombe dix fois triplé sur la tête maudite
Dont la perverse action t'a séparée
De ton esprit délicat! Retenez un moment la terre,
Que je la prenne encore dans mes bras.
Il saute dans la fosse
Et maintenant jetez votre poussière
Sur le vif et la morte, et tant et tant
Que de ce creux vous fassiez une crête
Plus haute que le vieux Pélion ou que la cime
De l'Olympe bleu dans le ciel!
HAMLET
Quel est-il celui-là, dont le chagrin
S'exprime avec autant de force? Dont le cri
Conjure l'astre errant et fait qu'il s'arrête
Comme un homme frappé d'effroi? Mais me voici,
Moi, Hamlet, le Danois!
Il saute dans la fosse à la suite de Laërte
[...]
Eh bien, je veux me battre avec lui sur ce thème
Jusqu'à ce que mes yeux accablés se ferment.
LA REINE
Sur quel thème, mon fils?
HAMLET
J'aimais Ophélie. Quarante mille frères
Ne pourraient pas avec tout leur amour
Atteindre au chiffre du mien... Que feras-tu pour elle?
(Hamlet, V, 1)
IMAGE
Eugène Delacroix. La mort d'Ophélie, 1843. Lithographie, Louvre, Paris, France