L'Encyclopédie sur la mort


Qui est coupable de son péché?

Fedor Dostoïevski

Le suicide engendre chez les proches un trouble profond où la peur instinctive se mêle à un sentiment de culpabilité. Ainsi, le récit du suicide d'Olia, jeune fille se considérant déshonorée par les avances d'«un homme digne et bienfaisant», suscitera une conversation entre le jeune Arcade et sa soeur Lisa. «Qui est coupable de son péché?» est la question que la jeune femme se pose, en se rappellant ce récit qu'ils ont entendu la veille de la bouche même de la mère d'Olia. La catégorie de la faute morale, qui surgit spontanément dans une première estimation de ce geste, plus irrationnelle que réfléchie, peut se justifier dans un premier temps, mais, dans un deuxième temps, elle ne fera plus partie d' une approche pertinente du suicide, ni pour sa compréhension, ni pour sa prévention.
Le récit de la vieille dame:
«[...] Ah! ma petite Olia, c'est peut-être notre bonheur que nous avons chassé, tu as peut-être offensé un homme noble et bienfaisant!» Je pleure de dépit; je ne pouvais plus y tenir. Alors elle crie après moi: «Je ne veux pas. je ne veux pas! Même si c'était le plus honnête homme du monde, je ne veux pas de ses aumônes! Je ne veux pas qu'on ait pitié de moi!» Je me couche, sans une idée dans le cerveau. Combien de fois je l'ai regardé ce clou que vous avez dans le mur, qui est resté de quelque miroir: eh! bien, je ne me doutais de rien, ni hier, ni avant, je ne devinais rien, et surtout je n'attendais pas cela de mon Olia.

[...]

«Oh! Oui! ma petite Olia, je dors bien fort, bien fort». Donc, il faut croire que je ronflais comme ça, hier. C'est ce qu'elle attendait: alors elle s'est levée sans crainte. Il y avait là une courroie de valise, une longue courroie qui traînait depuis tout ce mois, bien en évidence. Hier matin encore, je me disais: « Il faudrait la ranger enfin, qu'elle ne traîne pas comme ça». Ensuite sans doute, elle a repoussé la chaise du pied, pour qu'elle ne fasse pas de bruit, elle avait mis sa jupe par-dessous. Et sans doute c'est bien longtemps après une bonne heure ou davantage que je me suis réveillée. J'appelle: «Olia! Olia!» J'ai eu tout de suite une espèce de vision, pour l'appeler comme ça. Ou bien c'était que je n'entendais pas sa respiration dans le lit, ou bien je distinguais dans l'obscurité que son lit, avait l'air d'être vide. Toujours est-il que je me lève tout d'un coup et j'allonge le bras: personne sur le lit, et l'oreiller est froid! Alors mon coeur chavire, je suis comme sans connaissance, ma raison se trouble: «Elle a dû sortir», je me dis. Je fais un pas, et puis, près du lit dans l'angle devant la porte, il me semble la voir debout. Je la regarde sans rien dire et elle aussi dans l'obscurité me regarde, sans faire un mouvement...Seulement pourquoi est-ce qu'elle est montée sur la chaise? Je dis tout bas: «Olia, j'ai peur, Olia, m'entends-tu?» Alors, tout d'un coup tout s'éclaire, je fais un pas, je lance mes deux bras en avant, sur elle, je l'embrasse et elle se balance entre mes mains, je la saisis, et elle continue à se balancer. Alors, je comprends tout, et je ne veux pas comprendre...Je veux crier, le cri ne vient pas...Ah! Je tombe par terre de tout mon poids, et c'est alors que j'ai crié...

La conversation entre le jeune homme et sa soeur au sujet d'Olia

- Dis-moi, Arcade, cette jeune fille d'hier...
- Hélas! comme c'est dommage, Lisa! Ah, comme c'est dommage.
- Ah! comme c'est dommage! Quelle destinée! Tu sais, c'est mal de notre part d'être si joyeux, tandis que son âme vole maintenant dans les ténèbres, dans une obscurité sans fond, avec son péché et son ressentiment...Arcade, mais qui est coupable de son péché? Ah! comme c'est terrible. Penses-tu quelquefois à ces ténèbres? Ah! comme j'ai peur de la mort! et comme c'est mal! Je n'aime pas l'obscurité; ah! ce soleil, comme c'est mieux! Maman dit que c'est mal d'avoir peur...Arcade, est-ce que tu la connais bien, maman?
- Encore assez peu, Lisa, je la connais assez peu.
- Ah! quelle créature c'est! Tu dois la connaître! Il faut surtout la comprendre...
- Mais toi-même, je ne te connais pas, et maintenant je te connais tout entière. Lisa, tu as beau avoir peur de la mort, tu dois être fière. hardie, courageuse. Tu vaux mieux que moi, infiniment mieux! Je t'aime à la folie [,,,[ La mort peut venir quand elle voudra, pour le moment vivons, vivons! Regrettons cette malheureuse, mais bénissons la vie.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Documents associés