L'Encyclopédie sur la mort


«Que philosopher, c'est apprendre à mourir» (Cicéron)

Cicéron


Cicéron, Devant la mort (Première Tusculane), présenté par Pierre Grimal, traduit du latin par Danièle Robert, Arléa, 1996, p. 74-75.
Ces paroles sont celles de Cicéron lorsqu'il s'adresse par écrit à Brutus* et s''appuie sur le dualisme de Socrate*, vu par Platon*, qui rend l'âme prisonnière du corps afin de le convaincre de se détacher de son corps, de ses plaisirs et de ses activités pour concentrer son âme sur l’apprentissage de la mort. Il faut nous accoutumer à mourir.
Car la vie entière du philosophe, nous le savons est une préparation à la mort. Que faisons-nous lorsque nous détachons notre âme du plaisir (c'est-à-dire du corps), des affaires privées (qui en dépendent étroitement), des affaires publiques, bref de tout ce qui est synonyme d'activité, que faisons-nous, dis-je, sinon l'obliger à se ressaisir, l'inciter à la concentration et surtout l'isoler du corps ? Or, séparer l'âme du corps, c'est, assurément, apprendre à mourir. Méditons là-dessus, crois-moi, et désunissons-nous de nos corps; j'entends, accoutumons-nous à mourir : nous vivrons ainsi, durant notre séjour sur terre, comme si nous étions déjà au ciel et lorsque, délivrés de nos chaînes, nous y serons transportés, le trajet paraîtra moins long à nos âmes. Celles, en effet, qui ont été toujours entravées par leur corps, ont un essor plus lent une fois libérées, tout comme les captifs qui sont restés de nombreuses années enchaînés. Lorsque nous serons là-bas, c'est alors que nous vivrons; car c'est la vie d'ici-bas, sur laquelle j'aurais bien des larmes à verser, si je me laissais aller, qui est la mort.

[...]

Ton heure viendra, et vite même, que tu veuilles la reculer ou que tu la hâtes; le temps s'envole. Mais pour que tu ne croies plus, comme il y a peu encore, que la mort est un mal, je te démontrerai qu'il n'y a rien de plus insignifiant et, même, pas de plus grand bien pour nous qui sommes destinés à être dieux ou à vivre avec les dieux.»

Commentaires

M. Picard oppose à la philosophie comme apprentissage de la mort, proposée par Cicéron et par Montaigne (dans sa période stoïcienne) la philosophie comme apprentissage de la vie selon Sénèque, Spinoza et Jankélévitch:

«Un livre sur vingt à la fin du XVII° siècle offrait une méditation sur la mort», prétendait préparer, apprendre à mourir: qu'entendre au juste par ces expressions? Lorsque Sénèque* donne forme au lieu commun non de morte sed de vita méditatur philosophus, évoque-t-il un choix ou opère-t-il un constat? La mort donnerait à penser : à quoi précisément? [...] «On n'apprend pas à mourir » répète avec talent Jankélévitch*, et cette fameuse préparation à la mort «n'est peut-être qu'une simple galéjade». Quant à la méditation sur la mort, si elle ne veut pas tourner en méditation sur la vie, [elle] semble n'avoir le choix qu'entre la sieste et l'angoisse.» (La mort, p. 275, p. 40) L'Image d'Épinal d'Hamlet* contemplant tout songeur le crâne de Yorick l'amène à se demander laquelle des deux êtres est la plus vide - car nous ne sommes pas plus avancés que l'homme de Néanderthal quant à la connaissance de «la mort», qui demeure apparemment une «énigme», terme sur lequel le philosophe termine d'ailleurs son beau livre de cinq cent pages.» (Michel Picard, La littérature et la mort, PUF, «Écriture», p. 24)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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