Hantée par le Fayoum*, Dalia Chauveau ne réalise pas des masques funéraires: elle démasque dans le visage les traces du natal à l'état pur, d'une naissance restée en puissance, d'une nature restée en friche dans les buissons ardents et les pousses sauvages du regard et de la bouche. Elle racle avec la force de la lumière photographique la surface lisse des visages d'hommes et de femmes pour qu'en ressortent les grandes lignées d'animaux* morts ou en voie d'extinction d'où pourrait naître une nouvelle souche de face humaine... plus propre à incarner le portrait de l'âme qui l'imprègne au plus profond. (Pierre Ouellet, op. cit,. p. 131)
Notre âme* est notre premier clone: ce souffle pur qui s'exprime sur notre masque mortuaire après que notre corps l'a tout exprimé, tout entier expiré. Le corps qui meurt donne naissance à ce souffle-là, où il se produit mais en plus vrai, en plus réel: dans l'animus ou l'anima qui lui donne vie et rien que vie, sans la masse de chair et le poids d'ossements où le vivant s'épuise, s'essouffle et finit par mourir.
L'oeuvre d'art capte ce souffle au moment précis où il quitte le corps pour vivre sa propre vie... dans une photo, une peinture, une installation, qui n'est pas le tombeau où déposer quelque dépouille, sa peau, ses os, mais le berceau vivant où l'âme s'expose dans tout son éclat, libérée de la matière, surexposée à la seule lumière sous laquelle notre être le plus secret peut se reproduire ou se cloner.
Le corps est si opaque qu'il laisse à peine transparaître les esprits animaux qui le peuplent et le hantent depuis la naissance. C'est en mourant, c'est en disparaissant qu'il les libère. Les met au jour. À la lumière. Et au grand air, où ils respirent. Inspirent, expirent à leur propre guise. Sans le support de notre chair, la charpente de nos vieux os, le suppôt de tout notre être... qui n'en soutient que l'ombre. Ou la fiction.
La mort seule du corps permet à l'âme de vivre sa vie, de vivre dehors et à l'air libre. D'exister dans sa propre réalité, hors des fictions où on l'a enfermée. Ce que l'artiste prend en photo, il le prend au corps. Qui le retient, ne veut pas le lâcher... tant qu'il vit et qu'il résiste. Ce qu'il lui prend, il lui arrache de son vivant. Tel un secret. Une deuxième peau qu'il aurait en dedans. Plus dure que la première, mais plus sensible aussi: la peau de l'esprit par laquelle l'artiste le tire de sa réalité et le dépose sur le papier. En son âme et conscience. ces formes et ces couleurs, cette pure lumière, sans la matière qui pèse dessus du poids de la chair résolument mortelle.
L'artiste enlève la mort du corps... et cela donne l'âme. Où l'être de chacun peut se reproduire sans aucune limite. Sans se soucier de sa finitude*, sans plus se méfier de sa solitude: il est avec ses milliers de reflets où la vie elle-même se réfléchit sans fin.
La libération des esprits animaux*, Voilà la cause que défend bec et ongle la biophotographie de Dalia Chauveau. Les histoires d'âmes gisent quelque part dans les dessous du visage, d'où il faut les débusquer. Comme on fait sortir le lièvre de son terrier. Comme on dératise une cave ou un grenier. Comme on accouche d'une souris dès qu'on essaie de s'exprimer, dès qu'on commence à se raconter.
Les photobiographies de l'âme humaine nous mettent sur la tête un bonnet d'âne, des cornes de bouc, des oreilles de chat. Chaque portrait qu'on tire de soi fait ressortir les petites bêtes noires que notre passé n'a pas fini d'exterminer. Le bestiaire inconnu qui en résulte s'appelle l'âme: elle nous ressemble comme deux gouttes d'eau l'une à l'autre. Deux larmes entre elles. Deux larves où notre vie s'est repliée, que l'artiste déploie devant nos yeux dans ses photos grandeur nature.
Notre visage nous apparaît, alors: un grand loup blanc sur le loup noir que nous portons à même notre peau, une face de chair sur notre masque de plâtre, une âme représentée sur notre absence d'âme... dont le manque flagrant nous saute aux yeux comme l'évidence de notre fausse humanité. De notre vraie mortalité.
[...]
Les biophotos de Dalia Chauveau sont des portraits du Fayoum mais inversés. Comme notre monde va à l'envers de l'Antiquité. Au lieu de garder la trace des disparus, elles veillent sur ce qui n'est pas encore vraiment advenu: le dépliement complet du visage de l'homme... qui porte en germes la vraie genèse de l'espèce humaine telle que l'histoire ne l'a pas connue ou reconnue, parce qu'elle porte les traits d'une autre humanité, d'une autre mortalité que celle qu'on hérite de la Haute-Égypte*.
Une natalité sans fin, une originalité de la vie elle-même à chaque moment de son déploiement: le souffle puissant du boeuf et de l'âne sur le visage naissant de l'enfant-femme, dont la peau nue est un pelage luisant de lumière chaude comme si l'âme s'y était subitement répandue.
L'art de Dalia Chauveau met en lumière cette âme fauve qui hante la face humaine pour qu'elle éclaire d'un tout autre angle sa mort et sa naissance. Sa vraie apparition, sa vaine disparition. Pour qu'on sente qu'une autre histoire imprègne notre visage... où l'on peut lire autre chose que notre triste humanité ou notre simple mortalité: une animosité de la vie elle-même, une véhémence et un élan, une énergie vitale qui est le signe d'une naissance à chaque heure du jour et de la nuit, l'emblème sauvage du pur natal, le gène de la genèse elle-même. Le cri du loup ou du hibou dans le jardin d'Éden, dont la figure humaine n'est que l'ombre portée ... portée jusqu'à nous.
[...]
Il n'y a pas que les morts qui ont besoin de commémorations: un masque ou un tombeau, une dalle, une plaque, une pure relique, un imago. Les vivants aussi, qui ont besoin qu'on leur rappelle leur vie passée, leur vie défunte, qu'une photo seule peut incarner, monument de papier où se déposent les cendres d'argent du révolu, du dépassé, poussière argentique où l'on enterre ce qui ne reviendra plus.
[...]
Tout art est métempsychose. Celui de Dalia Chauveau plus que tout autre. C'est de la vie après la vie, qui prend le relais de notre brève réalité... et la prolonge jusque dans nos rêves, même nos remords, même nos regrets, qui lui dessinent une seconde vie: un nouvel être à l'image de nos angoisses, de nos désirs, de nos bêtes noires, de nos animaux fétiches. Un être de purs fantasmes, où apparaît notre vrai visage sous forme de masques par milliers: le museau noir de nos deuils*, la gueule ouverte de nos amours, la truffe à nu de nos instincts les plus incongrus.
L'art de Dalia Chauveau nous met en contact avec tous ces êtres au-delà de notre être. Ces vies par-delà de la vie. Qui gisent sous nos visages, en gestation dans notre existence, pour éclore dans cette autre vie qui se dessine sur la dernière image que nous offrons aux autres: cadeau d'adieu* où tout notre être se donne enfin... comme s'il se donnait la mort et se donnait la vie dans le même présent.
L'oeuvre d'art capte ce souffle au moment précis où il quitte le corps pour vivre sa propre vie... dans une photo, une peinture, une installation, qui n'est pas le tombeau où déposer quelque dépouille, sa peau, ses os, mais le berceau vivant où l'âme s'expose dans tout son éclat, libérée de la matière, surexposée à la seule lumière sous laquelle notre être le plus secret peut se reproduire ou se cloner.
Le corps est si opaque qu'il laisse à peine transparaître les esprits animaux qui le peuplent et le hantent depuis la naissance. C'est en mourant, c'est en disparaissant qu'il les libère. Les met au jour. À la lumière. Et au grand air, où ils respirent. Inspirent, expirent à leur propre guise. Sans le support de notre chair, la charpente de nos vieux os, le suppôt de tout notre être... qui n'en soutient que l'ombre. Ou la fiction.
La mort seule du corps permet à l'âme de vivre sa vie, de vivre dehors et à l'air libre. D'exister dans sa propre réalité, hors des fictions où on l'a enfermée. Ce que l'artiste prend en photo, il le prend au corps. Qui le retient, ne veut pas le lâcher... tant qu'il vit et qu'il résiste. Ce qu'il lui prend, il lui arrache de son vivant. Tel un secret. Une deuxième peau qu'il aurait en dedans. Plus dure que la première, mais plus sensible aussi: la peau de l'esprit par laquelle l'artiste le tire de sa réalité et le dépose sur le papier. En son âme et conscience. ces formes et ces couleurs, cette pure lumière, sans la matière qui pèse dessus du poids de la chair résolument mortelle.
L'artiste enlève la mort du corps... et cela donne l'âme. Où l'être de chacun peut se reproduire sans aucune limite. Sans se soucier de sa finitude*, sans plus se méfier de sa solitude: il est avec ses milliers de reflets où la vie elle-même se réfléchit sans fin.
La libération des esprits animaux*, Voilà la cause que défend bec et ongle la biophotographie de Dalia Chauveau. Les histoires d'âmes gisent quelque part dans les dessous du visage, d'où il faut les débusquer. Comme on fait sortir le lièvre de son terrier. Comme on dératise une cave ou un grenier. Comme on accouche d'une souris dès qu'on essaie de s'exprimer, dès qu'on commence à se raconter.
Les photobiographies de l'âme humaine nous mettent sur la tête un bonnet d'âne, des cornes de bouc, des oreilles de chat. Chaque portrait qu'on tire de soi fait ressortir les petites bêtes noires que notre passé n'a pas fini d'exterminer. Le bestiaire inconnu qui en résulte s'appelle l'âme: elle nous ressemble comme deux gouttes d'eau l'une à l'autre. Deux larmes entre elles. Deux larves où notre vie s'est repliée, que l'artiste déploie devant nos yeux dans ses photos grandeur nature.
Notre visage nous apparaît, alors: un grand loup blanc sur le loup noir que nous portons à même notre peau, une face de chair sur notre masque de plâtre, une âme représentée sur notre absence d'âme... dont le manque flagrant nous saute aux yeux comme l'évidence de notre fausse humanité. De notre vraie mortalité.
[...]
Les biophotos de Dalia Chauveau sont des portraits du Fayoum mais inversés. Comme notre monde va à l'envers de l'Antiquité. Au lieu de garder la trace des disparus, elles veillent sur ce qui n'est pas encore vraiment advenu: le dépliement complet du visage de l'homme... qui porte en germes la vraie genèse de l'espèce humaine telle que l'histoire ne l'a pas connue ou reconnue, parce qu'elle porte les traits d'une autre humanité, d'une autre mortalité que celle qu'on hérite de la Haute-Égypte*.
Une natalité sans fin, une originalité de la vie elle-même à chaque moment de son déploiement: le souffle puissant du boeuf et de l'âne sur le visage naissant de l'enfant-femme, dont la peau nue est un pelage luisant de lumière chaude comme si l'âme s'y était subitement répandue.
L'art de Dalia Chauveau met en lumière cette âme fauve qui hante la face humaine pour qu'elle éclaire d'un tout autre angle sa mort et sa naissance. Sa vraie apparition, sa vaine disparition. Pour qu'on sente qu'une autre histoire imprègne notre visage... où l'on peut lire autre chose que notre triste humanité ou notre simple mortalité: une animosité de la vie elle-même, une véhémence et un élan, une énergie vitale qui est le signe d'une naissance à chaque heure du jour et de la nuit, l'emblème sauvage du pur natal, le gène de la genèse elle-même. Le cri du loup ou du hibou dans le jardin d'Éden, dont la figure humaine n'est que l'ombre portée ... portée jusqu'à nous.
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Il n'y a pas que les morts qui ont besoin de commémorations: un masque ou un tombeau, une dalle, une plaque, une pure relique, un imago. Les vivants aussi, qui ont besoin qu'on leur rappelle leur vie passée, leur vie défunte, qu'une photo seule peut incarner, monument de papier où se déposent les cendres d'argent du révolu, du dépassé, poussière argentique où l'on enterre ce qui ne reviendra plus.
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Tout art est métempsychose. Celui de Dalia Chauveau plus que tout autre. C'est de la vie après la vie, qui prend le relais de notre brève réalité... et la prolonge jusque dans nos rêves, même nos remords, même nos regrets, qui lui dessinent une seconde vie: un nouvel être à l'image de nos angoisses, de nos désirs, de nos bêtes noires, de nos animaux fétiches. Un être de purs fantasmes, où apparaît notre vrai visage sous forme de masques par milliers: le museau noir de nos deuils*, la gueule ouverte de nos amours, la truffe à nu de nos instincts les plus incongrus.
L'art de Dalia Chauveau nous met en contact avec tous ces êtres au-delà de notre être. Ces vies par-delà de la vie. Qui gisent sous nos visages, en gestation dans notre existence, pour éclore dans cette autre vie qui se dessine sur la dernière image que nous offrons aux autres: cadeau d'adieu* où tout notre être se donne enfin... comme s'il se donnait la mort et se donnait la vie dans le même présent.