L'Encyclopédie sur la mort


Phèdre, figure mythique

Véronique Gély

Il n'existe pas de figuration unique et stable de Phèdre dans les arts visuels: «brune ou blonde, femme mûre ou jeune femme, ses représentations sont variables, parce qu'elles déclinent les aspects spécifiques de son personnage en fonction des codes en vigueur au sein des différentes sociétés.» Elle fait figure tantôt de l'amoureuse hystérique, tantôt de la femme fatale ou encore de la marâtre amoureuse. Parfois, elle est victime de l'amour et parfois coupable d'amour, soeur envieuse ou séductrice. Personnage secondaire ou femme paradoxale: «lumineuse, mais éteinte par la douleur; elle descend du dieu Soleil mais doit se cacher et cacher son secret.»
Il est clair, en effet, que le «mythisme» de Phèdre, pour reprendre un mot utilisé par Claude Lévi-Srauss, s'est développé parallèlement à l'histoire des femmes en Occident. Il n'y a pas de hasard si de nombreuses Phèdre s'écrivent depuis la fin du XIX° siècle et pendant tout le XX° siècle, car le mythe de Phèdre pose tout simplement la question des femmes dans la cité. La Phèdre d'Euripide*, après la tirade misogyne d'Hippolyte*, gémit: Ô malheureux, misérable destin des femmes! (v. 669)

En 1981, la Phèdre du suédois Per Olov Enquist lui répond:

Écarter les jambes
Être montée être fécondée
Enfanter voir sortir cet enfant de moi
Puis m'être enlevée
il me semble souvent que je ne vis que par les autres
On m'a pris tout ce qui était Phèdre
J'étais une peau de serpent
Quelque chose de vide qu'on a laissé derrière soi
Qui n'est pas utilisable
Car je n'étais rien
Je ne vivais que par les autres.

(Pour Phèdre, traduction française par P. Bouquet deTill Fedra, Caen, Presses universitaires de Caen, 1995, p. 78)

De l'une à l'autre pièce s'est lentement déroulée l'histoire des femmes, une histoire qui ne se dissocie pas de celle de la famille, de celle du sang familial. C'est pourquoi la Phèdre de Ximena Escalante, dans un monologue qui forme à lui seul l'une des dernières scènes de sa pièce, veut s'affranchir d'un passé familial qui est aussi la longue malédiction des femmes, veut rompre avec l'hérédité et avec tous les héritages, avec le sang.

[...] Parce que le sang de la famille est l'ennemi souverain de tous. Il circule. Il passe de corps en corps. Il entraîne avec lui les habitudes, les sentiments et les erreurs. Il contamine tout. La moindre chose, le moindre secret. Ce que je donnerais pour ne pas avoir de sang, ni le mien ni celui de personne. Ne rien avoir hérité de personne.

(Phèdre et autres grecs, traduction française de Fedra y otras griegas par P. Eustachon, Paris, Montreuil, La Guillotine, 2004, p. 91)

[...]

L'évolution des sociétés occidentales durant les deux siècles écoulés a fait du scénario mis en place successivement par les tragédies d'Euripide, de Sénèque* puis de Racine*, un mythe par excellence de la condition des femmes*. La «figure de Phèdre» a alors détrôné celle d'Hippolyte, héros tragique premier. Il n'est interdit d'imaginer aujourd'hui un retour à la «figure d'Hippolyte», à la faveur de l'exploration qui s'est engagée de l'âge de l'homme et des mythes masculins. Il y a, en effet, fort à dire et à écrire sur la virginité masculine, sur la haine des femmes et sur la sauvage beauté du fils de Thésée.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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