L'Encyclopédie sur la mort


Oberammergau

Catulle Mendès

«Oberammergau est situé en Haute Bavière. Cette petite villes aux façades peintes est célèbre pour ses représentations de la Passion, données tous les dix ans, depuis une peste qui a ravagé le pays durant la guerre de Trente ans. À noter que Mendès a ici le pressentiment d'une mort tragique pour Louis II de Bavière qui ne devait se noyer dans le lac de Starnberg qu'en 1886.» (Marie-Claire Bancquart, Écrivains fin-de-siècle, Gallimard, «folio classique», 2010, p. 374, note 1 de la page 204)

Or, Le Roi Vierge de Camille Mendès, dominé par le personnage de Louis II et auquel l'extrait ci-dessous est emprunté, a été publié en 1881 du vivant de Louis II. Mendès anticipe la mystérieuse mort sacrificielle de Louis II, martyr*. Dans le livre, Louis II prend la figure de «Frederik II, roi de Thuringe». Gloriane Goriani est le nom donné au personnage d'une courtisane de Pampelune, transformée en cantatrice internationale qui tomba en vain amoureuse folle de Fréderik-Louis II, le «Roi vierge.»

Le lendemain, un peu avant le coucher du soleil, des paysans et des pâtres étaient réunis en foule dans la vallée d'Oberammergau; assis sur des bancs de bois, agenouillés dans l'herbe, ils considéraient un vaste théâtre où revivait la Jérusalem antique; et, au-delà, se dressait sous le ciel la colline du Golgotha.

Le spectacle n'avait pas encore commencé; l'assemblée chuchotait dans des remuements confus. Beaucoup de gens ne comprenaient pas pourquoi le Mystère de la Passion était célébré plusieurs années avant l'époque ordinaire, ni pourquoi, des quatre parties qui composent le drame sacré, une seule, la dernière, serait représentée aujourd'hui. Mais d'autres personnes expliquaient à voix basse que ce renversement des coutumes résultait d'une volonté toute-puissante, d'un caprice royal; que des émissaires étaient venus récemment de Nonnenbourg pour s'entendre avec les organisateurs habituels de la fête religieuse, et que ceux-ci avaient dû se conformer aux instructions reçues; les mêmes personnes ajoutaient que, ce jour-là, le personnage du Christ et celui du soldat romain qui perce d'une lance le flanc du Crucifié, seraient remplis par deux acteurs nouveaux, inconnus: ces paroles répandaient parmi la foule un étonnement mêlé d'impatience, qui ressemblait à de l'anxiété.

Cependant, sur la place publique de Sion, des juifs, des soldats romains, levant l'Aigle, et des femmes, et des docteurs de la loi reconnaissables à leur bonnet carré, se ruèrent en tumulte, poussant un pâle jeune homme tout vêtu de lin blanc; le spectacle commençait; et voici ce que les spectateurs virent et entendirent:

Les soldats du gouverneur emmenaient Jésus, et toute la cohorte s'assembla autour de lui.

Et, l'ayant dépouillé, ils le couvrirent d'un manteau d'écarlate.

Mais, ayant tressé une couronne d'épines, ils la lui mirent sur la tête, avec un roseau dans la main droite; et, fléchissant le genou devant lui, ils le raillaient, disant: «Salut, roi des Juifs.»

Et, crachant sur lui, ils prenaient le roseau et lui en frappaient la tête.

Après s'être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements et l'emmenèrent pour le crucifier.

Or, il était suivi par une grande foule de peuples et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient.

Mais Jésus, se retournant vers elles, leur dit:

«Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants.»

«Car il viendra des jours où il sera dit: Heureuses les stériles, et les entrailles qui n'ont point enfanté, et les mamelles qui n'ont point allaité.»

On conduisait avec lui deux malfaiteurs pour les faire mourir.

Et quand ils furent arrivés au lieu appelé Calvaire, ils le crucifièrent, et les malfaiteurs aussi, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche.

Et il y avait au-dessus de sa tête, en grec, en latin et en hébreu, cette inscription: «Celui-ci est le roi des Juifs.»

Les pâtres et les paysans de la haute Thuringe, palpitants, éperdus, dévoraient du regard le théâtre, la colline et le pâle supplicié! Plus d'un se tourna vers son voisin, en disant: «Oh! quel est donc ce jeune homme qui représente le roi Jésus?» Mais la légende continuait de dérouler ses religieux mystères, et voici ce qu'ils virent et entendirent encore:

Sachant que tout était accompli, Jésus dit: «J'ai soif! »

Et il y avait là un vase plein de vinaigre. Ils emplirent de vinaigre une éponge, et, l'entourant d'hysope, ils la présentèrent à sa bouche.

Et Jésus, ayant pris le vinaigre, dit: «Tout est accompli.» Et baissant la tête, il rendit l'esprit.

Or, de peur que les corps ne demeurassent en croix durant le Sabbat, car on était au jour de la Préparation, et ce jour de Sabbat était grand, les Juifs prièrent Pilate qu'on leur rompît les jambes et qu'on les enlevât de là.

Les soldats vinrent donc et rompirent les jambes au premier et à l'autre qui avait été crucifié avec lui.

Puis, étant venus à Jésus, et voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes.

Mais un des soldats lui perça le côté avec une lance et aussitôt il en coula du sang ...

Alors, tous les spectateurs du drame auguste se dressèrent dans l'épouvante! car, de la bouche du martyr, il était sorti un râle déchirant, un effroyable cri d'agonie! et, en même temps, la tête de Jésus, un instant redressée, retomba lourdement. Oh! cette clameur et ce geste étaient tels que l'art d'aucun acteur n'aurait pu les imiter! Quoi! tout ceci n'était donc pas un jeu? Le soldat romain avait vraiment enfoncé la lance dans le flanc du crucifié! Un homme venait de mourir véritablement? De tous côtés, sur le théâtre, sur la colline et dans la plaine, s'était fait un sinistre silence, et tous les yeux agrandis par l'effroi considéraient le jeune homme expiré qui se détachait si pâle sur la gloire flamboyante du couchant ... quand une femme qui venait du village, traversa, échevelée, la foule, escalada la scène, grimpa la colline! Et on l'entendit crier: « Frédérick!» et encore: «Ah! il est mort!» Et elle tomba à genoux, et toute pantelante, elle embrassait le gibet sous ses énormes cheveux roux où s'égouttait le sang du cadavre.

C'est ainsi que mourut sur la croix, ayant Gloriane Gloriani pour Marie-Magdeleine, Frédérick II, roi de Thuringe, qu'on nomme aussi le Roi Vierge.

Source: Camulle Mendès, Le Roi Vierge (1881), Marie-Claire Bancquart, op. cit., p. 204-207.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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