Extraits de quelques textes de Stig Dagerman
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n'ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d'où je puisse attirer l'attention d'un dieu : on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l'athée. Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui- ci n'était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible à rassasier.
Texte intégral:
http://chabrieres.pagesperso-orange.fr/texts/consolation.html
L'enfant brûlé
« On enterre une femme à deux heures, et à onze heures et demie le mari est dans la cuisine, devant le miroir fendu, accroché au-dessus de l'évier. Il n'a pas beaucoup pleuré. S'il a les yeux rouges, c'est parce qu'il n'a presque pas dormi. Sa chemise blanche est glacée et une légère vapeur se dégage encore de son pantalon fraîchement repassé. Pendant que sa plus jeune soeur lui accroche son faux col par derrière et lui ramène son noeud papillon blanc sous le menton, d'un geste si tendre que c'en est presque une caresse, le veuf se penche au-dessus de l'évier et scrute ardemment ses yeux dans le miroir; puis, il se passe la main sur les paupières, comme pour essuyer une larme; mais le revers de sa main reste sec. »
Incipit du roman L'enfant brûlé, 1948
Adaptation: un film fut réalisé en 1967 par Han Abramson.
Attention au chien!
« Il est tout de même lamentable que des gens qui perçoivent l'aide sociale aient un chien », vient de déclarer un conseiller municipal du Värmland le 5 novembre 1954
La loi est certes bien imparfaite :
les pauvres ont le droit d'avoir un chien.
Pourquoi ne se procurent-ils pas un rat ?
C'est gentil et ça ne coûte presque rien.
Voilà des gens qui, dans leur maison,
entretiennent des chiens toute la vie.
Ils pourraient bien jouer avec des mouches
qui sont aussi d'excellente compagnie.
C'est la commune qui paie, bien sûr.
Mais il faut cesser cette aubaine.
Sinon, vous verrez que très bientôt
ils vont s'offrir une baleine.
En fait de mesure, je n'en vois qu'une :
abattre tous ces chiens. Ou bien alors,
pour sauver les deniers de la commune,
c'est les pauvres qu'il faudra mettre à mort.
Billets quotidiens
Traduit du suédois par Philippe Bouquet
Atheles, 2002.