Mort de quelqu'un (1911) est inspiré par la vision cosmique et romantique de l'unanimisme que Jules Romains avait déjà élaborée dans La vie unanime (1908) et qui aboutit à son roman en 27 volumes Les hommes de bonne volonté (1932-1944). «Jules Romains a spirituellement noté dans Mort de quelqu'un qu'un individu pouvait ne commencer à vivre qu'après sa mort... L'histoire est pleine de ces morts, de ces renaissances, de ces transfigurations. La cause profonde en est que tout se passe dans l'esprit. Les événements n'existent que dans la mesure où ils sont sentis et représentés par le groupe social, la façon dont ils se sont réellement passés étant secondaire et presque indifférente.» (H. Lévy-Bruhl, «Histoire et Chronologie», Revue de Synthèse, 1934). À la vue d'un cortège funèbre, un jeune homme se souvient de funérailles auxquelles lui-même avait participé en compagnie de son père. Le défunt était décédé comme il avait vécu: seul! Un retraité des Chemins de fer, compagnon de travail de son père, un veuf sans enfants, ni amis. Il n'avait pour l'aimer que ses vieux parents qui demeuraient toujours dans son village natal au Velay. Mais à sa mort, la solitude s'est rompue et la convivialité a pris le dessus. Un groupe unanime s'est composé tout spontanément des colocataires de son modeste immeuble, des anciens compagnons de travail des Chemins de fer, des membres de l'association des amis du Velay, de quelques anonymes, de quelques parents y compris son vieux père, sa mère étant trop affectée et trop faible pour faire le voyage. Important aussi de se rendre compte comment le jeune homme est devenu sensible de sa propre mortalité et de son immortalité. «Quelqu'un de mort» ne désigne pas la chute dans le néant, mais un développement, La personne morte est un être en devenir une âme en passage vers une fusion avec le cosmos, la «grande âme» universelle.
Un souvenir traversa son esprit, très vite, puis disparut. [...] Le jeune homme comprit qu'il s'agissait d'un cortège, mais d'un cortège, où il avait participé, où il avait mis son coeur. Il finit par se dire: «C'est un enterrement de l'année dernière».
«Cet homme-là est mort l'an dernier. J'en suis sûr. J'étais à l'enterrement . Nous l'avons conduit à l'église et nous l'avons mis dans la terre. Je n'ai pas été triste. Personne n'a pleuré. Si, peut-être un vieux.. et encore! Il faisait soleil. La saison était plus avancée que maintenant. Comme je me souviens des moindres choses! Je revois la figure du prêtre qui était à l'autel. Et j'ai dans tout le corps l'émotion que j'avais à cause du cadavre.»
[...]
«Voilà quelqu'un qui est mort.»
Il prenait possession de cette pensée. Il s'aperçut qu'elle lui emplissait le coeur. [...] «C'est la première fois que je pense à la mort. Il m'est arrivé d'en prononcer le mot, d'en parler avec des gens, d'y rêver, l'âme distraite.» J'ai répété: «Il faudra partir un jour.» J'ai bien compris que ma vie aurait une fin.
«Dans les heures de joie, je sentais que cette vie qui se trémoussait n'était pas immortelle. Mais je n'ai jamais pensé à la mort.» Les mots de "vie future", d' "au-delà", de "paradis", de "néant", papillotèrent devant ses yeux.»
[...]
Alors il songea: «Quelqu'un est mort l'an dernier. Oui, depuis un an, cet homme-là est mort. Un mort! Il fit une vingtaine de pas, dans une sorte de d'étonnement. Puis, il reprit: «Bien sûr, il n'est pas le seul à être mort! Mais les autres, les milliers d'autres, aujourd'hui, ça m'est égal. C'est lui qui m'occupe, rien que lui. Il me semble que j'exécute sa dernière volonté.»
[...]
«Je suis sur ce talus; je marche sur l'herbe, je la sens sous mon pied; je sens que je pense tout cela dans ma tête. Eh bien! si quelqu'un me disait qu'en ce moment mon âme est là-bas, dans ce creux que fait le boulevard, entre la chaussée et les murs des maisons, je trouverais ça ni fou, ni même surprenant.»
[...]
«Pourtant, si je mourais tout de suite, je suis sûr que je ne disparaîtrais pas. J'entrerais de plein pied dans un grande âme qui ne peut pas mourir. Et je ne serais pas forcé de rien quitter en passant le seuil. Mes pensées de ce soir, elle les continuerait sans effort, et non pas l'une après l'autre, mais toutes en même temps. [...] Le plus humble geste deviendrait une phase. Ma mort ne serait que le courage de me dilater jusqu'à la limite. Ma mort serait mon développement.»
[...]
«Je vais continuer à vivre, à mon rythme et à ma place, une mesure avant les uns, une mesure après les autres, en même temps que personne. Et par un soir futur, moi aussi, je serai quelqu'un de mort.»
«Cet homme-là est mort l'an dernier. J'en suis sûr. J'étais à l'enterrement . Nous l'avons conduit à l'église et nous l'avons mis dans la terre. Je n'ai pas été triste. Personne n'a pleuré. Si, peut-être un vieux.. et encore! Il faisait soleil. La saison était plus avancée que maintenant. Comme je me souviens des moindres choses! Je revois la figure du prêtre qui était à l'autel. Et j'ai dans tout le corps l'émotion que j'avais à cause du cadavre.»
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«Voilà quelqu'un qui est mort.»
Il prenait possession de cette pensée. Il s'aperçut qu'elle lui emplissait le coeur. [...] «C'est la première fois que je pense à la mort. Il m'est arrivé d'en prononcer le mot, d'en parler avec des gens, d'y rêver, l'âme distraite.» J'ai répété: «Il faudra partir un jour.» J'ai bien compris que ma vie aurait une fin.
«Dans les heures de joie, je sentais que cette vie qui se trémoussait n'était pas immortelle. Mais je n'ai jamais pensé à la mort.» Les mots de "vie future", d' "au-delà", de "paradis", de "néant", papillotèrent devant ses yeux.»
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Alors il songea: «Quelqu'un est mort l'an dernier. Oui, depuis un an, cet homme-là est mort. Un mort! Il fit une vingtaine de pas, dans une sorte de d'étonnement. Puis, il reprit: «Bien sûr, il n'est pas le seul à être mort! Mais les autres, les milliers d'autres, aujourd'hui, ça m'est égal. C'est lui qui m'occupe, rien que lui. Il me semble que j'exécute sa dernière volonté.»
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«Je suis sur ce talus; je marche sur l'herbe, je la sens sous mon pied; je sens que je pense tout cela dans ma tête. Eh bien! si quelqu'un me disait qu'en ce moment mon âme est là-bas, dans ce creux que fait le boulevard, entre la chaussée et les murs des maisons, je trouverais ça ni fou, ni même surprenant.»
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«Pourtant, si je mourais tout de suite, je suis sûr que je ne disparaîtrais pas. J'entrerais de plein pied dans un grande âme qui ne peut pas mourir. Et je ne serais pas forcé de rien quitter en passant le seuil. Mes pensées de ce soir, elle les continuerait sans effort, et non pas l'une après l'autre, mais toutes en même temps. [...] Le plus humble geste deviendrait une phase. Ma mort ne serait que le courage de me dilater jusqu'à la limite. Ma mort serait mon développement.»
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«Je vais continuer à vivre, à mon rythme et à ma place, une mesure avant les uns, une mesure après les autres, en même temps que personne. Et par un soir futur, moi aussi, je serai quelqu'un de mort.»