L'Encyclopédie sur la mort


Méditation en temps de crise

John Donne

Tombé gravement malade en 1623, Donne écrit des méditations sur la condition humaine. Parmi ces méditations, il y en a trois qui se réfèrent au son des cloches d'une église voisine et qui portent sur le mourir, la mort, les funérailles et l'immortalité. La dix-huitième méditation a pour exergue : « La cloche retentit et me dit que je suis mort». Cette cloche semble lui dire que son âme s'en est allée. Mais où? Et qu'advient-il au corps ? Poussière emportée au loin avec tous les vents. Avant tout, ces pages sont une réflexion sur l'immortalité de l'âme.
Dix-huitième méditation

La cloche retentit; elle a changé de rythme: elle sonnait à un rythme faible et intermittent, maintenant à un rythme plus fort, témoignant de plus de vie et d'une vie meilleure. Son âme s'en est allée; et comme un homme qui a acquis un bail de mille ans après l'expiration d'un bail de courte durée, ou un héritage après la vie d'un homme tuberculeux, il est maintenant entré en possession de sa meilleure fortune. Son âme s'en est allée, mais où?

[...]

Saint Augustin* a étudié la nature de l'âme en ayant seulement en vue le salut de l'âme; il a envoyé exprès à saint Jérôme pour le consulter sur certaines choses concernant l'âme, mais il s'est satisfait de ceci: «Que le départ de mon âme vers le salut soit évident pour ma foi, et je me soucierai moins de ce qu'a d'obscur l'entrée de mon âme dans mon corps pour ma raison.» C'est la sortie plutôt que l'entrée qui nous concerne. Cette âme, cette cloche me dit qu'elle s'en est allée; mais où? Qui me dira cela? Je ne sais pas qui c'est, encore moins ce qu'il étalt: la condition de l'homme et le cours de sa vie, qui devraient me dire où il s'en est allé, je ne les connais pas. Je n'étais pas là pendant sa maladie, ni à sa mort; je n'ai ·vu ni son chemin ni sa fin, et ne puis interroger ceux qui l'ont vu, afin d'en conclure ou de discuter où il s'en est allé. Mais j'ai quelque chose qui est plus proche de moi que tous ceux -là: ma propre charité; je l'interroge, et elle me dit: « Il est allé vers le repos, vers la joie et vers la gloire éternelle.» Je lui dois une opinion favorable: ce n'est que charité reconnaissante en moi, car j'ai reçu bienfait et instruction de sa part quand sa cloche a parlé, et étant d'autant mieux préparé à prier par cette disposition occasionnée par son intermédiaire, j'ai prié pour lui; et je ne prie pas sans foi, donc je crois charitablement, donc je crois sincèrement, que son âme est allée vers le repos, vers la joie et vers la gloire éternelle. Mais quant au corps, quelle malheureuse chose est-ce! Nous ne pouvons l'exprimer aussi vite qu'il va de mal en pis. Ce corps qu'il n'y a pas trois minutes était une telle demeure que cette âme, qui n'a fait qu'un pas de là au Paradis, n'était pas pleinement satisfait de quitter cela pour le Paradis, ce corps a perdu le nom de demeure habitable, puisque personne n'y habite, et se hâte de perdre le nom de corps et de se dissoudre jusqu'à la putréfaction. Qui ne serait affecté de voir une rivière douce et claire le matin devenir un cloaque d'eau boueuse à midi et être condamnée au sel de mer la nuit? Mais quelle image insuffisante, quelle représentation faible est-ce là de la précipitation du corps de l'homme vers la dissolution! Tantôt toutes ses parties construites et unies par l'amour d'une âme, tantôt rien qu'une statue d'argile, tantôt ces membres fondus, comme si cette argile n'était rien que neige, et tantôt la demeure n'est rien qu'une poignée de sable, un peu de poussière, et qu'un bout de décombres, quelques os. Si celui qui, comme cette cloche me le dit, maintenant s'en est allé était un excellent artisan, qui viendra à lui maintenant pour un manteau ou un vêtement? Ou pour un conseil s'il était avocat? Ou pour la justice s'il était magistrat? L'homme, avant d'avoir une âme immortelle, a une âme sensitive et, avant celle-ci, une âme végétative. Cette âme immortelle n'a pas empêché les autres âmes d'être en nous auparavant, mais quand cette âme s'en va, elle emporte tout avec elle: plus de végétation, plus de sensation, tant la terre est comme une marâtre par rapport à notre mère naturelle; en son sein nous avons grandi, et quand elle a accouché de nous, nous fûmes implantés à une certaine place, à une certaine vocation dans le monde; dans le sein de la terre, nous décroissons, et quand elle accouche de nous, notre tombe ouvere pour un autre, nous ne sommes pas transplantés mais transportés, et notre poussière importée au loin avec la poussière profane et avec tous les vents.


Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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