Dans sa nouvelle «L'Ami dévoué», Oscar Wilde (1854-1900), de manière ironique et subtile, pousse jusqu'à son paroxysme la morale des bien-pensants qui se gargarisent de la parole et de la théorie éthiques du bien ou du juste à faire de la soi-disant élite de la société, mais qui en laissent la pratique concrète aux humbles et aux simples. À cet effet, comparons l'image de l'apparente générosité du riche et rusé Meunier avec l'honnêteté besogneuse et non gratifiante du jeune Hans. L'injustice du monde: le bénéfice financier voire même moral est du côté des «grands» qui gardent et développent non seulement leurs biens matériels, mais aussi leur réputation et leur pouvoir, le contrôle plein et entier sur les «petites gens» et tiennent dans leurs mains la destinée de toute la société, imposant les valeurs collectives de la nation et les vertus à pratiquer, décident de ce qui est bon et mauvais, alors que, en tant que classe dominante, ils se mettent au-dessus de ces mêmes impératifs. Version littéraire qui correspond à toute version contemporaine de la relation maître-esclave. Le Meunier est remplacé par «tous ceux qui font tourner la roue de l'économie et mènent toute eau - physique et morale- à leur moulin. Tout aussi méchants que les Meuniers ou les «bénis de Dieu» d'autrefois, ceux d'aujourd'hui sont peu nombreux, - le pouvoir financier et moral étant concentré dans quelques mains - tandis que les petits Hans forment la masse des dominés, tant «aimés » par les grands à cause de leurs dispositions à la soumission. (ÉV)
Consulter le dossier «Oscar Wilde» dans l'Encyclopédie de l'Agora:
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Oscar_Wilde
Consulter le dossier «Oscar Wilde» dans l'Encyclopédie de l'Agora:
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Oscar_Wilde
Le Meunier explique à sa femme l'importance de la théorie par rapport à la pratique, du discours par rapport à l'action, du système éthique par rapport à la bonté du coeur:
«Jamais je ne permettrai que le bon caractère de Hans soit gâté. Je suis son meilleur ami et je veillerai toujours à ce qu'il ne soit pas induit en tentation. D'ailleurs, si Hans venait ici, il pourrait me demander de lui donner de la farine à crédit, ce que je ne saurais faire. La farine est une chose, l'amitié une autre, qu'on ne saurait confondre. Quoi, ce sont mots différents qui veulent dire des choses bien différentes! Tout le monde peut le constater.
- Comme tu parles bien! dit la femme du Meunier en se versant un grand verre de bière chaude, je me sens tout assoupie. On se croirait à l'église.
- De belles actions, beaucoup de gens en font, répondit le Meunier, mais ils sont bien peu à connaître le beau langage, ce qui montre que la parole est plus difficile que l'action, et combien plus belle! Là-dessus, il regarda sévèrement son petit garçon, de l'autre côté de la table, qui se sentit si honteux qu'il baissa la tête, devint tout rouge et se mit à pleurer dans sa tasse de thé. Mais il était si jeune qu'on peut lui pardonner.»
Le petit Hans finit par se noyer en exécutant un ordre du Meunier. Sa mort d est une grande perte pour le Meunier et les autres riches exploiteurs, si pourtant il y a des milliers d'êtres comme lui qui attendent leur tour pour être exploités. Ultime perversion de la conscience: le Meunier, après avoir demandé au petit Hans un dernier service qui le mène à la mort, conduira le deuil :
- Cher petit Hans, s'écria le Meunier, j'ai bien de souci. Mon petit garçon est tombé d'une échelle et s'est blessé. Je vais quérir le Médecin. Mais il habite si loin, et la nuit est si mauvaise qu'il m'est tout juste venu l'idée que tu devrais y aller à ma place. Je vais te donner ma brouette, tu le sais, et il n'est que trop juste que tu fasses à ton tour quelque chose pour moi.
[...]
Tout le monde se rendit aux funérailles du petit Hans, tant il était aimé, et le Meunier menait le deuil.
«C'était mon meilleur ami, avait dit le Meunier, il n'est que trop juste de me donner la meilleure place; et, drapé dans un long manteau noir, il avait gagné la tête de la procession. De temps à autre il s'essuyait les yeux à l'aide d'un grand mouchoir de poche.
C'est une grande perte pour tout le monde que la mort du petit Hans, dit le Forgeron lorsque, la cérémonie terminée, tout le monde se fut confortablement installé à l'auberge pour boire du vin épicé et manger des gâteaux sucrés.
Une grande perte pour moi, en tout cas, répondit le Meunier. Eh quoi, je lui avais pratiquement donné ma brouette et je ne sais vraiment plus qu'en faire. Elle ne fait que m'encombrer à la maison, et elle est en si mauvais état que je n'en tirerais pas un liard. Dorénavant je me garderai bien de rien donner. On souffre toujours de sa générosité.
«Jamais je ne permettrai que le bon caractère de Hans soit gâté. Je suis son meilleur ami et je veillerai toujours à ce qu'il ne soit pas induit en tentation. D'ailleurs, si Hans venait ici, il pourrait me demander de lui donner de la farine à crédit, ce que je ne saurais faire. La farine est une chose, l'amitié une autre, qu'on ne saurait confondre. Quoi, ce sont mots différents qui veulent dire des choses bien différentes! Tout le monde peut le constater.
- Comme tu parles bien! dit la femme du Meunier en se versant un grand verre de bière chaude, je me sens tout assoupie. On se croirait à l'église.
- De belles actions, beaucoup de gens en font, répondit le Meunier, mais ils sont bien peu à connaître le beau langage, ce qui montre que la parole est plus difficile que l'action, et combien plus belle! Là-dessus, il regarda sévèrement son petit garçon, de l'autre côté de la table, qui se sentit si honteux qu'il baissa la tête, devint tout rouge et se mit à pleurer dans sa tasse de thé. Mais il était si jeune qu'on peut lui pardonner.»
Le petit Hans finit par se noyer en exécutant un ordre du Meunier. Sa mort d est une grande perte pour le Meunier et les autres riches exploiteurs, si pourtant il y a des milliers d'êtres comme lui qui attendent leur tour pour être exploités. Ultime perversion de la conscience: le Meunier, après avoir demandé au petit Hans un dernier service qui le mène à la mort, conduira le deuil :
- Cher petit Hans, s'écria le Meunier, j'ai bien de souci. Mon petit garçon est tombé d'une échelle et s'est blessé. Je vais quérir le Médecin. Mais il habite si loin, et la nuit est si mauvaise qu'il m'est tout juste venu l'idée que tu devrais y aller à ma place. Je vais te donner ma brouette, tu le sais, et il n'est que trop juste que tu fasses à ton tour quelque chose pour moi.
[...]
Tout le monde se rendit aux funérailles du petit Hans, tant il était aimé, et le Meunier menait le deuil.
«C'était mon meilleur ami, avait dit le Meunier, il n'est que trop juste de me donner la meilleure place; et, drapé dans un long manteau noir, il avait gagné la tête de la procession. De temps à autre il s'essuyait les yeux à l'aide d'un grand mouchoir de poche.
C'est une grande perte pour tout le monde que la mort du petit Hans, dit le Forgeron lorsque, la cérémonie terminée, tout le monde se fut confortablement installé à l'auberge pour boire du vin épicé et manger des gâteaux sucrés.
Une grande perte pour moi, en tout cas, répondit le Meunier. Eh quoi, je lui avais pratiquement donné ma brouette et je ne sais vraiment plus qu'en faire. Elle ne fait que m'encombrer à la maison, et elle est en si mauvais état que je n'en tirerais pas un liard. Dorénavant je me garderai bien de rien donner. On souffre toujours de sa générosité.