L'Encyclopédie sur la mort


L'Acacia

Claude Simon

Deux nuits et un jour durant, un train roule à travers la France; à son bord, un régiment d'infanterie de marine se dirige vers le front. Le narrateur s'arrête sur le wagon des officiers : la guerre, ils savent depuis longtemps ce que c'est. Ils éprouvent un vague mépris pour leurs condisciples restés en métropole quand eux se battaient, debout devant l'ennemi, sur tous les territoires de l'empire français. Nous sommes en août 1914. Le 27, les pertes du régiment s'élèvent à neuf officiers et 552 hommes ; quatre semaines plus tard, il ne reste presque plus un seul homme de ceux qui ont fait le voyage en train. Parmi les morts du 27 août, se trouvait un capitaine de quarante ans, le père de Claude Simon.
Pierre de Montalembert, «Les guerres et l'acacia»
http://www.luxiotte.net/liseurs/livres2006b/simon03.htm
Le front peut être considéré comme un espace frontalier qui sépare la vie de la mort. Le train est le symbole du passage de la frontière. Claude Simon rend bien la symbolique mortifère du train, passage de la vie à la mort.
Consulter à ce sujet: S. Bikialo, «De la frontière à la marge» dans Écrire la frontière, sous la direction de Nathalie Martinière et Sophie Le Ménahèze, Presses Universitaires de Limoges et du Limousin, «Espaces humains», 2003)
Il pleuvait sur le paysage grisâtre, le cercle des collines sous lesquelles achevaient de pourrir les corps déchiquetés de trois cent mille soldats, sur les champs grisâtres, les maisons grisâtres - ou plutôt ce qu'il en restait, c'est-à-dire comme si tout, collines, champs, bois, villages, avait été défoncé ou plutôt écorché par quelque herse gigantesque et cahotante.
(Claude Simon, l'Acacia, Paris, éditions de Minuit, 2004, p. 11)

... la locomotive pénétra avec un sourd fracas sous la verrière de la gare où, sur le quai, se pressait une foule compacte dont le premier rang recula d'un pas à son approche [...] par une sorte d'instinctive horreur, d'intuitif instinct de répulsion qui lui commandait de conserver le plus longtemps possible entre elle et le paroi verticale des wagons en train de défiler de plus en plus lentement un illusoire et ultime intervalle de vide, comme un fossé, un étroit canyon ou plutôt une invisible muraille, un invisible rempart au-delà duquel, une fois franchi, serait scellé quelque chose d'irrémédiable, définitif et terrible.
(op. cit., p. 153-154)

Il [le réserviste] pouvait contempler dans une perspective téléscopique [...] les vingt-six années qui maintenant allaient selon toute probabilité trouver une fin.
(op. cit., p. 165)

... pensant, alongé dans ce wagon aux senteurs âcres de suie refroidie qui roulait dans la nuit - la nuit où roulait au même moment dans un menaçant et inaudible grondement tous les trains de la vieille Europe emplis de chairs juvéniles.
(op. cit., p. 177)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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