«La mort n'est-elle pas la muse inaltérable des poètes en ce sens où elle leur inspire les seules questions qui vaillent pour que les êtres humains puissent s'entendre, s'éprouver, se reconnaître fraternellement, s'aimer et se solidariser. J'aime l'idée du grand saut, celui de l'ange qui nous tient debout avec ses ailes de feu déployées entre les pôles de la vie et de la mort. Finalement, je me dis que la mort n'est triste que pour ceux qui la refoulent et la bafouent :les proches qui nous ont quitté continuent à leur manière leur cheminement parmi les vivants. Pour ma part, je continue de dialoguer avec mes morts et mes grands ancêtres » (André Chenet).
LA VIERGE NOIRE
ou La Comédie de la Mort
I
la mort se couche sur mon poème
troublé je m’aventure dans son souffle
elle m’attire entre les arcs de ses sourcils
dans le vide sans fond de ses orbites
cependant je n’ai point peur
ses dents dévorantes
sont les étoiles des nuits d’été
que les amants contemplent
serrés l’un contre l’autre
sur les sables du rivage
II
la mort me laisse un court répit
ma naissance – braise sous chacun de mes pas –
me reconstitue trait après trait
avec le ciseau coupant de la matrice
la mort sourit
et siffle comme une hyène
la mort est une lune captive des miroirs
III
elle m’aime dit-elle
la mort aux doigts minéraux
sa froidure est brûlure profonde
dans les corps qu’elle enlace
sa voix provient des entrailles caverneuses
où le temps s’est cristallisé
que les eaux fossilisées éclairent
elle m’aime dit-elle
cette folle flamme creuse
IV
une rose d’acajou
une rose de charbon
je la vois captieuse
étendre ses ombres sortilèges
elle fait miroiter un avenir
dans le râle des mourants
je la vois vénéneuse
elle nous charme comme une enfant
qui nous tire une langue de vipère
et nous aveugle avec ses cendres
je la vois la voluptueuse
grosse de l’infinité du cosmos
n’en perdant pas une miette
elle ressuscite tout ce qu’elle mange
un diamant sur son front
une larme de silice sur sa joue
V
d’un coup d’aile noire
elle nous blesse jusqu’à l’agonie
en aspirant notre ultime souffle
Mère accomplie
elle nous lave jusqu’aux os
nous berce dans son néant
son sein est la rose pourpre
gorgée de sang et de semences
nous sommes le chant des blés
qui jaillira dans sa lumière
In Sur les lieux du Chant
Ed. du Trèfle bleu_2000
© André Chenet
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