Il devient évident que le narcissisme de mort sous-tend le paradoxe et nous suivons Michèle Monjauze dans son hypothèse que si l'alcoolisme est une pathologie du narcissisme, c'est celle du narcissisme primitif, le narcissisme secondaire souffrant d'un «non lieu» chez l'alcoolique. C'est dans la ligne de partage des eaux troubles que nous trouvons le pivot de la thèse de Michèle Monjauze: quel est l'élément spécifique qui empêchera ce bébé, malmené par la vie, de trouver une solution psychotique à sa douleur de vivre pour choisir celle d'un futur alcoolique? [...] Michèle Monjauze met alors en évidence le personnage en faux-self de l'alcoolique et soutient l'hypothèse d'une psychose aménagée et d'une «décomposition à la fois entretenue et canalisée par l'alcool». Elle démontre que l'alcoolique,soutenu par le pseudo-organisateur-alcool, a l'art de se couler par imitation dans le jeu social, de s'habiller d'une sorte de seconde peau gestuelle dont l'armature est le geste répétitif, le mouvement créant une sorte de «machine à tenir». Dans le théâtre-cirque dont la mort est l'enjeu, la survie de l'alcoolique réside dans une pseudo-adaptation au social; il tient et est tenu par l'objet-verre et le geste ritualisé de boire. (Joyce McDougall, «Préface à la nouvelle édition» de La problématique alcoolique, Éditions In Press, 2008, p. 9)
En dehors de la mention de parties corporelles qui, désignées médicalement, font office de tout, les alcooliques, en racontant leur histoire personnelle, parlent de leur corps d'une façon très particulière. Le ressenti ne tient pas une grande place. S'il s'exprime, c'est dans la locution «mal dans ma peau», dont il est difficile de faire la part de l'emprunt au lieu commun et du ressenti authentique. À qui est la peau, à l'alcoolique ou à ses voisins? Le corps de l'alcoolique semble n'avoir à lui ni peau ni organe. Par contre, le corps prend dans leurs discours une existence par les déplacements qu'il subit, l'objet qui le contient, le contact à une surface portante.
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L'objet-support semble permettre la réalisation de l'injonction maternelle si fréquemment rapportée par les alcooliques: «Tiens-toi!». Mais se tenir, pour l'alcoolique, c'est se tenir à quelque chose de paradoxal: ce qui soutient, c'est aussi ce qui cloue, d'où la fréquence de l'intérêt des alcooliques pour la croix. D'où l'importance de «se tenir à la bouteille», mais «tenir l'alcool», c'est s'enfoncer sans pouvoir lâcher. Le corps dans l'alcool est à nouveau bousculé, passé de main en main, transporté, laissé tomber, collé. L'alcoolique, par les thèmes du «corps accroché» d'une part et les effets de l'alcool d'autre part, présente deux temps de l'origine de ses troubles: la tentative peut-être défensive de récupération de la situation dans la pseudo-tenue «-auto-» et le danger originaire qui a barré l'individuation, à savoir la terreur apportée par le support maternel instable. (op. cit., p. 197-198)
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L'objet-support semble permettre la réalisation de l'injonction maternelle si fréquemment rapportée par les alcooliques: «Tiens-toi!». Mais se tenir, pour l'alcoolique, c'est se tenir à quelque chose de paradoxal: ce qui soutient, c'est aussi ce qui cloue, d'où la fréquence de l'intérêt des alcooliques pour la croix. D'où l'importance de «se tenir à la bouteille», mais «tenir l'alcool», c'est s'enfoncer sans pouvoir lâcher. Le corps dans l'alcool est à nouveau bousculé, passé de main en main, transporté, laissé tomber, collé. L'alcoolique, par les thèmes du «corps accroché» d'une part et les effets de l'alcool d'autre part, présente deux temps de l'origine de ses troubles: la tentative peut-être défensive de récupération de la situation dans la pseudo-tenue «-auto-» et le danger originaire qui a barré l'individuation, à savoir la terreur apportée par le support maternel instable. (op. cit., p. 197-198)