Les récits recueillis auprès des Pvvih témoignent d’une crainte très importante de détérioration des liens sociaux. Elle repose sur une représentation du sida* qui produit une image des Personnes Victimes du vih (Pvvih) en Afrique nécessairement rejetées et exclues par l’entourage. Cette peur d’une mort sociale* annoncée est même, pour certains, bien supérieure aux angoisses engendrées par la maladie elle-même.
Certains messages de prévention* ou d’information, mais aussi quelques programmes de recherche en sciences sociales sur le sida, en se focalisant uniquement sur la détérioration des liens sociaux pour les personnes séropositives, ont directement participé à la construction de cette image de Pvvih en Afrique, nécessairement victimes* de stigmatisation, de
discrimination et d’exclusion*.
Il ne s’agit certes pas de remettre en cause la nécessité de ces initiatives de santé publique ou de recherche, du fait de la gravité de certaines pratiques sociales qui nécessitent d’en comprendre les mécanismes et de communiquer sur cette question. Il ne faudrait pas non plus conclure que les Pvvih en Afrique, ne sont plus aujourd’hui victimes de rejets, d’humiliations ou de préjudices.
Bien au contraire, différentes études montrent la persistance de ces pratiques, en particulier dans les familles, des pratiques discriminatoires envers les femmes et d’importants préjudices subis par les veuves (refus de lévirat, abandon, spoliation des biens, etc.). Néanmoins les pratiques sociales de rejet semblent avoir diminué, à la fois en fréquence et en gravité.
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Mais même s’il convient de se réjouir de ces quelques renaissances attestées, peut-être faut-il s’interroger, à la lumière de ces histoires de vie, sur les moyens possibles d’éviter cette peur d’une mort sociale annoncée, qui entrave les incitations au dépistage, mais aussi les recours rapides et précoces à des soins de qualité immédiatement après l’annonce ? Peut-être est-il possible d’éviter d’ajouter à la détresse et au malheur des personnes qui apprennent leur séropositivité, l’expérience douloureuse d’une angoisse inutile ? Peut-être est-il envisageable de ne pas laisser les Pvvih trouver seuls le chemin de la renaissance sociale et donc de l’espoir ?
Cela est certainement réalisable en abordant la question du lien social des Pvvih, non plus seulement en termes d’exclusion et de discrimination, mais par une analyse de la recomposition des réseaux de sociabilité qui permet alors de prendre en compte aussi bien la détérioration et la destruction que le renforcement de liens sociaux préexistants, mais aussi la création de nouvelles relations sociales, voire l’innovation grâce à de nouvelles formes de sociabilité.
Bibliographie
Freud Sigmund « Deuil et mélancolie » dans Œuvres complètes, vol. xiii. ,Paris, puf, [1915/1917] 1988.
Hanus Michel, Les deuils dans la vie, Paris, Maloine, 1994.
— La mort aujourd’hui. Paris, Frison-Roche, 1997.
— et Sourkes B.M., Les enfants en deuil, Paris, Frison-Roche, 1997.
Matras-Troubetzkoy J., « Conduire celui qui part. Funérailles et rites de séparation chez les Brou. Cambodge » dans Les hommes et la mort, Rituels funéraires à travers le monde, Paris, Le Sycomore, 1979.
Thomas Louis-Vincent, Rites de mort pour la paix des vivants. Paris, Fayard, 1995.
Source
Marc Egrot, «Renaître d’une mort sociale annoncée: recomposition du lien social des personnes vivant avec le vih en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Sénégal), Cultures et Sociétés, ° 1 - 1er trimestre 2007, p. 49-56 (extraits).