Du baroque au XIXe siècle, soit près de quatre siècles, l’Église a eu une véritable obsession de la mort. Il est vrai que la mort faisait partie du décor quotidien des fidèles pendant leur courte vie. Les sermons des curés, les images, les peintures à l’église, etc., le modèle chrétien de la mort envahie la vie. La croyance d’un au-delà était le seul moyen de faire accepter les misères, l’injustice, la maladie et d’apprivoiser la mort. Le péché, la mort, le jugement dernier, l’enfer, étaient les thèmes favoris des prédicateurs qui cultivaient la crainte du péché et de la mort. Mourir en état de péché s’avérait la pire des calamités. En Nouvelle-France, Mgr de Saint-Vallier incitait les curés qui avaient coutume de bénir le lit nuptial, de rappeler aux nouveaux mariés que ce lit, sera un jour leur lit de mort. Par ailleurs, il affirmait que «... chaque chrétien doit entrer dans son lit le soir avec les dispositions d’une personne qui se verrait mettre au tombeau ».
Au niveau spirituel, la mort est au cœur de la vie en Nouvelle-France. La mort suscitant la réflexion et la méditation, les communautés religieuses féminines s’arrachent les ossements des saints et confectionnent des reliquaires plaqués or et argent d’une beauté exceptionnelle (les Augustines de l’Hôpital-Général sont devenues expertes en la matière). Tous ces objets doivent alimenter la pensée de la mort.
L’une des meilleures façons de se préparer à gagner son ciel est d’adhérer à une confrérie dont la principale tâche est d’animer et d’encourager la dévotion. Marie-Aimée Cliche et Brigitte Caulier, professeurs à l’Université Laval, ont étudié à fond ce phénomène qui a tout de même survécut jusqu’à Vatican II (1963). Pensons par exemple à la Ligue du Sacré-Coeur ou aux Dames de Sainte-Anne. En Nouvelle-France, les principales confréries sont les suivantes (date de fondation) : la confrérie de la Sainte-Famille (1664), la confrérie du Rosaire (1656), la confrérie du Scapulaire (1656), la confrérie du Sacré-Coeur (1716), la confrérie de Sainte-Anne (1657), la confrérie de l’Adoration du Saint-Sacrement et de la Bonne Mort appelée tout simplement la Bonne Mort (1732).
La confrérie de la Bonne Mort a accueilli 863 personnes entre 1732 et 1760. Il est tout de même étonnant que les femmes prédominent dans le recrutement ; en effet 92 % des membres sont des femmes, bien que les hommes puissent aussi adhérer. Il ne semble pas y avoir d’explication rationnelle à ce phénomène.
Le rayonnement de cette confrérie s’étend essentiellement à Montréal et le recrutement s’effectue principalement parmi les plus fortunés mais pas exclusivement. Il y a une forme d’humilité certaine dans la prise de conscience de l’inévitabilité de la mort, peu importe son pouvoir ou sa fortune. La confrérie apporte au mourant (et à sa famille) un réconfort moral et spirituel tout en lui garantissant la dignité de funérailles chrétiennes et privilège non négligeable... la gratuité. De plus, la modique cotisation annuelle des membres leur assure la sépulture à la chapelle Saint-Amable dans l’église Notre-Dame de Montréal. À partir de 1796, la voûte de la chapelle Saint-Amable en suroccupation, est condamnée. Subséquemment, on résolut de déposer les autres dans les chapelles de Sainte-Anne ou de Saint-Roch.
De plus, la confrérie de la Bonne Mort bénéficie d’un arrangement avec la fabrique Notre-Dame de Montréal de sorte qu’un service funéraire ne lui coûte que 6 livres et 10 sols, chantres compris. Le bedeau reçoit 40 sols.
L’importance de cette confrérie et des valeurs qu’elle véhicule se reflète par le fait que le tout premier livre imprimé au Canada a pour sujet la Bonne Mort. Imprimé à Montréal en juillet 1776, par Fleury Mesplet au lendemain de l’invasion américaine, ce livre s’intitule Règlement de la confrérie de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, et de la Bonne Mort. Étonnamment, le livre de Fleury Mesplet, une commande des Sulpiciens, n’a que 40 pages. Petit, ce livre ne fait que 3 3/8 po. de large par 4 5/8 po. de haut (8.5 cm X 12 cm).
FLEURY MESPLET
Fils de Jean-Baptiste Mesplet et de Marie-Antoinette Capeau, Fleury Mesplet, imprimeur et éditeur, voit le jour à Marseille le 10 janvier 1734 et arrive à Montréal le 6 mai 1776 avec son épouse en provenance de Philadelphie, sur les traces des rebelles américains. Son épouse Marie Mirabeau, 43 ans, décède le 11 septembre 1789 et est inhumée le lendemain à Montréal. En secondes noces, il épouse à l’âge de 55 ans, Marie-Anne Tison, 23 ans, fille de Jean-Baptiste Tison, perruquier, et de Marie-Anne Picard, le 13 avril 1790 à Montréal. Cet acte de mariage indique qu’il résidait à St-Nizier (lequel ?) dans le diocèse de Lyon. Fleury Mesplet est le fondateur en 1785 de l’hebdomadaire La Gazette de Montréal, ancêtre du quotidien The Gazette. Il s’éteint le 24 janvier 1794 et est inhumé le 26 janvier à Montréal, sans postérité.
Le premier règlement de la confrérie se lit comme suit : « Les associés penseront chaque jour à la mort et détermineront en particulier quelque petite pratique qui puisse souvent leur rappeler cette pensée ». Le second règlement : « Ils réciteront chaque jour, sept fois, Requiem aeternam... ». Le but de ces exercices est que la pensée quotidienne de la mort empêche le confrère de glisser dans le péché. La crainte de l’enfer motive le membre. On lui recommande aussi une retraite une fois par mois.
Mais tous ne peuvent être admis à la confrérie : « L’on ne recevra pas dans l’association les personnes qui auraient fait quelques fautes contre la pureté avec scandale à moins que le scandale ne fut réparé et que la personne ne donnât des preuves de la pureté de ses mœurs... L’on ne recevra pas ceux qui fréquentent les maisons ou des personnes suspectes, ceux qui vont souvent au cabaret ou sont sujets à s’enivrer, qui vendent de l’eau-de-vie aux Sauvages, qui tiennent publiquement dans leurs maisons des bals ou assemblés de danses... ». Voilà un remarquable modèle d’adaptation culturelle puisque de telles confréries existaient en Europe.
Sous la protection de Saint-Joseph, le saint patron des mourants et de la confrérie, la mission de la confrérie de la Bonne Mort est d’aider mutuellement les membres à se procurer une bonne mort. Dans l’esprit de l’époque, une bonne mort consiste à mourir en pleine conscience de ses derniers moments ; l’agonie doit être suffisamment longue pour se préparer et recevoir les derniers sacrements (pénitence, communion et extrême-onction). De plus, la douleur étant rédemptrice, il faut l’accepter dignement car elle est à l’image de Jésus en croix qui a souffert lui aussi. Par exemple, l’agonie de Montcalm, le catholique, fut longue et douloureuse (19 heures) alors que celle de Wolfe, l’hérétique, fut brève (quelques minutes). Dans la perspective de l’époque, on sait dès lors qui est au ciel et qui se tord en enfer.
MONTCALM ET WOLFE
Louis Joseph, marquis de Montcalm, mortellement blessé dans l’avant-midi du 13 septembre 1759 (bataille des Plaines d’Abraham), décéda le lendemain 14 septembre à 5 heures du matin. Il a été inhumé sous le plancher de la chapelle des Ursulines vers les 22 heures, à la lumière des flambeaux, des torches et des cierges. Le 11 octobre 2001, le gouvernement du Québec procéda à la translation de ses restes. Il repose désormais auprès de ses soldats, au cimetière de l’Hôpital-Général de Québec, dans un mausolée spécialement aménagé pour recevoir son sarcophage. James Wolfe, mortellement blessé ne survécu qu’une dizaine de minutes. Il a été embaumé l’après-midi même à la Pointe-de-Lévis (Lauzon). Son corps rapatrié en Angleterre par le premier navire, a été inhumé dans l’église St.Alphage à Greenwich, en banlieue de Londres. Une plaque rappelant sa mémoire est apposée dans l’abbaye de Westminster.
Quoi de plus redoutable que de mourir subitement ! Mourir sans avoir pu se préparer signifie mourir en état de péché et condamne le défunt au mieux au purgatoire, au pire à la damnation éternelle de l’enfer. Quel contraste avec aujourd’hui où la mort souhaitée doit être prompte et sans douleur !
Voici la prière pour obtenir la grâce d’être préservé de mort subite : « Seigneur Jésus, je vous supplie très humblement par les douleurs et l’ignominie de votre flagellation et de votre couronnement d’épine, par les amertumes de votre Croix et de votre Passion, par votre grande bonté et votre infinie miséricorde, de ne pas permettre que je sois enlevé de cette vie par une mort subite, sans être muni des sacrements. Faites, ô divin Jésus, que ma vie tout entière ne soit qu’une préparation à la mort et une disposition à la grâce de la persévérance finale. Ainsi soit-il. ».
Face à l’inévitable fin, l’agonisant doit se résigner, cesser de lutter contre son destin. Pour l’aider à accepter sa mort, on récite avec lui l’Acte d’acceptation, un texte macabre et sombre où le corps tout entier est un objet de péché. À la lumière d’aujourd’hui, ce texte dérange par son réalisme : « …J’accepte enfin la réduction de mon corps en poudre et en cendre, et je consens qu’il soit la pâture des vers, en punition de l’amour désordonné que j’ai eu pour lui. Ô poudre, ô cendre, ô vers ! Je vous reçois, je vous chéris et je vous regarde comme les instruments de la justice de mon Dieu, pour punir ma superbe et l’orgueil qui m’a rendu rebelle à ses ordres. Vengez ses intérêts ; réparez les injures que je lui ai faites ; détruisez ce corps de péché, cet ennemi de Dieu, ces membres d’iniquité, et faites triompher la puissance du Créateur de la faiblesse de son indigne créature ».
Corps instrument de péchés, corps vaniteux, corps qui prétend à la beauté, voilà peu de chose face à la mort inévitable. Les sermons de l’époque témoignent souvent d’une lourde misogynie, axés sur la vanité féminine. Tel ce sermon prêché en 1739 par le père Antoine Déat, sulpicien : « …Bientôt, bientôt un mauvais drap va suffire pour envelopper ce corps qui pour les parures les plus recherchées ne paroit pas suffisantes ; bientôt, bientôt une fourmilière de vers va faire tout l’ornement et toute la frisure de cette tête si fière et si superbe ; bientôt, bientôt l’infection et la pourriture vont couvrir ce visage si vermeil et ce teint conservé avec tant d’artifice... ». On notera que ce sermon met en évidence l’usage du linceul.
Détail important, les membres de la confrérie sont sujets à l’obtention d’indulgences, beaucoup d’indulgences... Le jour de leur entrée à la confrérie, le membre obtient une indulgence plénière. Grâce à une indulgence plénière, toutes les peines temporelles d'une personne dues à ses péchés sont effacées. Par le fait même, toutes les peines encourues qui se trouvent au Purgatoire sont automatiquement effacées. Il est possible de gagner une indulgence pour soi-même ou pour les défunts, mais jamais pour un autre vivant. Une seule indulgence plénière peut être gagnée par jour et certaines conditions doivent être préalablement remplies par le demandeur : état de grâce, aucun attachement actuel au péché véniel et réalisation des oeuvres prescrites.
Toutes les fois qu’un confrère (ou consoeur) accompagne le corps du défunt à la sépulture, il bénéficie d’une indulgence de 7 ans. Il obtient 3 ans d’indulgences lorsqu’il visite la chapelle de la Bonne Mort le jour de Noël, le Vendredi Saint, les Fêtes du Saint-Sacrement et de l’Assomption de la Sainte-Vierge. Toutes les fois que le membre assiste à l’assemblée de la confrérie ou qu’il participe à la procession du Saint-Sacrement, qu’il fait l’aumône ou tout autre oeuvre de charité, il gagne 100 jours d’indulgences.
En 1879-1880, la confrérie de la Bonne Mort ne pouvant plus inhumer ses membres à l’église Notre-Dame et répondant aux nouvelles normes d’hygiène, achète un terrain au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. L’enterrement à l’église a d’abord été un privilège réservé à l’élite. Mais pourquoi diable veut-on être à l’église? Puisqu’il est d’usage d’y enterrer les gens d’Église, la convoitise des plus riches les amène naturellement à vouloir reposer au plus près des hommes de foi avec l’espoir de profiter ainsi du même traitement que les ecclésiastiques au jour du jugement dernier. Certains croient qu’en étant plus près de Dieu, on bénéficie des prières que les autres récitent à l’église. L’office divin pratiqué tous les jours pourra peut-être écourter le séjour au purgatoire. Bref, on veut mettre toutes les chances de son bord. D’autres, plus pragmatiques, désirent simplement être au sec.
Mais les enterrements successifs sous le plancher et les bancs, causent par les remaniements répétés du sol, une détérioration des églises. À la longue, les joints des planches se distendent et les fissures de plus en plus larges, laissent passer les odeurs cadavériques (gaz méphitiques). Finalement le manque d’espace, l’influence des hygiénistes, la hausse des prix et la mode des cimetières jardins après 1850, liés à une transformation des valeurs, mettra fin à cette coutume qui dans certains cas perdurera jusqu’au XX° siècle.
Au début du XX° siècle, un courant de modernité efface peu à peu les pratiques de la Bonne Mort au profit de celles de l’adoration du Saint-Sacrement, sa fonction première puisque la Bonne Mort, n’a été que le surnom populaire donnée à la « Confrérie de l’Adoration du Saint-Sacrement et de la Bonne Mort ».
Bibliographie
CAULIER, Brigitte, «Frères et sœurs dans la mort : la sociabilité funéraire à Montréal sous le Régime français», collectif dirigé par Hubert Watelet en collaboration avec Cornelius J. Jaenen, dans De France en Nouvelle-France : société fondatrice et société nouvelle, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, «Actexpress»,1994, p.149-175.
CLICHE, Marie-Aimée, Les pratiques de dévotion en Nouvelle-France. Comportements populaires et encadrement ecclésial dans le gouvernement de Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1988.
GAGNON, Serge, Mourir hier et aujourd’hui, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1987.
GALARNEAU, Claude, Fleury Mesplet. Dictionnaire biographique du Canada en ligne.
http://www.biographi.ca/FR/ShowBio.asp?BioId=36188
LACHANCE, André, Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France. La vie quotidienne aux
XVII° et XVIII° siècles, Montréal, Éditions Libre Expression, 2000.
MESPLET, Fleury (Éditeur). Règlement de la confrérie de l'adoration perpétuelle du St-Sacrement, et de la Bonne Mort Érigée dans l'église paroissiale de Ville-Marie en l'Isle de Montréal en Canada, F. Mesplet & C. Berger, Imprimeurs & Libraires près du marché, Montréal, 1776. (Consulté au Centre de conservation, Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal).
Jean-Yves Bronze 2008
L’une des meilleures façons de se préparer à gagner son ciel est d’adhérer à une confrérie dont la principale tâche est d’animer et d’encourager la dévotion. Marie-Aimée Cliche et Brigitte Caulier, professeurs à l’Université Laval, ont étudié à fond ce phénomène qui a tout de même survécut jusqu’à Vatican II (1963). Pensons par exemple à la Ligue du Sacré-Coeur ou aux Dames de Sainte-Anne. En Nouvelle-France, les principales confréries sont les suivantes (date de fondation) : la confrérie de la Sainte-Famille (1664), la confrérie du Rosaire (1656), la confrérie du Scapulaire (1656), la confrérie du Sacré-Coeur (1716), la confrérie de Sainte-Anne (1657), la confrérie de l’Adoration du Saint-Sacrement et de la Bonne Mort appelée tout simplement la Bonne Mort (1732).
La confrérie de la Bonne Mort a accueilli 863 personnes entre 1732 et 1760. Il est tout de même étonnant que les femmes prédominent dans le recrutement ; en effet 92 % des membres sont des femmes, bien que les hommes puissent aussi adhérer. Il ne semble pas y avoir d’explication rationnelle à ce phénomène.
Le rayonnement de cette confrérie s’étend essentiellement à Montréal et le recrutement s’effectue principalement parmi les plus fortunés mais pas exclusivement. Il y a une forme d’humilité certaine dans la prise de conscience de l’inévitabilité de la mort, peu importe son pouvoir ou sa fortune. La confrérie apporte au mourant (et à sa famille) un réconfort moral et spirituel tout en lui garantissant la dignité de funérailles chrétiennes et privilège non négligeable... la gratuité. De plus, la modique cotisation annuelle des membres leur assure la sépulture à la chapelle Saint-Amable dans l’église Notre-Dame de Montréal. À partir de 1796, la voûte de la chapelle Saint-Amable en suroccupation, est condamnée. Subséquemment, on résolut de déposer les autres dans les chapelles de Sainte-Anne ou de Saint-Roch.
De plus, la confrérie de la Bonne Mort bénéficie d’un arrangement avec la fabrique Notre-Dame de Montréal de sorte qu’un service funéraire ne lui coûte que 6 livres et 10 sols, chantres compris. Le bedeau reçoit 40 sols.
L’importance de cette confrérie et des valeurs qu’elle véhicule se reflète par le fait que le tout premier livre imprimé au Canada a pour sujet la Bonne Mort. Imprimé à Montréal en juillet 1776, par Fleury Mesplet au lendemain de l’invasion américaine, ce livre s’intitule Règlement de la confrérie de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, et de la Bonne Mort. Étonnamment, le livre de Fleury Mesplet, une commande des Sulpiciens, n’a que 40 pages. Petit, ce livre ne fait que 3 3/8 po. de large par 4 5/8 po. de haut (8.5 cm X 12 cm).
FLEURY MESPLET
Fils de Jean-Baptiste Mesplet et de Marie-Antoinette Capeau, Fleury Mesplet, imprimeur et éditeur, voit le jour à Marseille le 10 janvier 1734 et arrive à Montréal le 6 mai 1776 avec son épouse en provenance de Philadelphie, sur les traces des rebelles américains. Son épouse Marie Mirabeau, 43 ans, décède le 11 septembre 1789 et est inhumée le lendemain à Montréal. En secondes noces, il épouse à l’âge de 55 ans, Marie-Anne Tison, 23 ans, fille de Jean-Baptiste Tison, perruquier, et de Marie-Anne Picard, le 13 avril 1790 à Montréal. Cet acte de mariage indique qu’il résidait à St-Nizier (lequel ?) dans le diocèse de Lyon. Fleury Mesplet est le fondateur en 1785 de l’hebdomadaire La Gazette de Montréal, ancêtre du quotidien The Gazette. Il s’éteint le 24 janvier 1794 et est inhumé le 26 janvier à Montréal, sans postérité.
Le premier règlement de la confrérie se lit comme suit : « Les associés penseront chaque jour à la mort et détermineront en particulier quelque petite pratique qui puisse souvent leur rappeler cette pensée ». Le second règlement : « Ils réciteront chaque jour, sept fois, Requiem aeternam... ». Le but de ces exercices est que la pensée quotidienne de la mort empêche le confrère de glisser dans le péché. La crainte de l’enfer motive le membre. On lui recommande aussi une retraite une fois par mois.
Mais tous ne peuvent être admis à la confrérie : « L’on ne recevra pas dans l’association les personnes qui auraient fait quelques fautes contre la pureté avec scandale à moins que le scandale ne fut réparé et que la personne ne donnât des preuves de la pureté de ses mœurs... L’on ne recevra pas ceux qui fréquentent les maisons ou des personnes suspectes, ceux qui vont souvent au cabaret ou sont sujets à s’enivrer, qui vendent de l’eau-de-vie aux Sauvages, qui tiennent publiquement dans leurs maisons des bals ou assemblés de danses... ». Voilà un remarquable modèle d’adaptation culturelle puisque de telles confréries existaient en Europe.
Sous la protection de Saint-Joseph, le saint patron des mourants et de la confrérie, la mission de la confrérie de la Bonne Mort est d’aider mutuellement les membres à se procurer une bonne mort. Dans l’esprit de l’époque, une bonne mort consiste à mourir en pleine conscience de ses derniers moments ; l’agonie doit être suffisamment longue pour se préparer et recevoir les derniers sacrements (pénitence, communion et extrême-onction). De plus, la douleur étant rédemptrice, il faut l’accepter dignement car elle est à l’image de Jésus en croix qui a souffert lui aussi. Par exemple, l’agonie de Montcalm, le catholique, fut longue et douloureuse (19 heures) alors que celle de Wolfe, l’hérétique, fut brève (quelques minutes). Dans la perspective de l’époque, on sait dès lors qui est au ciel et qui se tord en enfer.
MONTCALM ET WOLFE
Louis Joseph, marquis de Montcalm, mortellement blessé dans l’avant-midi du 13 septembre 1759 (bataille des Plaines d’Abraham), décéda le lendemain 14 septembre à 5 heures du matin. Il a été inhumé sous le plancher de la chapelle des Ursulines vers les 22 heures, à la lumière des flambeaux, des torches et des cierges. Le 11 octobre 2001, le gouvernement du Québec procéda à la translation de ses restes. Il repose désormais auprès de ses soldats, au cimetière de l’Hôpital-Général de Québec, dans un mausolée spécialement aménagé pour recevoir son sarcophage. James Wolfe, mortellement blessé ne survécu qu’une dizaine de minutes. Il a été embaumé l’après-midi même à la Pointe-de-Lévis (Lauzon). Son corps rapatrié en Angleterre par le premier navire, a été inhumé dans l’église St.Alphage à Greenwich, en banlieue de Londres. Une plaque rappelant sa mémoire est apposée dans l’abbaye de Westminster.
Quoi de plus redoutable que de mourir subitement ! Mourir sans avoir pu se préparer signifie mourir en état de péché et condamne le défunt au mieux au purgatoire, au pire à la damnation éternelle de l’enfer. Quel contraste avec aujourd’hui où la mort souhaitée doit être prompte et sans douleur !
Voici la prière pour obtenir la grâce d’être préservé de mort subite : « Seigneur Jésus, je vous supplie très humblement par les douleurs et l’ignominie de votre flagellation et de votre couronnement d’épine, par les amertumes de votre Croix et de votre Passion, par votre grande bonté et votre infinie miséricorde, de ne pas permettre que je sois enlevé de cette vie par une mort subite, sans être muni des sacrements. Faites, ô divin Jésus, que ma vie tout entière ne soit qu’une préparation à la mort et une disposition à la grâce de la persévérance finale. Ainsi soit-il. ».
Face à l’inévitable fin, l’agonisant doit se résigner, cesser de lutter contre son destin. Pour l’aider à accepter sa mort, on récite avec lui l’Acte d’acceptation, un texte macabre et sombre où le corps tout entier est un objet de péché. À la lumière d’aujourd’hui, ce texte dérange par son réalisme : « …J’accepte enfin la réduction de mon corps en poudre et en cendre, et je consens qu’il soit la pâture des vers, en punition de l’amour désordonné que j’ai eu pour lui. Ô poudre, ô cendre, ô vers ! Je vous reçois, je vous chéris et je vous regarde comme les instruments de la justice de mon Dieu, pour punir ma superbe et l’orgueil qui m’a rendu rebelle à ses ordres. Vengez ses intérêts ; réparez les injures que je lui ai faites ; détruisez ce corps de péché, cet ennemi de Dieu, ces membres d’iniquité, et faites triompher la puissance du Créateur de la faiblesse de son indigne créature ».
Corps instrument de péchés, corps vaniteux, corps qui prétend à la beauté, voilà peu de chose face à la mort inévitable. Les sermons de l’époque témoignent souvent d’une lourde misogynie, axés sur la vanité féminine. Tel ce sermon prêché en 1739 par le père Antoine Déat, sulpicien : « …Bientôt, bientôt un mauvais drap va suffire pour envelopper ce corps qui pour les parures les plus recherchées ne paroit pas suffisantes ; bientôt, bientôt une fourmilière de vers va faire tout l’ornement et toute la frisure de cette tête si fière et si superbe ; bientôt, bientôt l’infection et la pourriture vont couvrir ce visage si vermeil et ce teint conservé avec tant d’artifice... ». On notera que ce sermon met en évidence l’usage du linceul.
Détail important, les membres de la confrérie sont sujets à l’obtention d’indulgences, beaucoup d’indulgences... Le jour de leur entrée à la confrérie, le membre obtient une indulgence plénière. Grâce à une indulgence plénière, toutes les peines temporelles d'une personne dues à ses péchés sont effacées. Par le fait même, toutes les peines encourues qui se trouvent au Purgatoire sont automatiquement effacées. Il est possible de gagner une indulgence pour soi-même ou pour les défunts, mais jamais pour un autre vivant. Une seule indulgence plénière peut être gagnée par jour et certaines conditions doivent être préalablement remplies par le demandeur : état de grâce, aucun attachement actuel au péché véniel et réalisation des oeuvres prescrites.
Toutes les fois qu’un confrère (ou consoeur) accompagne le corps du défunt à la sépulture, il bénéficie d’une indulgence de 7 ans. Il obtient 3 ans d’indulgences lorsqu’il visite la chapelle de la Bonne Mort le jour de Noël, le Vendredi Saint, les Fêtes du Saint-Sacrement et de l’Assomption de la Sainte-Vierge. Toutes les fois que le membre assiste à l’assemblée de la confrérie ou qu’il participe à la procession du Saint-Sacrement, qu’il fait l’aumône ou tout autre oeuvre de charité, il gagne 100 jours d’indulgences.
En 1879-1880, la confrérie de la Bonne Mort ne pouvant plus inhumer ses membres à l’église Notre-Dame et répondant aux nouvelles normes d’hygiène, achète un terrain au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. L’enterrement à l’église a d’abord été un privilège réservé à l’élite. Mais pourquoi diable veut-on être à l’église? Puisqu’il est d’usage d’y enterrer les gens d’Église, la convoitise des plus riches les amène naturellement à vouloir reposer au plus près des hommes de foi avec l’espoir de profiter ainsi du même traitement que les ecclésiastiques au jour du jugement dernier. Certains croient qu’en étant plus près de Dieu, on bénéficie des prières que les autres récitent à l’église. L’office divin pratiqué tous les jours pourra peut-être écourter le séjour au purgatoire. Bref, on veut mettre toutes les chances de son bord. D’autres, plus pragmatiques, désirent simplement être au sec.
Mais les enterrements successifs sous le plancher et les bancs, causent par les remaniements répétés du sol, une détérioration des églises. À la longue, les joints des planches se distendent et les fissures de plus en plus larges, laissent passer les odeurs cadavériques (gaz méphitiques). Finalement le manque d’espace, l’influence des hygiénistes, la hausse des prix et la mode des cimetières jardins après 1850, liés à une transformation des valeurs, mettra fin à cette coutume qui dans certains cas perdurera jusqu’au XX° siècle.
Au début du XX° siècle, un courant de modernité efface peu à peu les pratiques de la Bonne Mort au profit de celles de l’adoration du Saint-Sacrement, sa fonction première puisque la Bonne Mort, n’a été que le surnom populaire donnée à la « Confrérie de l’Adoration du Saint-Sacrement et de la Bonne Mort ».
Bibliographie
CAULIER, Brigitte, «Frères et sœurs dans la mort : la sociabilité funéraire à Montréal sous le Régime français», collectif dirigé par Hubert Watelet en collaboration avec Cornelius J. Jaenen, dans De France en Nouvelle-France : société fondatrice et société nouvelle, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, «Actexpress»,1994, p.149-175.
CLICHE, Marie-Aimée, Les pratiques de dévotion en Nouvelle-France. Comportements populaires et encadrement ecclésial dans le gouvernement de Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1988.
GAGNON, Serge, Mourir hier et aujourd’hui, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1987.
GALARNEAU, Claude, Fleury Mesplet. Dictionnaire biographique du Canada en ligne.
http://www.biographi.ca/FR/ShowBio.asp?BioId=36188
LACHANCE, André, Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France. La vie quotidienne aux
XVII° et XVIII° siècles, Montréal, Éditions Libre Expression, 2000.
MESPLET, Fleury (Éditeur). Règlement de la confrérie de l'adoration perpétuelle du St-Sacrement, et de la Bonne Mort Érigée dans l'église paroissiale de Ville-Marie en l'Isle de Montréal en Canada, F. Mesplet & C. Berger, Imprimeurs & Libraires près du marché, Montréal, 1776. (Consulté au Centre de conservation, Bibliothèque et Archives nationales du Québec à Montréal).
Jean-Yves Bronze 2008