Lee Anderson, le héros-narrateur de J'irai cracher sur vos tombes (U.G.E., «10/18», 1986), est hanté par le souvenir d'un enfant, dont on apprend plus tard que c'est son frère et, bien lus tard encore, qu'il est mort victime de la haine raciale.
Écrit à la suite d'un pari et publié d'abord sous le nom de Vernon Sullivan, J'irai cracher sur vos tombes fut interdit après qu'on en eut trouvé un exemplaire chez un assassin et il demeura longtemps introuvable. Boris Vian (1920-1959), par facétie autant que par provocation, avait doté son roman d'une pseudo-préface d'éditeur où il revendiquait ses maîtres James Hadley Chase et Henry Miller. En effet, il se livre ici à un pastiche du roman noir américain. Le héros-narrateur demeure, pour le lecteur, une conscience opaque et étrangère et le suspens naît de l'éclaircissement progressif de cette conscience et, partant, du monde qu'elle entrevoit. Lee Anderson est cet Autre absolu, l'exclu, le Noir, le criminel, mais il est aussi le héros et le narrateur, celui qui donne son sens et sa forme à l'univers romanesque, celui dont la puissance érotique plie le monde à sa volonté. Véritable réquisitoire contre l'Amérique, ce faux pays de cocagne, J'irai cracher sur vos tombes, refuse la fiction du «bon Noir» qui mérite la tolérance paternaliste des Blancs; au lieu de cela, ce roman «vache» et grinçant propose l'itinéraire triomphant et solitaire d'un maudit qui accomplit jusqu'au bout son devoir de vengeance.