« Don Carlos est le drame de beaucoup le plus long, le plus complexe et le plus touffu qu'ait écrit Schiller. Il aboutit à une quadruple catastrophe dont les victimes sont don Carlos et Posa, le roi et la reine; don Carlos meurt à cause de son amour pour la reine et de ses rêves politiques, Posa succombe pour son idéal de liberté, la reine voit sa vie à tout jamais brisée par la catastrophe qui coûte la vie à don Carlos, Philippe II enfin se voit contraint d'abdiquer en quelque sorte sa royauté et de s'abandonner sans réserve à l'impérieuse domination du grand inquisiteur » ( H.Lichtenberger, « Don Carlos (1783 - 87) dans
Dictionnaire biographique, < http://www.cosmovisions.com/Schiller03.htm > )
« L'histoire de Don Carlos aurait pu rester celle d'une procédure hâtive, d'une substitution devant notaire. Mais elle a fasciné toute la littérature européenne. Le matériau était riche. Le premier, l'abbé de Saint-Réal en déposséda les chroniqueurs. Il en fit un roman. Otway, Campistron, Le Fèvre, Alfieri en firent chacun une tragédie. Louis-Sébastien Mercier en fit un curieux drame, en prose et en cinquante-deux scènes.
Cependant Schiller seul a su y voir autre chose qu'un triangle impossible (père/fils/belle-mère), qu'un prétexte à pamphlet libertaire, ou qu'un rocambolesque couronné.
Carlos le dit d'emblée : « Je ne sais que trop bien qu'à cette cour je suis trahi ». Il n'est pas trahi par des factieux ou des conjurés. Il est trahi par son père, pire, par son roi. Pire, parce que la cour honore ce qu'honore le roi, méprise ce qu'il méprise.
Le roi a choisi de mépriser la parole donnée.
Le Don Carlos de Schiller est un drame de la parole trahie.
En se parjurant, le roi a introduit le doute. En dévoyant sa parole, il a dévoyé la parole. La parole construite, et dite en face, devient suspecte. Toutes sortes de paroles contournées et détournées s'y substituent.
Ainsi la scène résonne de rumeurs, de bruits, de on-dit. On chuchote dans les antichambres - rumeurs sur le roi répandues parmi le peuple, rumeurs sur l'incident entre le roi et la reine, sur la nomination d'Albe en Flandres, sur le fantôme de Charles Quint... » (postface de Sylvain Fort, p. 257)
Dictionnaire biographique, < http://www.cosmovisions.com/Schiller03.htm > )
« L'histoire de Don Carlos aurait pu rester celle d'une procédure hâtive, d'une substitution devant notaire. Mais elle a fasciné toute la littérature européenne. Le matériau était riche. Le premier, l'abbé de Saint-Réal en déposséda les chroniqueurs. Il en fit un roman. Otway, Campistron, Le Fèvre, Alfieri en firent chacun une tragédie. Louis-Sébastien Mercier en fit un curieux drame, en prose et en cinquante-deux scènes.
Cependant Schiller seul a su y voir autre chose qu'un triangle impossible (père/fils/belle-mère), qu'un prétexte à pamphlet libertaire, ou qu'un rocambolesque couronné.
Carlos le dit d'emblée : « Je ne sais que trop bien qu'à cette cour je suis trahi ». Il n'est pas trahi par des factieux ou des conjurés. Il est trahi par son père, pire, par son roi. Pire, parce que la cour honore ce qu'honore le roi, méprise ce qu'il méprise.
Le roi a choisi de mépriser la parole donnée.
Le Don Carlos de Schiller est un drame de la parole trahie.
En se parjurant, le roi a introduit le doute. En dévoyant sa parole, il a dévoyé la parole. La parole construite, et dite en face, devient suspecte. Toutes sortes de paroles contournées et détournées s'y substituent.
Ainsi la scène résonne de rumeurs, de bruits, de on-dit. On chuchote dans les antichambres - rumeurs sur le roi répandues parmi le peuple, rumeurs sur l'incident entre le roi et la reine, sur la nomination d'Albe en Flandres, sur le fantôme de Charles Quint... » (postface de Sylvain Fort, p. 257)
ACTE V
DERNlIÈRE SCÈNE
Carlos, La reine. Puis le roi et sa suite.
CARLOS, en habit de moine, un masque sur le visage, qu'il ôte à ce moment. Sous le bras. une épée nue. II fait très sombre. Il s'approche d'une porte, qu'on lui ouvre, La reine sort, vêtue pour la nuit, portant un flambeau allumé. Carlos plie le genou devant elle.
Élisabeth !
LA REINE, le contemplant avec une mélancolie silencieuse.
Ce sont là nos retrouvailles?
CARLOS
Ce sont là nos retrouvailles!
Silence.
LA REINE, cherchant à se reprendre.
Levez-vous. Ne nous attendrissons pas l'un l'autre, Carle. La volonté
De ce grand mort n'est pas qu'on le célèbre
Par d'impuissantes larmes, Elles sont réservées
À de moindres souffrances! ... Il s'est sacrifié
Pour vous! De sa précieuse vie,
Il racheta la vôtre ... Et ce sang
Aurait coulé pour un vain songe?. Carlos!
J'ai répondu de vous sur moi-même.
Cette caution sut rendre plus joyeux
Ses adieux à ce monde. Me ferez-vous
Mentir?
CARLOS, exalté.
Je veux lui édifier
Un tombeau comme jamais roi
N'en eut .. Qu'un Paradis fleurisse
Sur ses cendres!.
LA RElNE
C'est ainsi que je vous ai voulu!
C'était la grande idée de sa mort !
Et c'est moi qu'il a choisi comme exécutrice
De ses dernières volontés. Je vous en préviens.
J'aurai à cœur de voir ce serment accompli.
Il est encore un autre legs, qu'à l'heure de mourir,
Il remit entre mes mains ... Je lui ai donné
Ma parole ... et - pourquoi le taire?-
Il m'a confié son Carle .. Je veux braver
Les apparences ... ne plus trembler devant les hommes ...
Avoir enfin l'audace d'un ami. À mon cœur
De parler. Il nommait vertu notre amour ?
Je l'en crois, et mon cœur désormais.
CARLOS
N'achevez pas, Reine. Je m'enlisais
En un rêve long et pénible.
J'aimais. Me voici éveillé. Oublions
Le passé! Voici vos lettres
Que je vous rends. Détruisez les miennes. Ne
Craignez plus de moi nul emportement. C'est
Terminé. Un feu pur a assaini
Mon être. Ma passion gît dans les tombes
Des morts. Nul désir humain
Ne divise plus ce cœur .
Après un silence, prenant sa main.
Je suis venu
Faire mes adieux. Mère, je vois enfin
Qu'il est un bien plus haut, plus désirable
Que ta possession .. Une brève nuit
A mis des ailes aux pas lourds de mes ans
Et m'a fait homme avant mon heure.
Je n'aurai désormais dans cette vie
D'autre tâche que me souvenir de lui.
Mes moissons sont faites...
il s 'approche de la reine, qui se cache le visage.
Vous ne me
Dites rien, mère?
LA REINE
Ne vous souciez pas
De mes larmes, Carle ... je ne puis m'empêcher.
Mais, croyez-moi, je vous admire.
CARLOS
Vous étiez de notre union l'unique
Confidente. C'est à ce titre-là
Que vous resterez en ce monde mon bien
Le plus précieux. Mon amitié, je puis
Aussi peu vous l'offrir qu'hier encore
Mon amour à une autre. Toutefois,
La royale veuve me sera sacrée si la Providence
M'installe sur ce trône!
Le roi, accompagné du Grand Inquisiteur et de ses Grands, apparaît à l'arrière-scène, sans être aperçu.
Je quitte à présent L'Espagne, et ne reverrai plus jamais
Mon père ... plus jamais en cette vie.
Il n'a plus mon estime. Elle est morte
En mon cœur, la nature ... Redevenez
Sa femme. Il a perdu
Un fils.. Rentrez en vos devoirs. Je vole
Au secours de mon peuple qu'opprime
La main du tyran. Madrid
Me verra roi ou ne me verra plus. Et maintenant, ce dernier adieu!.
Il l'embrasse.
LA REINE
Que faites-vous de moi?...Ô Carle, Je ne saurais
Prétendre m'exalter à cette grandeur virile,
Mais vous comprendre et admirer - je le puis.
CARLOS
Ne suis-je point fort, Élisabeth? Je vous ai
Tenue entre mes bras, et n'ai point défailli.
De cette place, hier encore, les affres
D'une mort imminente ne m'eussent arraché.
Il la quitte.
C'est terminé. Je défie désormais les destins
Des mortels. Je vous ai tenue dans mes bras
Et n'ai pas défailli ... Chut! N'entendez-vous rien?
Une horloge sonne.
LA REINE
Je n'entends rien que le terrible glas
Qui nous dit l'heure de la séparation.
CARLOS
Bonne nuit Donc, mère. C'est de Gand que vous recevrez
Ma première lettre, qui dira bien haut le secret
De notre commerce. Je m'en vais
Agir à découvert avec ce don Philippe.
Désormais, je le veux, plus de mystère
Entre nous. Vous n'aurez plus à craindre
Les regards du monde ... Ce sera là
Ma dernière imposture.
Il va pour reprendre son masque. Le roi s'interpose.
LE ROI
Oui, la dernière!
La reine tombe sans connaissance.
CARLOS, se précipite vers elle et la reçoit dans ses bras.
Morte?
Ô Ciel et Terre !
LE ROI, Froid et calme, au Grand Inquisiteur.
Cardinal! J'ai fait Ma part. Faites la vôtre.
Il sort.
Source
Friedrich von Schiller, Don Carlos, Infant d'Espagne. Poème dramatique en cinq actes. Traduction et postface de Sylvain Fort, Paris, L'Arche, 1997.
IMAGE
Roberto Alagna et Marina Poplavskaya dans les rôles de Don Carlos Infant et d'Élisabeth de Valois, reine d'Espagne dans l'opéra Don Carlos de Verdi, au Met de New York, sous la direction de Yannick-Nézet Séguin.